Juin 1947
— Dans la revue L’Âge d’Or (no 1), M. Robert Kanters a publié une Introduction générale à l’étude de l’occultisme ; il ne prend d’ailleurs pas ce mot dans son sens propre, mais l’étend, d’une part, à tout ce qu’on est convenu d’appeler « sciences occultes », et, d’autre part, aux doctrines ésotériques authentiques aussi bien qu’à leurs modernes contrefaçons ; cela nous paraît regrettable, car il ne peut qu’en résulter, surtout chez des lecteurs non prévenus, l’impression qu’il y a entre tout cela une certaine communauté de nature, alors qu’il n’en est rien en réalité. Cette réserve faite, nous devons dire que cet exposé, tout en restant forcément un peu sommaire, est certainement, dans son ensemble, beaucoup mieux fait que ne le sont d’ordinaire ceux qui sont ainsi destinés au « grand public » ; l’auteur fait preuve d’une louable prudence, estimant qu’il ne faut rien rejeter a priori, mais qu’il convient de « n’admettre jamais rien dans ce domaine sans le vérifier soi-même ou sans se reporter aux sources authentiques ». Dans la première partie, il essaie de mettre un peu d’ordre parmi les multiples sortes de « sciences occultes » ou soi-disant telles, on pourrait seulement lui reprocher de partager les illusions contemporaines sur la valeur de la « méthode statistique », et aussi de ne pas faire une distinction assez nette entre les sciences traditionnelles, ou leurs vestiges plus ou moins dégénérés, et certaines recherches toutes modernes, « métapsychiques » ou autres. Dans la seconde partie, où il s’agit des doctrines ésotériques, il dit quelques mots des différentes traditions orientales, puis des anciennes traditions occidentales ; il remarque qu’il est beaucoup plus difficile de savoir ce que ces dernières furent exactement, ce qui n’a d’ailleurs rien d’étonnant, puisqu’il s’agit en somme de traditions disparues. Le moyen âge lui-même est fort mal connu ; quant à la Renaissance, on y vit paraître des choses déjà fort mêlées, et au xviiie siècle plus encore. Sur les « mouvements » récents, tels que le théosophisme et ses dérivés, le pseudo-rosicrucianisme et l’occultisme proprement dit, M. Kanters formule des appréciations très justes. Notons encore que, mentionnant « le violent réquisitoire » qu’un certain vulgarisateur a fait paraître sous le titre L’Occultisme devant la Science, il déclare qu’« on en retiendra tout au plus comment le rationalisme scientiste peut abrutir un homme que l’on n’a pas de raison de supposer congénitalement stupide » ; ce jugement est plutôt dur, mais nous ne pouvons que l’approuver entièrement !
— Dans la même revue (nos 5-6), M. Raoul Auclair étudie Le songe de Nabuchodonosor ; il propose une interprétation de la prophétie de Daniel qui diffère surtout de celle qui est le plus habituellement admise en ce que, outre les quatre parties de la statue qu’on fait correspondre respectivement aux quatre empires assyrien, perse, macédonien et romain, il considère les pieds « de fer mêlé d’argile » comme formant une cinquième partie distincte, qui se rapporterait aux temps actuels, et les raisons qu’il en donne paraissent assurément très plausibles. Il y a là, sur les cycles (il fait remarquer notamment que « la vision comporte, outre son sens immédiat et historique, une acception plus largement symbolique où sont représentés les quatre âges du monde »), et aussi sur la signification hermétique de divers symboles, des considérations tout à fait conformes aux données traditionnelles. On peut seulement s’étonner que tout cela aboutisse à une conclusion par trop « exotérique » : dire que, « dans le nouvel âge d’or, tous seront chrétiens dans une civilisation chrétienne », n’est-ce pas oublier que cet « âge d’or » sera la première période d’un autre cycle, où ne pourra se retrouver aucune des formes traditionnelles particulières qui appartiennent en propre au cycle actuel, et qu’il est d’ailleurs tout à fait impossible de dire quels pourront être les caractères d’une civilisation qui sera celle d’une autre humanité ?
— Dans Hommes et Mondes (no de février 1947), M. Henri Sérouya donne sur La Kabbale une étude assez simplifiée et « extérieure », et où il y a malheureusement bien des confusions : ainsi, il parle indifféremment d’« initiés » et de « mystiques », comme si c’était pour lui la même chose ; il admet l’interprétation « panthéiste » de certains modernes, sans se rendre compte de son incompatibilité avec le caractère métaphysique qu’il reconnaît par ailleurs à la Kabbale, et il va même jusqu’à dire que « Dieu est le reflet de tout », ce qui est une étrange inversion de la vérité ; il ne voit qu’une « dissimulation volontaire » et des « procédés artificiels » dans la façon dont les Kabbalistes commentent les Écritures, et il méconnaît évidemment la pluralité des sens de celles-ci et la constitution même des langues sacrées, aussi bien que la nature réelle des rapports de l’exotérisme et de l’ésotérisme ; il paraît trouver étonnant qu’En Soph, dont il se fait d’ailleurs une conception « spinoziste », ne soit pas le « Dieu créateur », comme si les aspects divins s’excluaient les uns les autres, ou comme si le « Suprême » et le « Non-Suprême » se situaient au même niveau ; il donne de l’arbre séphirothique un schéma qui n’a rien de traditionnel et où manque notamment l’indication de la « colonne du milieu » ; il confond l’« embryonnat » avec la « métempsychose » ; et, citant Lao-Tseu vers la fin, il lui attribue, nous ne savons d’après quelle « source », un livre intitulé Le Doctrinal ! D’autre part il est bien difficile de se rendre compte exactement de ce qu’il pense de tout cela au fond, et il est fort à craindre qu’il n’y voie rien de plus ni d’autre que des « idées philosophiques » ou des « spéculations abstraites » d’un genre un peu spécial ; quant aux raisons pour lesquelles il s’y intéresse, elles semblent être d’un ordre très contingent, et plus sentimentales qu’intellectuelles ; éprouverait-il même encore quelque attrait pour la Kabbale s’il comprenait qu’elle n’a réellement rien de commun avec le mysticisme ?