Janvier-février 1947

The Art Quarterly (no de printemps 1944) a publié une importante étude de M. Coomaraswamy intitulée The Iconography of Dürer’s « Knots » and Leonardo’s « Concatenation » ; il s’agit de la question de ce qu’on peut appeler les « encadrements » symboliques, qui est d’ailleurs étroitement connexe de celle des « labyrinthes » ; étant donné l’intérêt que présente ce sujet, nous nous proposons d’y revenir dans un prochain article(*).

— Dans le Journal of American Folklore (1944), M. Coomaraswamy a donné A Note on the Stickfast Motif : il s’agit des contes ou des récits symboliques, dont plusieurs se rencontrent dans les textes bouddhiques et notamment dans les Jâtakas, où un objet enduit de glu ou un autre piège du même genre (qui quelquefois est ou paraît animé) est posé par un chasseur qui représente la Mort ; l’être qui se prend à ce piège y est généralement attiré par la soif ou par quelque autre désir l’amenant à errer dans un domaine qui n’est pas le sien propre, et figurant l’attraction pour les choses sensibles. L’auteur montre, par divers rapprochements, qu’une histoire de ce type peut fort bien avoir existé dans l’Inde longtemps avant d’y revêtir sa forme spécifiquement bouddhique, et qu’elle pourrait même y avoir eu son origine, bien que pourtant il n’en soit pas forcément ainsi et qu’on puisse aussi admettre que, de quelque source préhistorique commune, elle s’est répandue également dans l’Inde et ailleurs ; mais ce qu’il faut maintenir en tout cas, c’est que l’historien des « motifs », pour que ses investigations soient valables, ne doit pas seulement tenir compte de leur « lettre » ou de leur forme extérieure, mais aussi de leur « esprit », c’est-à-dire de leur signification réelle, ce que malheureusement les « folkloristes » paraissent oublier trop souvent.

— Du même auteur dans Motive (no de mai 1944), un article intitulé Paths that lead to the same Summit, et portant en outre, pour sous-titre, Some Observations on Comparative Religion : il y montre tout d’abord les causes qui, dans l’étude comparative des religions telle qu’on l’envisage aujourd’hui, s’opposent le plus souvent à toute véritable compréhension, que cette étude soit faite par ceux qui regardent leur propre religion comme la seule vraie, ou au contraire par ceux qui sont des adversaires de toute religion, ou encore par ceux qui se font de la religion une conception simplement « éthique » et non doctrinale. Le but essentiel de cette étude devrait être de permettre de reconnaître l’équivalence des formulations, différentes en apparence et en quelque sorte accidentellement, qui se rencontrent dans les diverses formes traditionnelles, ce qui fournirait aux adhérents respectifs de celles-ci une base immédiate d’entente et de coopération par la reconnaissance de leurs principes communs ; et il est bien entendu qu’il ne saurait aucunement s’agir en cela de ce qu’on est convenu d’appeler « tolérance », et qui n’est au fond que l’indifférence à l’égard de la vérité. D’autre part, une telle entente impliquerait naturellement la renonciation à tout prosélytisme et à toute activité « missionnaire » telle qu’on l’entend actuellement ; du reste, la seule véritable « conversion », et dont tous ont également besoin, c’est la metanoia entendue dans son sens originel de métamorphose intellectuelle, et qui ne conduit pas d’une forme de croyance à une autre, mais bien de l’humain au divin. Viennent ensuite des exemples caractéristiques des points de vue exprimés par des anciens et d’autres « non-chrétiens » en parlant de religions autres que la leur, et qui témoignent d’une égale compréhension de ces formes différentes ; et M. Coomaraswamy indique, en outre, le profit que l’étudiant des « religions comparées » pourrait et devrait retirer, pour l’intelligence même de sa propre religion, de la reconnaissance de doctrines similaires exprimées dans un autre langage et par des moyens qui peuvent lui sembler étranges. « Il y a de nombreux chemins qui conduisent au sommet d’une seule et même montagne ; leurs différences sont d’autant plus apparentes que nous sommes plus bas, mais s’évanouissent au sommet ; chacun prend naturellement celui qui part du point où il se trouve lui-même ; celui qui tourne autour de la montagne pour en chercher un autre n’avance pas dans son ascension ».

— Dans une série de notes intitulée Some Sources of Buddhist Iconography (Dr B. C. Law Volume, Part I), M. Coomaraswamy donne quelques nouveaux exemples de la conformité de cette iconographie avec le symbolisme hindou antérieur au Bouddhisme. La représentation du Buddha comme un « pilier de feu » est en étroite relation avec la description de Brahma comme l’« Arbre de vie », qui est aussi un « buisson ardent » ; ce pilier axial, qui supporte le Ciel, est naturellement aussi un symbole d’Agni, et « il n’est pas douteux que les représentations d’un pilier ou d’un arbre de feu supporté par un lotus sont en définitive basées sur les textes vêdiques concernant la naissance unique et archétype d’Agni Vanaspati, l’arbre aux mille branches, né dans le lotus ». — Le prototype de la victoire du Buddha dans sa dispute contre Kassapa dont le bois destiné au feu sacrificiel ne veut pas brûler, tandis que le sien s’enflamme immédiatement, se trouve dans la Taittirîya Samhitâ (II, 5, 8). — La flamme sur la tête d’un Buddha a son explication dans ce passage de la Bhagavad-Gîtâ (XIV, 11) : « Là où il y a Connaissance, la lumière jaillit des orifices du corps ». — La lutte du Boddhisattwa avec Mâra, immédiatement avant le « Grand Éveil », a pour prototype le combat d’Indra contre Vritra, Ahi ou Namuchi, qui sont tous pareillement identifiés à la Mort (Mrityu). Dans les deux cas, le héros, quoique seul, a pourtant une « suite » ou une « garde », qui est constituée en réalité par les « souffles » (prânâh) ou les pouvoirs régénérés de l’âme, rassemblés en samâdhi. Cet état de « possession de soi-même », dans lequel sont dominées les formes de la Mort (figurées par l’armée de Mâra), est souvent désigné comme un « sommeil », bien qu’il soit véritablement l’état le plus complètement « éveillé » qui puisse être ; il y a là, comme il arrive toujours dans les cas similaires, un renversement des rapports qui existent, dans les conditions ordinaires, entre le sommeil, et la conscience à l’état de veille : « que notre vie présentement active soit un “rêve” dont nous nous éveillerons quelque jour, et que, étant ainsi éveillés, nous devions sembler plongés dans le sommeil, c’est là une conception qui revient constamment dans les doctrines métaphysiques du monde entier ». — Enfin, il est signalé que dans certaines représentations de l’armée de Mâra figurent des démons sans tête ; ceci se rapporte à une question que M. Coomaraswamy a traitée plus amplement dans d’autres études dont nous parlerons prochainement.