Janvier 1939
— Le Quarterly Journal of the Mythic Society de Bangalore (vol. XXIX, no 2) publie une importante étude de M. Ananda K. Coomaraswamy sur The Inverted Tree ; il s’agit du symbole de l’« Arbre du Monde » présenté, dans de nombreux textes traditionnels, comme ayant les racines en haut et les branches en bas ; nous aurons l’occasion d’y revenir plus amplement dans un article que nous nous proposons de consacrer spécialement à ce sujet(*).
— Dans le Journal of the Royal Society of Arts de Londres (no du 17 juin 1938), une conférence de M. Eric Gill, intitulée Work and Culture, expose des idées qui sont en parfait accord avec la conception traditionnelle des arts et des métiers : il y soutient la thèse qu’une « culture » vraiment humaine est le produit du travail nécessaire et non du « loisir », et il proteste contre la conception moderne des « beaux-arts » comme des arts « inutiles » ; il distingue entre les sociétés « primitives », qui sont « naturellement cultivées » parce que tout s’y fait conformément aux besoins normaux de l’homme, et les sociétés « barbares », qui présentent le caractère contraire, et parmi lesquelles il range pour cette raison la société actuelle ; il dénonce l’industrialisme et le machinisme comme proprement « inhumains », à la fois sous le rapport des conditions de travail qu’ils imposent et sous celui de la qualité des objets qu’ils produisent. Quant aux remèdes qui pourraient y être apportés, il paraît les voir surtout, au fond, dans le retour à une conception « religieuse » de l’existence tout entière, qu’il envisage d’ailleurs à un point de vue spécialement chrétien, mais qui, bien entendu, trouverait son équivalent, et de façon non moins valable, dans toutes les formes traditionnelles sans exception.
— Dans Atlantis (no de novembre) M. paul le cour veut expliquer ce qu’il appelle Le drame de l’Europe par une rivalité entre… l’Ordre du Temple et l’Ordre Teutonique ; prétendre faire de l’Angleterre actuelle la « continuatrice » du premier, c’est vraiment pousser la fantaisie un peu trop loin ; quant à l’Allemagne, disons seulement qu’il confond trop facilement des « réminiscences » historiques avec des « influences » réelles ; il est vrai que, quand on se réclame soi-même de l’Atlantide, on ne peut pas avoir une idée bien nette des conditions nécessaires d’une transmission effective… Quant à ses idées sur les rapports et les différences qui existent entre les diverses Maçonneries, elles sont proprement inimaginables, et si étrangères à toute réalité qu’on ne peut même pas dire qu’elles en soient une déformation ; nous n’arrivons pas à comprendre comment il est possible de parler de choses sur lesquelles on est aussi totalement dépourvu d’informations. — Il rectifie d’autre part l’erreur qui lui avait fait, dans son article sur la Tunisie, « remplacer le mot Coran par le mot Thora », dit-il, alors qu’en réalité c’était l’inverse ; et il l’explique curieusement par « la similitude de la vision colorée de ces deux mots » ; voilà qui est encore plus inquiétant pour lui que tout ce que nous aurions pu supposer !
— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no d’octobre) sont étudiés certains points généralement peu connus concernant les fonctions du Maître (c’est-à-dire du Vénérable) et des deux Surveillants ; à ce propos, il est curieux de remarquer que le mot « Surveillant », en usage dans la Maçonnerie française, n’est pas la traduction exacte du terme anglais Warden, mais celle d’Overseer, qui était également employé dans l’ancienne Maçonnerie opérative, mais qui a disparu de la Maçonnerie spéculative, tout au moins pour ce qui est de la Craft Masonry ; faudrait-il voir là un vestige de quelque chose qui, en France, remonterait plus loin que 1717 ?
— Dans le Symbolisme (no de novembre), Ubaldo Triaca, terminant ses réflexions sur la Rénovation maçonnique, déclare nettement que « la tendance qui voudrait acheminer la Maçonnerie vers une foi politique déterminée et une action extérieure de combat n’est qu’une conception de profanes, à qui la profondeur de l’Initiation a échappé complètement ». Dans le numéro de décembre, un article de G. Persigout, intitulé L’Enfer dantesque et le Mystère de la Chute, étudie surtout, en fait, la question de la dualité qui, sous des formes diverses, conditionne nécessairement toute manifestation ; nous devons faire remarquer que la reconnaissance de cette dualité n’implique en aucune façon le « dualisme », contrairement à ce que pourrait faire croire une fâcheuse erreur de terminologie, qui est d’ailleurs imputable moins à l’auteur lui-même qu’à quelques-uns des philosophes et savants modernes qu’il cite dans son article, et qui est encore un exemple des confusions dont le langage actuel est rempli.
— Dans la Technique Sanitaire et Municipale (no de juin), M. R. Humery, dans un article faisant partie d’une série intitulée L’Esthétique au Village, rappelle que « les Druides avaient choisi l’arbre pour symbole central de leur métaphysique » ; l’évocation d’idées traditionnelles, dans une publication de cet ordre, est chose trop rare pour ne pas mériter d’être signalée. Un fait qui est mentionné dans ce même article appelle une réflexion importante : il paraît que les « écrivains combattants » ont créé dans les Cévennes un « bois sacré » ; l’emploi d’une semblable désignation constitue un déplorable abus de langage, comparable à celui par lequel on attribue un caractère « religieux » à toute sorte de manifestations purement profanes ; il y a là une tendance « parodique » inconsciente contre laquelle on ne saurait trop mettre en garde tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, essaient de remettre un peu d’ordre dans le chaos actuel.