Décembre 1945

— Les Cahiers du Sud ont publié, en juin-juillet 1941, un volumineux numéro spécial intitulé Mélanges sur l’Inde ; ce titre n’est peut-être pas très heureux en lui-même, mais il faut reconnaître que, en fait, il exprime assez bien le caractère du contenu, qui est effectivement très « mélangé » ; c’est d’ailleurs ce qui arrive à peu près inévitablement dans une revue « ouverte », à laquelle manque l’unité de direction doctrinale. La « présentation » elle-même se ressent un peu trop de cet « éclectisme » ; et, en ce qui nous concerne, nous devons dire que, malgré la façon élogieuse dont il y est parlé de nous, il semble y avoir là une certaine incompréhension du point de vue auquel nous nous plaçons, et que nous sommes d’ailleurs assez peu flatté de voir notre nom rapproché de certains autres représentant des « attitudes » diverses, mais toutes très occidentales, qui n’ont certes rien de commun avec la nôtre ! L’article liminaire, Le Message de l’Inde, par M. Jacques Masui, témoigne assurément d’excellentes intentions, mais l’impression qui s’en dégage est quelque peu confuse, comme si l’auteur avait essayé d’y fusionner différents points de vue qu’il est assez difficile de concilier. La plupart des traductions et un certain nombre d’articles sont dus à M. Jean Herbert et à ses collaborateurs habituels ; comme les sujets qui y sont traités se retrouvent en grande partie dans ses publications récentes, dont nous pensons pouvoir parler prochainement, nous ne les examinerons pas ici en détail. Parmi les autres articles, Inde et Occident, signé Satyanârâyana, est une appréciation très juste de la civilisation occidentale moderne et de l’effet plutôt désagréable qu’elle produit sur les Orientaux qui entrent en contact avec elle pour la première fois. Un long Aperçu du développement religieux et philosophique de l’Inde brâhmanique, signé seulement des initiales G. B., n’est au fond, comme le titre même peut du reste le faire prévoir, qu’une sorte de résumé des conceptions orientalistes dans ce qu’elles ont de plus contraire à l’esprit traditionnel hindou. Dans Les « mystères » du Yoga, le Swâmî Pavitrânanda a grandement raison de s’opposer aux imaginations plus ou moins extravagantes des amateurs de « pouvoirs » et de « phénomènes », mais non pas de vouloir y substituer des vues d’un « simplisme » un peu trop moderne ; et dans Les fondements philosophiques du Yoga, le professeur Akshaya Kumar Banerji s’en tient à un point de vue beaucoup trop « philosophique » en effet pour pouvoir vraiment rendre compte de choses qui sont en réalité d’un tout autre ordre ; dans tout cela, le caractère proprement initiatique du Yoga, qui en constitue pourtant tout l’essentiel, est complètement perdu de vue. Nous préférons de beaucoup, dans le domaine particulier où elle se tient, l’étude de M. René Daumal intitulée Pour approcher l’art poétique hindou, qui expose brièvement, mais clairement, les principes généraux de cet art. La science d’aujourd’hui et la pensée traditionnelle de l’Inde, par M. L. Barbillion, appelle toutes les réserves que nous avons souvent formulées à l’égard de ce genre de rapprochements avec la science profane des modernes, et il faut d’ailleurs constater que, en réalité, il y est assez peu question de la pensée hindoue ; Le message mathématique de l’Inde, par M. F. Le Lionnais, est vraiment bien sommaire et bien faible, et il y aurait eu assurément bien d’autres choses à dire sur ce sujet. Par contre, l’article de M. Émile Dermenghem sur L’Inde et l’Islam est fort intéressant, et il faut seulement regretter que le cadre dans lequel il a dû le faire tenir ne lui ait pas permis de donner à certaines des considérations qu’il renferme tout le développement qu’elles auraient mérité. Avec les Réflexions sur la mentalité indienne dans ses rapports avec la nôtre de M. Jean Grenier, nous revenons, pour la plus grande partie tout au moins, aux opinions courantes des orientalistes. Vers la fin du volume, sous le titre Au seuil de l’Inde, M. Benjamin Fondane commence par protester très justement contre l’ignorance dont les historiens plus ou moins « officiels » de la philosophie font preuve à l’égard de beaucoup de doctrines anciennes de l’Occident, et précisément de celles qui seraient les plus dignes d’intérêt, ce qu’on pourrait cependant excuser, à notre avis, en faisant remarquer que ces doctrines sont effectivement au delà du point de vue de la philosophie, du moins telle qu’on l’entend aujourd’hui, de sorte qu’elles n’ont pas à figurer dans son histoire ; malheureusement, tout cela n’est que pour arriver à prétendre que, contrairement à ce qu’en pensent les autres collaborateurs, l’Occident n’a rien à envier à l’Inde sous le rapport intellectuel, comme si, dans l’état actuel des choses, une tradition toujours vivante pouvait se comparer avec des traditions mortes depuis longtemps et, de l’aveu même de l’auteur, à peu près entièrement oubliées des Occidentaux actuels !

— Le Speculative Mason (numéro de juillet 1940) contient un article sur le premier tracing board (tableau de la Loge d’Apprentis) considéré comme image du Cosmos, une assez bonne analyse de la Bhagavad-Gîtâ, peut-être un peu influencée par des préoccupations d’« actualité », et une étude sur Lady Godiva, légende médiévale anglo-saxonne qui paraît avoir ses racines dans des traditions préchrétiennes. — Le numéro d’octobre contient un historique de la construction de l’abbaye de Saint-Alban, en relation avec certaines légendes de la Maçonnerie opérative, et une étude sur Mary Ann Atwood, auteur de l’ouvrage anonyme intitulé A Suggestive Inquiry into the Hermetic Mystery, continuée dans le numéro de janvier 1941. Dans le numéro d’avril 1941, nous signalerons un résumé des anciennes traditions concernant l’Atlantide et des constatations géologiques qui semblent de nature à les confirmer, et une étude sur les rapports de la Kabbale et de la Maçonnerie, poursuivie dans les numéros de juillet et d’octobre. Cette dernière étude contient un grand nombre d’indications curieuses, mais certains points en sont assez contestables, et tous les rapprochements mentionnés ne sont pas également probants, ni toutes les sources citées également valables ; il ne faut, pensons-nous, envisager une influence réelle et plus ou moins directe de la Kabbale que dans les cas où il s’agit de détails très précis, et non pas seulement de similitudes qui peuvent exister normalement entre toutes les traditions initiatiques, et il convient de remarquer en outre que la science des nombres est fort loin d’être propre à la seule Kabbale hébraïque. — Dans le numéro de juillet, une étude historique sur le développement du grade de Compagnon dans les premiers temps de la Maçonnerie spéculative, continuée dans le numéro d’octobre, un article sur le symbolisme du centre, envisagé plus particulièrement dans ses connexions, telles que les établissent les rituels opératifs, avec l’Étoile polaire, le fil à plomb et le swastika, et enfin une note sur les tokens des anciennes corporations. — Dans le numéro d’octobre, une bonne critique des historiens maçonniques qui veulent s’en tenir exclusivement à la méthode soi-disant « scientifique » (et surtout profane, dirions-nous) n’admettant aucune « évidence » d’un autre ordre que celle des seuls documents écrits ; dans ce même numéro et dans les suivants (janvier, avril, juillet et octobre 1942), une étude très détaillée sur le symbolisme rituélique de l’initiation au grade d’Apprenti. — Le numéro de janvier 1942 contient la traduction de notre article sur Mythes, mystères et symboles(*), ainsi que celle de l’article de Marius Lepage sur L’Épée flamboyante, paru précédemment dans le Symbolisme et que nous avons déjà mentionné en son temps. — Dans le numéro d’avril, un article sur le personnage énigmatique désigné sous le nom de Naymus Grecus dans certaines copies des Old Charges (anciens manuscrits opératifs), comme ayant introduit la Maçonnerie en France à l’époque de Charles Martel, et sur une hypothèse essayant de l’identifier avec Anthémius de Tralles, l’architecte de Sainte-Sophie de Constantinople. Signalons aussi, dans ce numéro et dans celui de juillet, une étude assez brève, mais intéressante, sur Pythagore et les anciens Mystères, au cours de laquelle est naturellement rappelé le Peter Gower des Old Charges, ainsi que la confusion connexe des « Phéniciens » avec les « Vénitiens ». — Dans le numéro de juillet, une note sur quelques vestiges des anciens Mystères qui se sont conservés jusqu’à nos jours, d’une façon assez inattendue, dans le théâtre des marionnettes (ce qui est un exemple de ce que nous avons dit des origines réelles du « folklore »), et un article sur les titres chevaleresques usités dans la « Rose-Croix de Heredom », et plus particulièrement sur la signification de celui de Via Determinata adopté par l’auteur. — Dans le numéro d’octobre, outre la suite de ce dernier article, une étude sur la signification des « coups » rituéliques des différents degrés (constituant ce qui est appelé la « batterie » dans la Maçonnerie française), et une note sur le « crampon » (clamp ou cramp, appelé aussi lewis), instrument employé pour élever les pierres depuis le sol jusqu’à la place qu’elles doivent occuper dans la construction, et qui appartient plus spécialement au symbolisme de la Mark Masonry.