Février 1940

— Dans la Nouvelle Revue Française (no de septembre), un article de M. Paul-Louis Couchoud, intitulé Jésus, dieu ou homme ? fournit un assez bon exemple des difficultés artificielles et des « problèmes » imaginaires auxquels donne lieu le point de vue profane : l’auteur croit trouver une incompatibilité entre la réalité historique et la signification symbolique, de sorte qu’il les considère comme deux termes d’une alternative entre lesquels il faut choisir ; dès lors que l’on comprend que les faits historiques doivent au contraire porter en eux-mêmes un sens symbolique, il est bien évident que la question ne se pose plus de cette façon, et que même, au fond, il n’y a plus de question du tout. Il y a là d’ailleurs des considérations assez peu claires, et qui sont peut-être destinées surtout à éviter certains reproches d’hostilité à l’égard du Christianisme : ainsi, il paraît que le « Dieu-homme » n’est pas un mythe, mais une « représentation religieuse » ; mais il est difficile de savoir quelle différence cela fait au juste, car, tout en affirmant que « la représentation religieuse est quelque chose de plus simple et profond » et qu’« elle est primordiale par rapport aux rites et aux mythes », l’auteur n’arrive pas à expliquer d’une façon tant soit peu précise ce qu’il entend par là. On peut aussi se rendre compte, en lisant un tel article, de l’impuissance de la seule « érudition » à conduire à quelque résultat valable : par exemple, les recherches sur l’« Homme céleste » auraient dû pouvoir faire tout au moins entrevoir certains côtés de la vérité ; mais, comme l’auteur n’y voit évidemment qu’une « représentation » d’origine purement humaine, et qui s’explique apparemment, à son avis, par des considérations d’ordre psychologique, il n’y trouve qu’une confirmation de sa théorie et ne découvre absolument rien de ce qui y est réellement impliqué au point de vue traditionnel.

— Dans Atlantis (no de novembre), M. paul le cour parle de ce qu’il appelle La Croix rouge des Templiers dans les temps modernes, c’est-à-dire de certaines « survivances » qu’il croit découvrir çà et là, mais qui, à vrai dire, sont des plus problématiques : ainsi, notamment, il est plus que douteux qu’il y ait dans la croix rouge des ambulances la moindre réminiscence templière… Quant à la croix qui sert d’insigne aux scouts catholiques, c’est évidemment une « croix de Jérusalem », et non pas une croix templière ; il est vrai que M. paul le cour s’imagine que les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem furent « l’origine des Chevaliers Templiers », alors que, en réalité, ils furent leurs rivaux et même leurs adversaires. N’insistons pas sur l’idée bizarre d’utiliser le scoutisme en vue d’une soi-disant restauration de l’Ordre du Temple ; il est par trop difficile de prendre de pareilles rêveries au sérieux, et en tout cas, si même il arrivait qu’elles soient acceptées quelque jour par les organisations dont il s’agit, cela ne pourrait jamais, en l’absence de toute transmission authentique, aboutir qu’à une sorte de mascarade, assez comparable, par exemple, à celles du « néo-druidisme » et du « néo-germanisme » ; ajoutons que, si vraiment il y a actuellement en Allemagne quelque idée d’une restauration de l’Ordre Teutonique, cela encore ne peut que rentrer dans la même catégorie de simulacres dépourvus de toute valeur effective, car l’Ordre Teutonique, en tant qu’organisation traditionnelle, est bien mort lorsque son dernier Grand Maître, Albert de Brandebourg, se convertit au luthérianisme. À propos du chapeau des scouts, M. paul le cour dit qu’« il y aurait une bien curieuse étude à faire au sujet des coiffures symboliques » ; cela est assurément très vrai, mais, pour ce qui est du chapeau lui-même, il ne faudrait pas oublier qu’il a un caractère aussi nettement antitraditionnel que possible ; n’est-il pas remarquable que, quand on veut détourner un peuple de sa tradition, on commence invariablement par lui imposer le port du chapeau ? Signalons encore une curieuse méprise historique : M. paul le cour a vu « un tableau représentant saint Bernard prêchant à Vézelay la deuxième croisade, en présence de saint Louis » ; il a sûrement dû confondre les personnages, car il y a là une erreur d’un siècle, tout simplement, et, saint Louis étant né une soixantaine d’années après la mort de saint Bernard, ils n’ont certainement pu jamais se rencontrer, du moins en ce monde !

— Dans le Mercure de France (no du 15 juillet), le même M. paul le cour a publié un article intitulé À la recherche d’un Ordre perdu, également consacré à l’Ordre du Temple, qui semble décidément le hanter au point de faire passer l’Atlantide elle-même au second plan de ses préoccupations… Nous retrouvons là, en abrégé, quelques-unes des considérations qui ont été plus amplement développées dans Atlantis, notamment sur la venue imminente de la fameuse « ère du Verseau », sur la prétendue restauration de l’Ordre Teutonique, sur l’opportunité de restaurer l’Ordre du Temple pour lui faire en quelque sorte contrepoids, et aussi sur le scoutisme comme point de départ possible de cette restauration. Cet article revêt les allures d’un véritable « manifeste », et on se demande à quoi tout cela peut bien tendre en réalité ; du reste, s’il s’agit d’un « Ordre perdu », comment pourrait-il y avoir là plus que l’objet de simples recherches historiques et archéologiques ?

— Le Lotus Bleu (no de juillet) contient un article signé S. Glachant et intitulé Aspects occultes de l’affaire des Templiers ; il devait avoir une suite, mais il ne semble pas qu’elle ait paru jusqu’ici. Dans cette première partie, l’auteur, après une sorte de résumé historique, examine surtout les accusations plus ou moins étranges qui furent portées contre les Templiers, et il cherche à expliquer les symboles qu’on dit avoir été en usage chez ceux-ci en les rapportant à des doctrines « esséniennes et gnostiques », ce qui ne représente d’ailleurs que des étiquettes plutôt vagues, car on sait bien peu de chose des Esséniens, et on désigne indistinctement comme « gnostiques » des choses fort disparates ; en somme, il n’y a dans tout cela rien de bien nouveau, mais n’est-il pas singulier que, de divers côtés, on s’occupe tant en ce moment de l’Ordre du Temple ?

— Le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no d’octobre) contient un article sur le tablier maçonnique, qui fait surtout ressortir l’étonnante variété des formes en usage à différentes époques et dans différents pays ; il semble qu’il y ait là un certain désordre, qui, pour cela comme pour bien d’autres choses, est sans doute dû principalement à l’oubli des origines « opératives ». Une question plus intéressante, mais à laquelle il n’est fait ici qu’une trop brève allusion, est celle de l’emploi symbolique du tablier chez les peuples anciens ; nous noterons à cet égard une citation d’où il résulte que, en Chine, il faisait partie du costume sacrificiel dès les temps les plus reculés.