Avril-mai 1947

— Malgré la mort de son fondateur Oswald Wirth, survenue en 1943, le Symbolisme a repris sa publication à partir de décembre 1945, sous la direction de J. Corneloup. — Dans le no de décembre 1945, un Plaidoyer pour le Grand Architecte de l’Univers, par J. Corneloup, insiste très justement sur l’importance essentielle du symbolisme, auquel les Maçons actuels ne témoignent trop souvent qu’« un respect plus verbal que réel », faute d’en comprendre vraiment le sens et la portée. Nous noterons plus particulièrement l’affirmation que « le propre d’un symbole, c’est de pouvoir être entendu de façons diverses suivant l’angle sous lequel on le considère », de sorte qu’« un symbole qui n’admettrait qu’une interprétation ne serait pas un vrai symbole », et aussi la déclaration formelle que, contrairement à ce que certains prétendent, « la Maçonnerie n’est pas et ne peut pas être agnostique ». Malgré cela, cette étude, en ce qui concerne le symbolisme même du Grand Architecte de l’Univers, ne nous paraît pas aller suffisamment au fond de la question, et, de plus, il y est fait appel à certaines considérations de science moderne qui n’ont assurément rien à voir avec le point de vue initiatique. D’autre part, nous nous demandons comment on peut dire qu’« Hiram est extérieur à la Maçonnerie opérative qui l’a emprunté à une douteuse légende hébraïque » ; voilà une assertion bien contestable et qui aurait en tout cas grand besoin d’être expliquée. — Dans le no de janvier 1946, François Ménard examine Les sources des idées traditionnelles actuelles ; il nous paraît exagérer l’influence du platonisme, fût-ce à travers Fabre d’Olivet, sur l’occultisme du siècle dernier ; mais il a tout à fait raison de signaler le caractère hétérogène de la soi-disant « tradition occidentale » que certains ont voulu opposer aux traditions orientales ; « c’est de l’Orient que nous vint toujours la lumière, dit-il, et sa pure clarté spirituelle nous arrive maintenant directement, grâce à des interprètes autorisés et qualifiés ». — J.-H. Probst-Biraben résume les données concernant Les couleurs symboliques dans les traditions des différents peuples ; il insiste notamment sur l’hermétisme et son application au blason, et il remarque que l’usage qui est fait des couleurs dans la Maçonnerie présente, par rapport à l’ordre habituel des hermétistes, une interversion qui est peut-être due à l’arrangement artificiel de hauts grades n’ayant eu tout d’abord aucun lien entre eux. — Dans le no de février, Marius Lepage, parlant Du but et des moyens de la Franc-Maçonnerie, précise que celle-ci diffère entièrement des divers genres d’associations profanes par là même qu’elle est une initiation ; les considérations qu’il expose sur le symbolisme de la Lumière, sur l’Évangile de saint Jean, sur la vertu des rites, sur la « délivrance » comme but suprême de l’initiation, sont excellentes pour la plupart ; mais pourquoi faut-il que nous voyions encore reparaître ici la confusion avec la « mystique » ? Le sens actuel de ce mot est trop éloigné de son acception étymologique pour qu’il soit possible de revenir à celle-ci ; ce qui s’appelle « mystique » ou « mysticisme », depuis longtemps déjà, n’est plus la « science du mystère » et encore moins la « science des initiés » ; et dire qu’« il est une technique de la mystique, identique pour toutes les religions et toutes les initiations », c’est non seulement confondre les deux domaines exotérique et ésotérique, mais aussi oublier qu’un des caractères distinctifs du mysticisme est précisément de n’avoir aucune « technique », celle-ci étant incompatible avec sa nature même. — Dans le no de mars, François Ménard et Marius Lepage reviennent sur la question du Grand Architecte de l’Univers ; s’il est légitime de dire que celui-ci « n’est pas la Divinité, mais un aspect accessible de la Divinité », mettant l’accent sur « l’aspect ordonnateur et constructif de l’Inconcevable Principe », ce n’est pourtant pas, nous semble-t-il, une raison pour l’assimiler à la conception gnostique du « Démiurge », ce qui lui donnerait un caractère plutôt « maléfique », fort peu en accord avec la place qu’il occupe dans le symbolisme maçonnique, et aussi avec la conclusion même des auteurs, suivant laquelle, en méditant sur la formule du Grand Architecte de l’Univers, « le Maçon qui “comprend bien son Art” saura et “sentira” que l’Ordre dépasse le simple “déisme” profane pour atteindre à une compréhension plus approfondie du Suprême Principe ». — J.-H. Probst-Biraben signale avec raison l’insuffisance des conceptions des sociologues actuels sur La nature des rites, auxquels ils n’attribuent le plus souvent qu’un caractère sentimental, à la fois artistique et utilitaire ; à notre avis, il aurait pu aller encore plus loin en ce sens, car, dans les ouvrages profanes qui touchent à cette question, la « documentation » seule est à retenir, et tout le reste montre surtout l’incompréhension de leurs auteurs. — Dans le no d’avril, un article de J. Corneloup, intitulé Hypothèses de travail, accentue encore la confusion, que nous signalions déjà plus haut, entre le point de vue initiatique et celui de la science profane ; celle-ci peut faire des hypothèses tant qu’elle voudra, et c’est même tout ce qu’elle peut faire ; mais que pourrait bien être une hypothèse dans le domaine du symbolisme (nous voulons dire du véritable symbolisme, qui n’a rien de commun avec les pseudo-symboles inventés par les savants modernes), et n’est-ce pas méconnaître complètement le caractère propre de la connaissance initiatique que d’admettre que quoi que ce soit d’hypothétique puisse y trouver place ? — Sous le titre Noël, Marius Lepage étudie divers aspects du symbolisme du solstice d’hiver ; nous devons faire remarquer que nous n’avons jamais dit, comme il semble le croire, que le nom de Janus est dérivé du sanscrit yâna, mais seulement que l’un et l’autre ont la même racine, ce qui n’est nullement contestable, tandis que l’étymologie hébraïque qu’il envisage est tout à fait invraisemblable. — Dans le no de mai, nous lisons dans un autre article de J. Corneloup, intitulé Une méthode, un but, une sauvegarde, que « le but que se propose la méthode symbolique est la recherche de la Vérité » ; nous pensons qu’il y a là un lapsus et qu’il a voulu dire « la connaissance de la Vérité », car il est évident que la recherche ne peut aucunement constituer un but ; mais, même si ce n’est qu’un lapsus, il n’en est pas moins significatif en ce qu’il trahit les tendances inhérentes à l’esprit moderne. D’un autre côté, il n’est pas exact de dire que « la Maçonnerie est la forme moderne de l’initiation », d’abord parce que rien de ce qui a un caractère initiatique, et plus généralement traditionnel, ne peut être qualifié de « moderne » sans contradiction, et ensuite parce que, historiquement, c’est là méconnaître les antécédents antiques et médiévaux de la Maçonnerie ; s’imaginera-t-on donc toujours que celle-ci ne remonte pas plus haut que 1717 ? Cet article se termine par des considérations sur la « loi du silence » qui sont assez judicieuses, mais qui sont loin de représenter tout ce qu’il y aurait à dire sur ce sujet, car elles ne touchent pas à la véritable nature du secret initiatique. — Dans le no de juin, Albert Lantoine expose La genèse du concept de tolérance, et il paraît en résulter que le « lancement » de cette idée ne fut en somme qu’un acte politique de Guillaume de Hanovre, mais aussi que cet acte influa assez directement sur la constitution de la Maçonnerie sous sa nouvelle forme « spéculative ». Cela confirme encore ce que nous avons toujours pensé sur le rôle que jouèrent dans cette constitution les influences profanes, pénétrant ainsi dans un domaine qui devrait normalement leur être interdit ; mais comment ceux que leurs études historiques amènent à de telles constatations peuvent-ils ne pas s’apercevoir qu’il y a dans ce fait même la marque d’une grave dégénérescence au point de vue initiatique ?