Juin 1939

The American Scholar (no de printemps 1939) publie une conférence de M. Ananda K. Coomaraswamy intitulée The Vedânta and Western Tradition ; cette conférence fut faite devant un auditoire d’étudiants américains, n’ayant naturellement aucune connaissance des doctrines orientales ; c’est dire que la tâche n’était certes pas exempte de difficultés. L’auteur expose tout d’abord avec une remarquable clarté les caractères essentiels de la métaphysique traditionnelle, ce qu’elle est et aussi ce qu’elle n’est pas, insistant particulièrement sur les différences capitales qui la séparent de tout ce qui porte habituellement le nom de « philosophie ». Il prend ensuite les principaux points de la doctrine du Vêdânta, les éclairant par des parallèles avec d’autres doctrines traditionnelles, surtout avec celles des Grecs et du Christianisme, dont le langage doit être normalement plus familier à des Occidentaux, et montrant en même temps par là l’universalité de la tradition. Nous signalerons notamment les parties de l’exposé concernant Âtmâ et ses rapports avec le monde manifesté, la « transmigration » distinguée de la « métempsychose » et l’impossibilité de la « réincarnation », le processus de la réalisation spirituelle ; dans cette dernière, nous retrouvons l’explication de quelques-uns des symboles dont nous avons eu l’occasion de parler récemment(*), comme ceux du « rayon solaire », du « sommet de l’arbre » et de la « porte étroite », avec la distinction des états « élyséen » et « empyréen » et le passage de l’un à l’autre « à travers le Soleil ». En terminant, l’auteur a soin de préciser que, dans toute doctrine traditionnelle, il ne s’agit jamais d’une « recherche », mais seulement d’une « explicitation », et que « la Vérité ultime n’est pas quelque chose qui reste à découvrir, mais quelque chose qui reste à être compris par chacun, et chacun doit faire le travail pour lui-même ».

— De M. Ananda K. Coomaraswamy également, dans le premier numéro de la nouvelle revue roumaine Zalmoxis, « revue des études religieuses », une importante étude sur The Philosophy of Mediaeval and Oriental Art, qui, comme il le fait remarquer au début, aurait pu tout aussi bien s’intituler « la doctrine traditionnelle de l’art », puisqu’elle s’applique en réalité à tout art, avec deux seules exceptions, celle de la décadence « classique » et celle de l’époque moderne. Il emploie, dans cet exposé, les termes mêmes qui étaient en usage au moyen âge, car il est nécessaire, pour exprimer sans déformation les conceptions dont il s’agit, de garder la précision d’un vocabulaire « technique » qui n’a pas son équivalent de nos jours, et qui correspond d’ailleurs à une « façon de penser » très différente de celle des Occidentaux modernes, mais, par contre, très proche de celle des Orientaux, si bien qu’ici on peut envisager de véritables équivalences. Aujourd’hui, on ne considère plus comme œuvre d’art toute chose bien faite conformément à son usage, mais seulement certaines sortes particulières de choses, regardées même pour la plupart comme « inutiles » (c’est-à-dire « sans usage »), d’où la séparation anormale de l’art et de l’industrie. D’autre part, pour les modernes, l’œuvre d’art n’est plus quelque chose qui doit avant tout être compris intellectuellement, mais quelque chose qui s’adresse uniquement à la sensibilité (d’où l’idée de l’« esthétique ») ; il est à remarquer, à ce propos, que, si l’art traditionnel peut être dit « idéal » en ce qu’il est essentiellement une expression d’idées, c’est là en quelque sorte l’opposé du sens tout sentimental que le mot « idéal » a pris à notre époque. La définition de l’art comme « l’imitation de la Nature dans son mode d’opération » ne doit aucunement être entendue dans une acception « naturaliste » : il ne s’agit point de reproduire l’apparence des choses naturelles, mais au contraire de produire des choses différentes, quoique par un processus analogue à celui de la production des choses naturelles ; et c’est en cela que l’art est aussi, dans l’ordre humain, une véritable imitation de l’activité divine, sous cette réserve que l’artisan humain est forcé de se servir de matériaux déjà existants, tandis que l’« Artisan Divin » tire ses matériaux de l’infinie Possibilité. L’art doit partir d’un acte de « contemplation » (en sanscrit dhyâna) de l’idée ou de l’image mentale qui sera ensuite réalisée extérieurement, d’une façon appropriée à la nature des matériaux employés, au moyen d’outils aussi adéquats que possible, et en vue d’un but défini, qui est l’usage même auquel l’objet produit est destiné ; on reconnaît ici l’application à l’art de la théorie des « quatre causes », dont nous avons déjà parlé à diverses reprises à propos d’autres études sur l’art traditionnel.