Décembre 1938
— Dans Parnassus, organe de la College Art Association of America (no d’octobre), Mme Eleanor C. Marquand étudie le symbolisme végétal dans les « tapisseries à la licorne » ; il est intéressant de remarquer à ce propos que, dans les tableaux et les tapisseries du moyen âge, et même parfois encore de la Renaissance, les détails du fond, bien loin d’être arbitraires et de n’avoir qu’une valeur simplement « décorative », présentaient toujours au contraire quelque signification symbolique. La distinction faite par l’auteur entre un symbolisme religieux et un symbolisme « séculier » n’avait même sans doute aucune raison d’être à l’origine, car elle implique une certaine déviation partielle dans un sens « profane » ; mais les tapisseries dont il s’agit ici datent de la fin du xve siècle, c’est-à-dire d’une époque où déjà, bien souvent, le symbolisme avait dégénéré en une sorte d’« allégorisme » d’un caractère plus moral que vraiment doctrinal et intellectuel ; et peut-être cette observation s’applique-t-elle à la licorne elle-même, presque autant qu’aux végétaux qui l’accompagnent. Il n’en reste pas moins encore des traces très nettes d’un sens plus profond, notamment dans la présence constante d’un arbre central qui est assimilé à l’« Arbre de Vie », et dont la signification « axiale » est d’ailleurs en relation directe avec celle de la corne unique, qui ajoute précisément une telle signification au symbolisme ordinaire des cornes en général. Ceci est d’ailleurs également en rapport avec le fait que, suivant la tradition extrême-orientale, la licorne n’apparaît qu’à une époque où l’harmonie parfaite règne tant dans l’ordre cosmique que dans l’ordre humain, ce qui implique d’une certaine façon un retour à l’« état primordial » ; et, si l’on évoque d’autre part à ce sujet le Jam redit et Virgo de Virgile, cela peut permettre d’entrevoir que la connexion de la licorne avec la Vierge a en réalité une tout autre portée que celle que lui donnent les interprétations habituelles.
— Dans le Speculative Mason, no d’octobre, la suite de l’étude sur The Preparation for Death of a Master Mason envisage la « Tradition Sacrée », qui est représentée symboliquement dans les Loges par la Bible parce que celle-ci est, en fait, le Livre sacré de l’Occident depuis l’époque chrétienne, mais qui ne doit point être considérée cependant comme se limitant à ce seul Livre, mais au contraire comme comprenant également et au même titre les Écritures inspirées de toutes les formes traditionnelles diverses, qui ne sont qu’autant de branches dérivées de la même Sagesse primordiale et universelle. — Un autre article est encore consacré à la question des Landmarks, qui est, comme l’on sait, le sujet de discussions interminables ; il l’éclaire quelque peu en se référant à la signification originelle du mot, appliqué dans la Maçonnerie opérative aux marques par lesquelles étaient fixés le centre et les angles d’un édifice avant sa construction, ce qui, par transposition, peut permettre d’interpréter les caractères généralement reconnus aux Landmarks dans le sens d’une vérité immuable, universelle et intemporelle en elle-même, et en même temps susceptible, dans les différents domaines d’existence et d’action, d’applications qui sont comme autant de reflets, à des degrés divers, d’un « Archétype » purement spirituel ; et il va de soi que, dans ces conditions, les véritables Landmarks ne peuvent en aucune façon être assimilés à un ensemble de règles écrites, qui ne sauraient en exprimer tout au plus que le reflet le plus indirect et le plus lointain.
— Dans le Symbolisme (no d’août-septembre), Oswald Wirth critique assez justement la tendance excessive des Maçons américains à se parer de titres et d’insignes de tout genre ; mais peut-être ne marque-t-il pas assez nettement la distinction qu’il convient de faire entre les grades authentiques des différents rites maçonniques et les multiples organisations « à côté » qui, même lorsqu’elles sont exclusivement réservées aux Maçons, n’en ont pas moins un caractère en quelque sorte « parodique », du fait qu’elles sont dépourvues de toute valeur initiatique réelle. — Dans le no d’octobre, il s’attaque une fois de plus à la présence obligatoire de la Bible dans les Loges anglo-saxonnes ; pourtant, si on l’envisage comme symbolisant la « Tradition Sacrée » au sens qui a été indiqué ci-dessus, nous ne voyons pas à quelles difficultés elle peut donner lieu ; mais il est vrai que, pour comprendre cela, il faudrait ne pas voir la Bible à travers les opinions des « critiques » modernes, qui sont à l’opposé de toute connaissance d’ordre ésotérique et initiatique. — Dans les deux mêmes numéros, Ubaldo Triaca expose ses « vues personnelles » sur une Rénovation maçonnique qui pourrait mettre fin aux divergences actuelles ; il reproche aux Obédiences « latines » d’avoir trop souvent laissé s’établir en fait une tendance antireligieuse, alors que la Maçonnerie devrait être à la religion dans le rapport de l’ésotérisme à l’exotérisme ; aux Obédiences anglo-saxonnes, il reproche au contraire de confondre le point de vue maçonnique avec celui de la religion exotérique, et c’est encore la question de la Bible qui est ici le principal grief, ce qui montre que l’idée du sens profond des Écritures sacrées est décidément bien oubliée de nos jours. L’explication du rôle de la Bible par l’influence d’un milieu protestant est d’ailleurs ici tout à fait insuffisante et superficielle ; et, pour ce qui est de la proposition de remplacer la Bible entière par le seul Évangile de saint Jean, nous ne voyons pas ce que son adoption changerait en réalité, car, dans l’un et l’autre cas, c’est toujours, au fond, une portion plus ou moins étendue de la « Tradition Sacrée » qui serait prise pour en représenter symboliquement la totalité.