Février 1939

— Le Christian Social Art Quarterly (no d’automne 1938) publie une conférence de M. Graham Carey sur l’attitude catholique vis-à-vis de l’art, qui contient beaucoup de vues intéressantes ; sans pouvoir les résumer toutes, notons-en quelques-unes : l’art doit être une « coopération avec la nature », en ce sens qu’il doit employer les matériaux fournis par celle-ci, d’une façon conforme à leur nature propre, pour en faire le support d’idées ou d’images produites par le mental humain, d’où une attitude qui est de « soumission » et de « domination » tout à la fois ; l’« adoration » de la nature et de l’art, constituant respectivement le « panthéisme » et l’« esthétisme » sont des attitudes non seulement irréligieuses, mais antireligieuses au fond ; on doit regarder l’art comme un « sacrifice », car l’artiste doit constamment sacrifier à son œuvre ses propres intérêts immédiats, et la nature comme un « sacramental », en ce sens que toutes les choses visibles sont des signes ou des symboles des vérités supérieures. Nous ne reviendrons pas sur la théorie des « quatre causes » et son application à l’art, ayant déjà vu ailleurs les idées de l’auteur à ce sujet(*) ; mais nous mentionnerons encore une remarque qui n’est qu’indiquée en passant et qui mériterait d être développée : avant la Renaissance, la philosophie prenait pour point de départ l’« étonnement » (l’admiratio au sens latin de ce mot) ; depuis la Renaissance, elle prend pour point de départ le « doute » ; et l’auteur pense que ce changement pourrait expliquer une grande partie de la différence existant entre les conceptions philosophiques des deux époques.

— Dans Contre-Révolution (no de décembre), M. J. Evola, dans un article intitulé Technique de la Subversion, étudie les diverses « suggestions » mises en œuvre pour provoquer et entretenir la déviation du monde moderne : suggestion « positiviste », faisant croire que l’histoire est « déterminée exclusivement par les facteurs économiques, politiques et sociaux », de telle façon que les hommes ne voient plus rien d’autre ; falsifications et contrefaçons destinées à détourner et à neutraliser les tendances « traditionalistes », et y réussissant trop souvent quand celles-ci se réduisent à de vagues aspirations ; « renversement » substituant un élément « sub-naturel » au « supra-naturel », comme dans le cas des diverses variétés du « néo-spiritualisme » ; attaque indirecte par laquelle « les forces secrètes de la subversion mondiale conduisent souvent les représentants d’une tradition à se persuader que la meilleure manière de défendre la leur est de discréditer celle des autres » ; tactique consistant « à diriger et à concentrer toute l’attention des adversaires sur des éléments qui ne peuvent qu’en partie ou d’une manière subordonnée être considérés comme responsables des méfaits » de ces forces occultes ; limitation de la « réaction » à un simple retour à telle ou telle phase moins avancée de la subversion ; substitution du principe à la personne, tendant à imputer au principe même les fautes et les insuffisances de ses représentants historiques. Une bonne partie de ces remarques s’inspire, comme l’auteur le déclare d’ailleurs expressément, de ce que nous avons dit nous-même en diverses occasions sur l’action de la « contre-initiation » ; peut-être eut-il été souhaitable que celle-ci y fût désignée d’une façon plus explicite que par l’expression assez vague de « forces de la subversion » ; mais, en tout cas, il est certainement très utile que ces choses soient exposées ainsi dans un organe s’adressant à des lecteurs bien différents des nôtres.

— Dans la Revue Juive de Genève (no de décembre), M. Paul Vulliaud consacre un article au Mysticisme juif ; comme il le dit, on a souvent contesté qu’il existe quelque chose à quoi puisse s’appliquer une telle désignation, et, en fait, cela dépend de ce qu’on entend par « mysticisme » ; il nous semble que lui-même prend ce mot dans un sens plutôt large et insuffisamment défini ; peut-être pourrait-on admettre qu’il convient dans une certaine mesure au Hassidisme, mais, en tout cas, la Kabbale est sûrement d’un tout autre ordre, ésotérique et initiatique. L’emploi du mot « piétiste » est aussi un exemple du danger qu’il y a à transporter certains termes d’une doctrine à une autre pour laquelle ils n’ont pas été faits : « le piétisme » est proprement une des nombreuses variétés du protestantisme, et il est presque synonyme de « moralisme » ; c’est là quelque chose qui est totalement étranger, pour ne pas dire opposé, non seulement à tout ésotérisme, mais même au simple mysticisme. À la fin de son article, M. Vulliaud proteste très justement contre l’opinion « rationaliste » (et « moderniste », ajouterons-nous) suivant laquelle la Kabbale constituerait une « hétérodoxie » dans le Judaïsme, et contre l’incompréhension des « critiques » imbus de l’esprit et des méthodes universitaires et qui vont jusqu’à qualifier le Zohar d’« ouvrage incohérent » !

— Dans le Speculative Mason (no de janvier), une étude est consacrée aux deux Colonnes du Temple, et tout d’abord à leur position respective, sur laquelle il est étonnant qu’il y ait eu tant de divergences, et même un désaccord entre les différents rites maçonniques, car les textes bibliques sont suffisamment explicites à cet égard. Quant aux noms de ces deux Colonnes, il est exact qu’on a tort de vouloir y voir des noms propres, mais, d’autre part, l’explication qui en est donnée ici contient une erreur linguistique : iakin est un seul mot, une forme verbale signifiant « il établira », et sa première syllabe n’a rien à voir avec le nom divin Iah. — Dans la suite de The Preparation for Death of a Master Mason, à propos des principaux enseignements de la « Tradition sacrée », la double nature mortelle et immortelle de l’homme donne lieu à des considérations dont une partie, où la « métempsychose » est d’ailleurs confondue avec la « réincarnation », trahit malheureusement une influence assez marquée des conceptions théosophistes.

P. S. — Nous avons eu dernièrement l’étonnement de voir annoncé sous notre nom, dans le catalogue d’une librairie d’occasion, un livre intitulé La Science philosophique, publié à Genève en 1917 et signé seulement des initiales A. M. A. ; pour ceux de nos lecteurs sous les yeux desquels ce catalogue pourrait être tombé, nous croyons utile de déclarer que cette attribution est une grossière erreur, et d’autant plus inexplicable que ce livre (dont le véritable auteur, mort il y a une dizaine d’années, nous est d’ailleurs connu) n’a, ni pour le fond, ni pour la forme, absolument rien de commun avec ce que nous écrivons.