Juin 1940

— Dans le Bulletin of the Museum of Fine Arts de Boston (no d’avril), M. Ananda K. Coomaraswamy étudie un émail indien du xvie siècle, qui représente les dix Avatâras de Vishnu, avec, pour deux d’entre eux, des particularités qui semblent être assez rares et qu’il est intéressant de noter au point de vue symbolique : le neuvième Avatâra est représenté sous la figure de Jagannâtha, et le dixième sous celle d’un cheval sans cavalier et portant un parasol, conduit par un personnage qui peut être Indra, ce qui rappellerait les anciennes figurations bouddhiques du « grand départ » ; mais ne pourrait-on penser aussi que ce personnage couronné est celui qui, suivant certaines traditions, doit amener Kalki de la mystérieuse cité de Shambala ? En tout cas, il doit être bien entendu que les rapprochements que l’on peut trouver entre l’iconographie hindoue et bouddhique ne font en réalité que « rétablir une unité fondamentale qui a été obscurcie par la forme pseudo-historique donnée à la légende du Bouddha », au détriment de sa signification originelle et vraiment profonde. Signalons encore, en connexion avec un autre sujet, celui du symbolisme du théâtre, la remarque que le mot avatarana est employé pour désigner l’entrée en scène d’un acteur, « qui est une apparition de derrière un rideau et une “manifestation” analogue à celle de l’Avatâra sur la scène du monde ». L’explication du rôle des Avatâras est, comme on le sait, donnée par Krishna à Arjuna (Bhagavad-Gîtâ, IV, 6-7), dans le dialogue dont la représentation, peut-être pour cette raison même, occupe la position centrale dans l’émail dont il s’agit, comme si Krishna, pour « illustrer » en quelque sorte ses paroles, montrait ainsi à Arjuna tous les autres Avatâras réunis autour de lui.

— Le Lotus Bleu (no de janvier-février) contient un article de M. G.-E. Monod-Herzen intitulé Tendances modernes du Yoga, et ce titre même est assez significatif ; nous dirions plutôt, pour notre part, que certains ont voulu associer au Yoga des tendances modernes qui lui sont évidemment étrangères, et l’exemple de Vivêkânanda ne le montre en effet que trop ; quant à Shrî Aurobindo, nous ne pensons vraiment pas qu’on soit en droit de le considérer comme un « moderniste », en dépit de certaines ambiguïtés du langage qu’il emploie et des imprudences regrettables de quelques-uns de ses disciples. Ce qui est bon à enregistrer, d’autre part, c’est la déclaration que les théosophistes ont « une attitude opposée à celle que le Yoga exige » ; voilà du moins une vérité qui nous paraît incontestable ! Un autre article, signé J. Charpentier, est consacré au Mânava-Dharma-Shâstra, et l’on y trouve tout d’abord un essai plutôt étrange d’explication de certains points, notamment de l’institution des castes, par des théories théosophistes sur les « niveaux d’évolution » ; mais il y a ensuite quelque chose qui est encore plus curieux : il paraîtrait qu’il existe actuellement « un courant de propagande en faveur des Lois de Manou dans l’Occident européen » ! Cela est fort invraisemblable, et nous nous demandons s’il ne s’agirait pas encore de quelque nouvelle « contrefaçon » ; mais, si pourtant c’était vrai, nous serions bien d’accord avec l’auteur pour estimer que c’est là une entreprise impossible ; seulement, c’est pour des raisons diamétralement opposées aux siennes : les Lois de Manou ne sont plus applicables, non point parce qu’elles appartiennent à « un passé qui a perdu pour nous sa valeur éducative » (?), mais bien parce que nous vivons dans la confusion des derniers temps du Kali-Yuga. L’auteur, qui ignore trop évidemment les lois cycliques, admire le « progrès » en vertu duquel « les lois ne sont plus d’origine divine » et « la science n’est plus une révélation » ; nous disons au contraire, conformément à toutes les doctrines traditionnelles, que ce sont là précisément les marques les plus nettes d’une dégénérescence profane telle qu’il n’est guère possible de tomber plus bas !

— Dans le Speculative Mason (no d’avril), un article intitulé The Perpend Ashlar contient des considérations qui, comme toutes les « spéculations » inspirées de la « géométrie à quatre dimensions », n’ont qu’un rapport assez contestable avec le symbolisme traditionnel ; du reste, l’origine même de l’expression perpend ashlar est plutôt énigmatique, et, malheureusement pour la thèse de l’auteur, il est fort probable que le mot perpend n’a ici aucun lien étymologique réel avec « perpendiculaire », et qu’il est tout simplement une déformation du vieux terme français « parpaing ». — Un autre article renferme des réflexions diverses sur la « foi » et sa distinction d’avec la simple « croyance », sur le symbolisme en général, et sur le symbolisme du tablier en particulier. — Signalons enfin, une étude sur « l’immortalité dans la doctrine maçonnique », où il est montré très justement que la véritable immortalité est tout à fait différente d’une simple « survivance » posthume, qu’il n’y a d’ailleurs pas lieu de chercher à la « prouver », mais qu’elle est quelque chose qui doit être « réalisé » au sens le plus complet de ce mot.

— Dans le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no de mars), il est question cette fois de ce qui est appelé la « clef du mot de Maître », et la conclusion semble être que cette « clef » n’est autre en somme que la Bible elle-même ; encore conviendrait-il d’ajouter que c’est à la condition de prendre celle-ci dans son sens profond, car il est trop évident que, si l’on se contente de la lire « exotériquement », et surtout dans des traductions en langue vulgaire, on ne pourra jamais y trouver rien de plus que des « mots substitués ». À cette occasion, nous ferons incidemment une petite remarque : nous avons toujours été étonné par l’expression « maître-mot », que certains emploient assez fréquemment à notre époque, et qui semble ne présenter aucun sens plausible ; n’aurait-elle pas son origine dans quelque traduction fautive, et n’est-ce pas plutôt « mot de Maître » qu’il faudrait dire en réalité ?