Août 1946
— La revue Atlantis a repris sa publication ; dans son numéro de mars 1946, le premier dont nous ayons eu connaissance, le principal article est intitulé Les Vierges noires et l’Atlantide. Il y a là un rapprochement dont la raison peut ne pas apparaître à première vue, et pourtant c’est bien simple au fond : les Vierges noires auraient succédé à d’anciennes « déesses-mères » dont le visage, à ce qu’il paraît, était formé d’une pierre noire ; or, s’il fallait en croire M. paul le cour, les pierres noires seraient d’origine volcanique, et il faudrait y voir « le souvenir de l’Atlantide, mère des civilisations, disparue dans des convulsions volcaniques ». Malheureusement pour cette thèse, les pierres noires, comme nous le rappelons encore par ailleurs à propos du lapsit exillis(*), n’étaient point des pierres volcaniques, mais des aérolithes, ce qui est quelque peu différent… Passons sur diverses fantaisies linguistiques, dont la plupart ne sont d’ailleurs pas nouvelles, et aussi sur une attaque contre l’Inde, à laquelle on reproche d’ignorer « l’hermétisme rose-croix » (sic) ; mais remarquons que la question des « visages noirs » comme désignation de certains peuples, à laquelle il est fait allusion à propos de l’« Éthiopie », pourrait donner lieu à des considérations assez intéressantes que l’auteur ne paraît pas soupçonner(**).
— Le numéro de mai de la même revue est consacré pour la plus grande partie au Compagnonnage, sur lequel il ne contient d’ailleurs que des généralités un peu vagues ; il est d’autant plus facile d’en rapporter l’origine aux Esséniens que, sur ceux-ci, on ne sait, en somme, pas grand’chose de précis. Il est très vrai que la communion fut tout d’abord un rite initiatique ; mais au point de vue du Christianisme, il ne faudrait pas confondre l’Eucharistie avec les « agapes » (dont la seule trace qui subsiste est la distribution du pain bénit à laquelle il est aussi fait allusion d’autre part) ; et pourquoi paraître ignorer que, dans tous les rites chrétiens orientaux (y compris ceux qui sont rattachés à Rome), la communion sous les deux espèces n’est nullement réservée aux prêtres ? D’autre part, il est fort douteux, pour ne pas dire plus, que les vocables des églises aient jamais été choisis par les Compagnons qui les construisirent ; ces églises, du reste, sont bien loin de porter toutes uniformément le titre de « Notre-Dame ». Au sujet du caractère artistique du « chef-d’œuvre », M. paul le cour ne manque pas de commettre l’erreur « esthétique » habituelle aux modernes et si bien dénoncée par M. Coomaraswamy ; mais ce qui sort davantage de l’ordinaire, c’est l’affirmation que « saint Thomas appuie le Christianisme sur le Judaïsme » ; l’aristotélisme serait-il donc judaïque ? Signalons encore à l’auteur que la Maçonnerie spéculative ne s’est jamais appelée « Maçonnerie philosophique », cette désignation étant exclusivement réservée à une certaine série de hauts grades ; et ajoutons, enfin, que nous retrouvons une fois de plus la « langue verte » et l’« art gothique », dont nous avons parlé récemment à une autre occasion(***) ; heureusement du moins que, cette fois, cela ne va pas jusqu’à la « goétie » ! — Un autre collaborateur fait remarquer avec beaucoup de raison que rien n’est plus faux que l’affirmation courante suivant laquelle « les révolutions sont faites par les peuples » ; seulement, il ne paraît pas avoir une idée très nette de la distinction existant entre les organisations initiatiques et les « sociétés secrètes » à caractère plus ou moins politique ; et, de plus, il commet une grosse erreur historique en faisant remonter au xve siècle le début de la Maçonnerie spéculative.
— Puisque nous avons été amené à parler de nouveau d’Atlantis, nous devons dire qu’il nous est revenu que, dans les quelques numéros de cette revue qui parurent pendant la guerre, on a encore éprouvé le besoin de nous citer d’une façon plus ou moins bizarre. Des différentes choses qu’on nous a signalées à ce sujet, nous en retiendrons seulement une qui est particulièrement curieuse : il s’agit d’un article sur Janus que nous publiâmes autrefois dans Regnabit(****), et il est affirmé que nous « ne vîmes pas son rapprochement avec saint Jean »… pour l’unique raison que nous n’eûmes pas à en parler en cette circonstance. Il y a bien d’autres choses que M. paul le cour, lui, ne « voit » certainement pas, et nous n’en voulons actuellement d’autre preuve que le fait qu’il confond la lettre Υ ou upsilon avec le gamma et avec la « lettre G » ; mais du moins aurait-il dû ne pas oublier que, en dehors de l’article qu’il citait, et ici même, nous avons, en plus d’une occasion, indiqué très explicitement le rapprochement en question. Au surplus, et c’est là surtout ce qui rend cette histoire franchement amusante, nous pouvons lui assurer qu’il y a d’excellentes raisons, et qui ne datent certes pas d’hier, pour que nous connaissions beaucoup mieux que lui les deux saints Jean et leur rôle solsticial !
— Nous avons reçu un numéro d’une revue intitulée Kad, « cahiers de philosophie celtique » qui avait déjà existé précédemment et qui, comme tant d’autres, avait interrompu sa publication pendant ces dernières années. Les intentions du groupement dont cette revue est l’organe nous paraissent devoir appeler bien des réserves, car l’institution d’une « Fraternité du Chêne, de l’If et du Bouleau », jointe à certaines déclarations « spiritualistes » (nous dirions plus précisément « néo-spiritualistes »), nous fait craindre qu’il n’y ait bientôt lieu de compter encore une « pseudo-initiation » de plus. D’ailleurs, nous nous sommes souvent expliqué sur le caractère fantaisiste et illusoire qu’ont inévitablement tous les essais de reconstruction de traditions éteintes, où, qu’on le veuille ou non, la présence d’une « influence spirituelle » fait nécessairement défaut ; on ne peut certes pas prétendre y suppléer par des études de mythologie « basées sur les travaux scientifiques les plus autorisés » et constituant un « travail de syncrétisme » (les rédacteurs de cette revue connaissent-ils toujours bien exactement le sens des mots qu’ils emploient ?), ni même des « rituélies » (sic) fondées sur la restauration archéologique plus ou moins approximative d’un ancien calendrier. Ajoutons que cette tentative pour faire revivre la « religion celtique » s’accompagne d’une attitude ouvertement antichrétienne, qui ne témoigne certes pas d’une compréhension bien profonde de l’unité essentielle des traditions ; et il est bon de noter que ce qu’on reproche surtout au Christianisme, c’est d’être « oriental » ! Enfin, un article sur « la magie celtique et ses survivances » ne nous rassure pas beaucoup non plus, car, en dépit de l’affirmation très juste que « la magie n’appartient pas au domaine de l’ésotérisme », et aussi de l’utilisation assez adroite de certaines données, par exemple sur la double spirale et sur les « pierres de foudre », il semble bien y avoir là une tendance à attribuer, en s’appuyant sur les vues hypothétiques et toutes profanes des préhistoriens, une sorte de priorité à cet emploi « magique » des symboles qui au contraire, comme nous l’expliquerons précisément par ailleurs(*****), ne peut jamais être en réalité que le résultat d’une certaine dégénérescence.