Janvier 1940

— Dans le Harvard Journal of Asiatic Studies (no de juillet), M. Ananda K. Coomaraswamy étudie la signification de divers termes pâlis qui ont été inexactement interprétés dans des publications récentes ; il fait remarquer qu’on ne peut réellement les comprendre qu’en se référant à leur forme sanscrite et aux idées que celle-ci impliquait dans le milieu même auquel le Bouddhisme s’adressait originellement ; ceci présuppose une connaissance des Vêdas et des Upanishads, qui, par la suite, a trop souvent fait défaut aux commentateurs bouddhistes eux-mêmes. Les articles consacrés à quelques-uns des termes dont il s’agit constituent une véritable étude de la rhétorique et de la dialectique bouddhiques ; d’autres touchent plus directement à des points de doctrine et de symbolisme, et nous y retrouvons certaines des considérations que l’auteur a exposées ici même ; c’est là aussi que se trouve la note sur le pâsa, dont nous parlons d’autre part(*) dans notre article sur le « trou de l’aiguille ».

— Dans The Art Bulletin (vol. XXI, 1939), M. Coomaraswamy, rendant compte de plusieurs ouvrages se rapportant à l’histoire des arts et des métiers, revient sur les conceptions traditionnelles qu’il a déjà exposées à diverses reprises sur ce sujet ; il insiste notamment sur la valeur métaphysique réelle de l’art soi-disant « populaire » et « sauvage », en opposition avec l’art « académique » moderne qui en est entièrement dépourvu, et ceci se rattache directement aux considérations qu’il a développées dernièrement ici même sur la « mentalité primitive ».

— Le Christian Social Art Quarterly (no de printemps 1939) publie une conférence de M. Graham Carey sur « l’art catholique et les principes catholiques » ; l’auteur y dénonce le fait que, à l’époque actuelle, les catholiques, dans leur ensemble, acceptent les notions qui ont cours dans le monde non-catholique au milieu duquel ils vivent, par exemple la conception suivant laquelle l’art a pour fin principale le plaisir, ou celle suivant laquelle il est essentiellement affaire d’imitation ou de copie ; il montre que, « selon la vue traditionnelle et catholique de l’art, celui-ci n’est pas une fuite hors de la réalité, mais une glorification de la réalité » ; et il affirme nettement que, « avant l’époque de la Réforme et de la Renaissance, non seulement les Chrétiens, mais les habitants du monde entier, regardaient la vie humaine, avec tout ce qu’elle comporte, d’un point de vue sacré bien plutôt que profane », ce qui s’accorde entièrement avec tout ce que nous avons dit nous-même du caractère d’anomalie et de dégénérescence qui est inhérent au point de vue profane comme tel.

— Dans le Visva-Bharati Quarterly (no de février-avril), un article du Dr P. T. Raju, intitulé Traditionalism and interpretation of experience, étudie le point de vue des doctrines hindoues, ou du sanâtana dharma, en se référant principalement à nos ouvrages. L’auteur, tout en se déclarant d’accord avec nous quant au fond, ne voit pas d’inconvénient à l’emploi d’un mot tel que celui de « philosophie », appliqué par exemple au Vêdânta ; il semble n’avoir pas compris les raisons qui nous obligent à écarter certains termes, à cause des idées qu’ils évoquent du fait de l’usage courant, et qui, même si elles ne s’y attachaient pas à l’origine, en sont devenues inséparables ; ceci vaut également pour le mot même de « traditionalisme », qui, comme nous l’avons expliqué, est fort loin d’être synonyme d’« esprit traditionnel », et que nous rejetons absolument pour notre part. Quant à « prouver la vérité de la tradition par les méthodes mêmes qu’emploie le philosophe moderne », comme l’auteur le souhaite dans sa conclusion, on sait assez ce que nous pensons de ce genre de concessions à la mentalité profane. Elles sont tout à fait incompatibles avec le caractère transcendant de la pure doctrine traditionnelle, et nous pouvons dire, sans la moindre exagération, qu’elles vont directement à l’encontre de ce que nous avons en vue réellement.

— Dans Action et Pensée (no de juin), signalons un résumé de causeries faites par le Swâmî Siddheswarânanda sur La Méditation ; il est à regretter que l’idée de « qualification » y reste plutôt vague, sans aucune précision « technique », et surtout que l’auteur semble accepter les théories « évolutionnistes » et même « transformistes » des modernes. Il est d’ailleurs très vrai que la « méthode n’est qu’un accessoire » et que « l’essentiel est la Libération » ; mais, pour que la méthode soit réellement valable et non « arbitraire », et pour qu’elle puisse conduire véritablement au but, encore faut-il qu’elle soit conforme aux données de la doctrine traditionnelle, dont elle n’est en définitive qu’une application au développement des possibilités de l’être humain.

Atlantis (no de mai) contient un article de M. paul le cour sur L’Ordre du Temple et les Arabes, où il ne se trouve rien de bien nouveau (la plus grande partie en est tirée du Secret de la Chevalerie de V.-E. Michelet) ; mais que dire de la confusion entre Ismaël, fils d’Abraham, et le fondateur des Ismaéliens ? Un autre article intitulé Les Arabes et nous, par M. P. Basiaux-Defrance, contient, à côté de certaines choses exactes, beaucoup de rapprochements forcés ou fantaisistes ; il y aurait certes bien autre chose à dire sur ce sujet de l’influence arabe dans les pays occidentaux… Dans le numéro de juillet, l’article principal est un historique des Néo-Templiers (1705-1870), c’est-à-dire de la prétendue « restauration » de l’Ordre du Temple dont la période la plus connue est celle à laquelle est attaché le nom de Fabré-Palaprat. Le numéro de septembre est presque entièrement consacré à Léonard de Vinci johanniste (M. paul le cour écrit toujours ainsi « johanniste » au lieu de « johannite ») ; cette thèse peut assurément se soutenir, mais les arguments sur lesquels elle est appuyée ici ne sont pas des plus concluants.

Les Cahiers Astrologiques (no de juillet-août) contiennent un article de M. K.-E. Krafft, Origine et évolution de quelques symboles cosmologiques, où il y a malheureusement plus d’ingéniosité que de véritable symbolisme ; pour le dire franchement, il est peu sérieux de vouloir trouver un sens symbolique réel à des signes d’origine aussi moderne et profane que ceux des planètes Uranus et Neptune ; c’est à peu près comme si l’on cherchait de l’hermétisme dans les armoiries fabriquées, en dépit de toutes les règles héraldiques, postérieurement à la Renaissance ! Cet article est suivi du début de la traduction d’une étude Sur le sens et l’origine des symboles des planètes, par Otto von Bressendorf, qui ne semble pas avoir non plus une base bien solide au point de vue traditionnel ; elle s’inspire d’ailleurs des travaux d’Hermann Wirth, qui n’est pas précisément une autorité incontestable à cet égard.

— Dans le Speculative Mason (no de juillet), dans la suite de The Preparation for Death of a Master Mason, l’auteur insiste sur la nécessité, pour le développement spirituel, d’envisager toutes choses avec une autre signification que celle qu’on leur donne d’ordinaire, c’est-à-dire en somme sous le point de vue « sacré », et il montre l’application de cette méthode dans le cas du symbolisme maçonnique. Un autre article revient sur la question des deux colonnes et sur quelques-unes des confusions qui se sont produites à leur sujet ; une des plus curieuses est celle qui, de colonnes sur lesquelles étaient gravés les principes des sciences traditionnelles, comme celles dont il est question dans la légende d’Hénoch, a fait des colonnes creuses destinées à contenir à leur intérieur les archives de la Maçonnerie ! — Dans le numéro d’octobre, une note sur les « vertus cardinales » montre que, chez Platon et Plotin, celles-ci avaient un sens tout autre que simplement « moral » et beaucoup plus profond ; une autre, sur le « pouvoir de la pensée », est trop visiblement influencée par les théories psychologiques modernes, qui sont bien éloignées de toute donnée authentiquement initiatique sur ce sujet.

— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no de septembre), un article précise la position des deux colonnes du Temple de Salomon, qui a donné lieu à d’interminables discussions, alors qu’il aurait en somme suffi de se reporter aux textes bibliques et de savoir les lire ; le point important, et qui est bien établi ici, c’est que, dans ces textes, la « droite » et la « gauche » désignent respectivement, et d’une façon constante, le sud et le nord, c’est-à-dire les points qu’on a à sa droite et à sa gauche quand on se tourne vers l’Orient.

— Dans le Symbolisme (nos de mai et juin), G. Persigout, revenant sur la figure d’Éliphas Lévi qu’il avait déjà étudiée dans son précédent article, parle de L’Hexagramme pentalphique et magique ; il essaie d’interpréter l’énigmatique Sator arepo tenet opera rotas, inscrit dans le « carré magique » qui en forme le centre, mais cette interprétation ne paraît pas moins hypothétique que tant d’autres qui en ont été proposées. Au surplus, il montre, dans toute cette étude, une forte tendance à « noircir » les choses, parlant d’« Hexagramme dévoyé » et de « Binaire impur », et s’attardant au sens le plus inférieur au lieu de rechercher des significations plus élevées et en même temps plus « légitimes » ; l’influence de la psychanalyse se fait vraiment un peu trop sentir là-dedans, et nous y voyons même aussi, par moments, planer l’ombre inquiétante de feu H. de Guillebert des Essarts… — Dans le numéro de mai, une étude sur L’Epée flamboyante, par Marius Lepage, tourne quelque peu autour du sujet, si l’on peut dire, plutôt qu’elle n’y pénètre véritablement ; la plus grande partie, en effet, ne se rapporte en réalité qu’au symbolisme général de l’épée. — Dans le numéro de juillet, G. Persigout étudie Le Symbolisme du Sceau de Salomon ; nous retrouvons ici le mélange de « documentation » traditionnelle et profane que nous avons déjà noté chez lui à diverses reprises, et qui ne contribue pas précisément à éclairer les questions ; la conception qu’il se fait de l’« Androgynat » primordial, en particulier, est loin de se dégager avec toute la netteté désirable. — Dans le numéro d’août-septembre, un article sur Les Nombres en Architecture opérative, par Morvan Marchal, contient de fort judicieuses réflexions sur l’art traditionnel de l’antiquité et du moyen âge, sur sa supériorité par rapport à l’« académisme » et au « désarroi architectural actuel », et sur le caractère de « décadence » d’un art qui « prétend relever de la libre fantaisie individuelle et du seul domaine subjectif » ; pourquoi faut-il que tout cela soit gâté, à la fin, par un passage où il est question de l’« animalité ancestrale », et dont le ton « progressiste » est en étrange contradiction avec les considérations qui précèdent ?