Avril 1940

— La Nouvelle Revue Française (nos de décembre et de janvier) publie une longue étude de M. Roger Caillois intitulée Théorie de la fête ; ce n’est bien, en effet, qu’une « théorie », et c’est là, pourrait-on dire, le premier de tous ses défauts. L’auteur part d’une définition qui n’est au fond que celle d’un genre particulier de fêtes, de celles que nous appellerions volontiers les fêtes « carnavalesques » ; et il prétend en faire une définition de « la fête » en général, comme si tout devait rentrer dans ce type unique, qui est au contraire, en réalité, quelque chose de très spécial, et dont la nature soulève d’ailleurs des questions que nous traiterons peut-être quelque jour(*). Ensuite, il oppose le temps des fêtes à l’« existence quotidienne », et, dans cette opposition, il veut voir une application de la « distinction du sacré et du profane » ; mais, pour qu’il puisse en être ainsi, il faut tout d’abord qu’il y ait du « profane », et cela, comme nous l’avons souvent expliqué, suppose une dégénérescence comme celle que nous constatons dans le monde moderne ; dans une civilisation intégralement traditionnelle, toutes les occupations « quotidiennes » ont aussi un caractère sacré et rituel ; dans le cas de dégénérescence, par contre, il s’introduit fréquemment des éléments profanes dans les fêtes elles-mêmes, et, quand les choses en arrivent à leur point le plus extrême, on a finalement des fêtes entièrement profanes, comme les fêtes « civiles » qui prennent une importance toujours croissante dans l’Occident actuel ; la distinction ne saurait donc s’appliquer en aucune façon. L’auteur, comme tous les « sociologues », cherche d’ailleurs volontiers ses exemples chez les peuples dits « primitifs », mot que nous devons traduire par dégénérés, bien qu’ils le soient autrement et peut-être souvent moins profondément encore que les « civilisés » modernes, mais en tout cas assez pour que les choses se présentent chez eux sous une forme plutôt obscure et confuse, ce qui ne contribue certes pas à éclaircir les questions où on les fait intervenir. Nous n’en finirions pas si nous voulions relever toutes les méprises et les confusions qui se rencontrent au cours de cette étude (et parmi lesquelles nous retrouvons notamment l’abus du mot « initiation », appliqué à tort à des rites communs à tous les membres d’un peuple ou d’une tribu, ainsi que nous avons eu l’occasion de le signaler dans un de nos derniers articles(**)) ; mieux vaut donc ne pas y insister davantage ; mais, pour ne retenir ici que l’essentiel, que doit-on penser d’une théorie qui aboutit à faire de la « parodie » et du « sacrilège » des éléments caractéristiques du « sacré » lui-même, et de la conception d’un « temps mythique » dans lequel l’« âge d’or » s’assimile au « chaos » ?

— Dans Action et Pensée (no de décembre), le Swâmî Siddheswarânanda parle de Shrî Aurobindo, à propos de la récente publication de la traduction française de plusieurs de ses livres, dont nous avons rendu compte dernièrement ; il nous semble y avoir, dans la façon dont les choses sont présentées ici, une certaine tendance à essayer de dépouiller le Yoga de son caractère proprement hindou, ce qui est plutôt dangereux, car la plupart des Occidentaux ne seraient que trop facilement tentés d’en conclure que le développement spirituel peut être entrepris et poursuivi en dehors de tout rattachement traditionnel, et cette erreur est déjà trop répandue pour qu’il convienne de l’encourager. Du reste, en voulant se montrer « accommodant » à l’extrême, on dépasse parfois le but qu’on s’était proposé ; ainsi, quand on dit, sans doute pour faire preuve de bienveillance, que « l’Europe possède l’organisation et la hiérarchie », cela ne risque-t-il pas de paraître d’une ironie plutôt amère à tous ceux (et il y en a tout de même quelques-uns parmi les Européens) qui se rendent compte de ce qu’il en est réellement à l’époque actuelle ?

— Dans Atlantis (no de janvier), l’article principal est consacré aux Cathares ; c’est là, pour M. paul le cour, une excellente occasion de confondre les choses les plus différentes et de dérouler toute une série de ces rapprochements linguistiques fantaisistes où il excelle, et qu’il se plaît à décorer du nom pompeux de « hiérologiques » : les Cathares, sainte Catherine, Kether, El-Kantara, l’Alcazar (qui est en réalité El-Qasr et n’a rien à voir avec César et le Kaiser), et l’inévitable Aor-Agni, vraiment un peu déformé ; pourquoi pas tout aussi bien, pendant qu’il y est, la « cithare » ou le nombre « quatre » ? Quant aux arrière-pensées qu’il peut y avoir sous tout cela, nous préférons ne pas chercher à les deviner, et nous nous contenterons d’enregistrer l’aveu d’une déconvenue déjà éprouvée du côté du Scoutisme… — Puisque M. paul le cour s’obstine à mêler notre nom aux histoires qu’il raconte à sa façon, nous sommes encore obligé de lui dire, d’abord, que nous n’avons jamais eu les diverses « prétentions » qu’il nous attribue gratuitement (pas même la prétention au titre de « docteur », qui d’ailleurs, en ce qui nous concerne, serait plutôt ridicule à nos propres yeux) ; ensuite, que nous ne nous sommes jamais intéressé à ces choses, d’ailleurs spécifiquement occidentales, qui s’appellent « philosophie » et « mystique », mais uniquement aux questions d’ordre ésotérique et initiatique ; enfin, que nous ne sommes jamais « passé » ni à une chose ni à une autre, comme tout ce que nous écrivons le montre suffisamment à quiconque sait lire et comprendre ce qu’il lit sans y mêler le produit de son imagination, ce qui, malheureusement, ne semble pas être le cas de M. paul le cour !

— Le Lotus Bleu (no d’octobre-décembre) donne la fin de l’article intitulé Aspects occultes de l’affaire des Templiers, dont nous avons déjà parlé(***) ; à part une allusion à la « prophétie de saint Malachie », qui semble aussi préoccuper beaucoup de gens, et des considérations plutôt superficielles sur l’octogone et quelques autres symboles, il n’y a là rien de particulièrement remarquable ; mais ce qui l’est davantage, c’est, redisons-le encore, l’insistance avec laquelle certains reviennent actuellement sur ce sujet des Templiers…

— Dans le Speculative Mason (no de janvier), la continuation de l’étude sur The Preparation for Death of a Master Mason amène l’auteur, pour montrer l’unanimité de la « tradition sacrée », à examiner trois textes de provenance très différente, concernant les conditions posthumes de l’être humain : le premier est un extrait des œuvres de Jacob Bœhme ; le second est le Bardo Thödol thibétain, dont un résumé occupe la plus grande partie de l’article ; le troisième, qui sera étudié dans la suite, est le huitième chapitre de la Bhagavad-Gîtâ.