Juillet-août 1947

— Dans le Symbolisme (no de juillet 1946), J. Corneloup, dans un article intitulé Maçonnerie éducative ou Maçonnerie initiatique, remarque avec juste raison que « les Loges se sont ingéniées à donner des lumières à leurs membres, au lieu de les aider à rechercher la Lumière ; en d’autres termes, les Maçons ont consacré le plus clair de leur temps et le meilleur de leur effort à la tâche éducative de la Maçonnerie, en négligeant et même en ignorant la tâche initiatique » ; mais, quand il ajoute que d’ailleurs « l’initiation ne s’oppose pas à l’éducation » et que celle-ci est même « une des voies qui préparent à l’initiation », il aurait été bon de préciser un peu de quelle sorte d’éducation il s’agit, car il y a une certaine éducation profane qui est tout le contraire d’une préparation à cet égard. D’autre part, il est exact qu’on ne peut pas donner de l’initiation une définition à proprement parler, et cela, ajouterons-nous, parce que toute définition est forcément limitative ; mais les quelques notions qui sont ici exposées pour « en rendre l’idée concevable » sont vraiment bien sommaires, et on n’a pas l’impression que la « faculté de compréhension » dont il est question s’étende bien loin. Ajoutons que nous ne comprenons pas très bien comment on peut parler de « la conjonction dans une même organisation, au xviie siècle, des Maçons opératifs et des Maçons acceptés », comme si ces derniers n’avaient pas toujours été des membres non « professionnels » de la Maçonnerie opérative, et aussi qu’une allusion aux « égrégores » nous paraît refléter quelque chose de la confusion que nous avons signalée dans un récent article(*). — Dans le no d’août, Marius Lepage s’attache à marquer une différence entre Rites et rituels ; il s’agit naturellement en cela des rituels écrits, dont il souligne très justement le caractère de simples « aide-mémoire ». Il regrette que « la Maçonnerie ne possède pas l’organisme qui permettrait de maintenir les rites dans leur pureté primitive et authentique » ; il pense d’ailleurs que, « tout en gardant intégralement intacts les principes fondamentaux de l’initiation formelle, les rites doivent se matérialiser dans des rituels adaptés à la mentalité des hommes auxquels ils s’adressent », et cela encore est juste, mais il faudrait pourtant préciser que cette adaptation n’est légitime que dans certaines limites, car elle ne devrait jamais impliquer aucune concession à l’esprit antitraditionnel qui caractérise le monde moderne. Il y a malheureusement encore dans cet article une certaine confusion entre les « initiations » et les « religions », et aussi une affirmation de l’origine « magique » des rites qui est plus que contestable ; ce sont d’ailleurs là des points sur lesquels nous nous sommes expliqué assez souvent pour qu’il n’y ait pas besoin d’y insister davantage. — Dans le numéro de septembre, Jules Boucher parle De l’Initiation dans un article qui témoigne d’un assez fâcheux pessimisme ; il n’a pas tort, assurément, de dénoncer les méfaits du rationalisme et de déplorer la banalité de certaines « spéculations » qui n’ont rien d’initiatique ; mais il paraît méconnaître totalement la valeur propre de l’initiation virtuelle, et il termine ainsi : « Est-il possible de s’opposer à la décadence de la Maçonnerie ? Il faudrait pour cela retrouver la “Parole perdue”, et il nous semble bien que cette Parole (ce Verbe initiatique) est à jamais perdue. » Cet article est suivi d’une réponse de Marius Lepage qui remet très bien les choses au point, et dont nous citerons ces quelques extraits : « Nous vivons des années d’obscuration accélérée de tous les principes spirituels qui ont, jusqu’à ce jour, soutenu la substance du monde ; ce monde va bientôt s’écrouler… L’incompréhension des hommes en face de l’expression humaine du sacré est bien le signe le plus marquant de la proximité de la fin des temps. Pourquoi vous en affliger ? Ce qui est doit être, et toutes choses concourent à leur fin. La décadence apparente de toutes les organisations initiatiques n’est que l’effet de la corruption des hommes, de plus en plus éloignés du Principe. En quoi cela peut-il nous intéresser si nous sommes assurés que cette fin d’un monde s’intègre dans l’harmonie universelle et si nous avons bien compris l’enseignement de la Chambre du Milieu ?… C’est au sein des organisations initiatiques, en dépit de leurs déviations et de leur altération, que se retrouveront les derniers témoins de l’Esprit, ceux par qui la Lettre sera conservée et transmise aux adeptes qui recevront la charge de la faire connaître aux hommes d’un autre cycle. C’est aussi pourquoi nous ne devons pas désespérer ; savons-nous quand et comment les paroles que nous prononçons ébranleront chez quelqu’un de nos Frères les centres subtils, et feront de lui un gardien de la Tradition ? » — Dans le no de novembre, François Ménard expose quelques considérations sur La Justice et sur le symbolisme de la balance, en connexion avec la loi des « actions et réactions concordantes » qui régit la manifestation universelle. Des Notes sur la Maçonnerie indienne, par Silas H. Shepherd, contiennent des renseignements intéressants sur la Tradition si peu connue des Indiens de l’Amérique du Nord ; le titre est d’ailleurs inexact, car il s’agit évidemment là d’une forme d’initiation tout à fait différente de la forme maçonnique, et à laquelle on ne peut pas sans extension abusive appliquer le nom de cette dernière. — Une étude de J.-H. Probst-Biraben sur L’ésotérisme héraldique et les symboles, dans les nos de juillet à octobre, réunit une documentation assez considérable sur ce sujet ; il y insiste notamment sur l’origine orientale des armoiries et sur leurs rapports avec l’hermétisme, rapports qui leur sont d’ailleurs communs avec « les figures du Tarot, les marques corporatives », et sans doute bien d’autres choses encore qui, au moyen âge, eurent un caractère similaire ; « sans la connaissance du symbolisme hermétique, l’art héraldique demeure la plupart du temps incompréhensible ». Ce que nous trouvons plutôt étonnant, c’est que l’auteur ne veuille pas admettre que « des symboles ésotériques aient été introduits dans les écus par les nobles eux-mêmes », parce que ceux-ci « n’étaient en général ni instruits ni surtout initiés », et ils n’en auraient même pas soupçonné le sens réel ; n’aurait-il jamais entendu parler de l’existence d’une initiation chevaleresque, et s’imaginerait-il que l’instruction extérieure doive constituer une condition préalable de l’initiation ? Que des clercs et même des artisans aient collaboré parfois à la composition des armoiries, cela est assurément fort possible ; mais n’est-ce pas tout simplement parce qu’il y avait entre eux et les nobles des relations d’ordre initiatique dont on retrouve encore bien d’autres indices, et précisément surtout dans le domaine de l’hermétisme ? Une autre idée contestable est celle qu’il existe des symboles qui peuvent être dits proprement « méditerranéens » ; nous avouons ne pas voir très bien à quelle forme traditionnelle une telle désignation pourrait correspondre. — Les nos de juillet à novembre contiennent aussi une longue étude de François Ménard sur La Vierge hermétique, au cours de laquelle sont abordées des questions assez diverses, mais se rapportant toutes à l’ordre cosmologique tel qu’il est envisagé plus particulièrement dans les formes traditionnelles occidentales. C’est ainsi qu’est étudié tout d’abord le symbolisme du « vase hermétique », qui correspond à un certain aspect de la Vierge ; puis l’auteur cherche à préciser le sens de la « Sagesse hermétique » de Khunrath, et il en tire la conclusion que « la Vierge est le principe essentiel de l’hermétisme », mais que « cet aspect est pourtant orthodoxe, c’est-à-dire qu’il est en rapport avec le domaine métaphysique qui est, on le sait, celui du Principe suprême », ce rapport correspondant d’ailleurs à celui qui doit exister normalement entre l’« art royal » et l’« art sacerdotal ». Ensuite, à propos de la Vierge comme « Lumière de gloire », nous trouvons une sorte de fantaisie scientifique sur la « lumière coronale », plutôt regrettable à notre avis, d’abord parce que les choses de ce genre n’ont qu’un caractère fort hypothétique, et aussi parce que, comme tout ce qui est inspiré de la science profane, elles n’ont réellement rien de commun avec les données traditionnelles, hermétiques ou autres, mais, par contre, rappellent un peu trop le genre de spéculation cher aux occultistes. Nous en dirons à peu près autant sur « le cycle de l’azote et la trame du monde sensible », bien que l’auteur ait du moins pris la précaution de faire remarquer, à propos de la force dont les modalités diverses constituent cette « trame », que « l’hermétisme a cet avantage considérable sur la science moderne de connaître cette force pour ainsi dire par le dedans, c’est-à-dire qu’il l’a identifiée avec la lumière qui est en l’homme et qu’il a reconnu que, à un certain degré, sa volonté bien dirigée peut agir sur elle et obtenir ainsi des résultats définis, par une technique sûre » ; nous dirions plus nettement, pour notre part, que, dans ces deux cas de l’hermétisme et de la science moderne, ce n’est pas d’une connaissance du même ordre qu’il s’agit en réalité. Il est ensuite question de la « Vierge zodiacale », ainsi que du mythe de Cérès avec lequel elle est en relation en tant que « signe de terre » ; puis vient une esquisse des différentes étapes de la réalisation hermétique suivant la description symbolique que Dante en a donnée dans la Divine Comédie. En voulant « élucider le mystère hiéroglyphique de Hokmah », l’auteur a malheureusement commis une grave erreur : il a confondu le final avec un heth, ce qui, naturellement, fausse entièrement son calcul et son interprétation. Quant à sa conclusion, d’après laquelle « la Vierge hermétique, en tant qu’elle se trouve en contact avec les choses sensibles et matérielles, est la forme de la Déesse (c’est-à-dire en somme de la Shakti) la mieux adaptée à notre Occident et à notre époque de matérialisme outrancier », dirons-nous qu’elle nous semble quelque peu en contradiction avec le fait que, dans cet Occident moderne, les sciences traditionnelles sont complètement perdues ?

— Dans les Cahiers du Sud (no 280, 1946), un article intitulé Magie guerrière dans la Rome antique, par M. Paul Arnold, contient d’intéressants renseignements sur certains rites, notamment ceux qui accompagnaient les déclarations de guerre ; mais l’interprétation en est-elle toujours bien exacte ? On peut se demander s’il n’y a vraiment là que de la « magie », c’est-à-dire si ces rites ne mettaient en jeu que de simples influences psychiques, ou s’ils n’étaient pas plutôt « théurgiques », c’est-à-dire destinés à provoquer l’intervention de certaines influences spirituelles. Dès lors qu’on reconnaît qu’ils avaient pour but essentiel de « transformer l’ennemi en victime sacrificielle », et que, par suite, la bataille elle-même « devenait un gigantesque sacrifice », on devrait logiquement reconnaître aussi leur caractère proprement « théurgique » ; mais il faudrait pour cela savoir éviter toutes les confusions courantes entre des choses d’ordre entièrement différent… Nous en dirons autant en ce qui concerne la devotio, par laquelle un général se sacrifiait lui-même pour le salut de l’armée ; certains cas de dégénérescence plus ou moins tardive, comme celui dont témoigne l’emploi du même mot devotio pour désigner une opération de sorcellerie, ne changent absolument rien au caractère originel d’un tel rite. La consécration des « dépouilles opimes », après une victoire, représentait aussi un véritable sacrifice ; et la conclusion qui pour nous se dégage de tout cela, c’est surtout que, là comme dans les autres civilisations traditionnelles, le sacrifice constituait réellement l’acte rituel par excellence.