Septembre 1947

— Dans le no de mars d’Atlantis, l’article principal est intitulé Mystes et Mystiques ; M. paul le cour essaie d’abord de faire une distinction assez nette entre ces deux mots (dont le premier seul a gardé son sens originel, en rapport avec l’initiation), mais cela ne l’empêche pas de commettre ensuite bien des confusions. Ainsi, il ne manque pas de parler de « mystique musulmane », suivant la mode des orientalistes ; à ce propos, il affirme que « le mot soufi vient visiblement du grec sophos », ce qui est parfaitement faux, mais ce dont on ne peut s’étonner outre mesure de la part de quelqu’un qui veut aussi que le Christianisme soit dérivé de l’Hellénisme ; et nous ne pouvons nous dispenser de signaler également, à titre de curiosité, une citation d’El-Hallâj (d’après la traduction quelque peu inexacte de M. Massignon) attribuée à Mohyiddin ibn Arabi ! D’autre part, il paraît qu’il y a des « mystiques du Démiurge » et des « mystiques du Dieu suprême », ce qui se réfère aux idées très spéciales exposées par l’auteur dans un des ouvrages dont nous avons parlé dernièrement(*), mais que, malgré cela, « la mystique est partout et toujours la même » ; il faudrait tout au moins se demander si elle a existé « partout et toujours »… On reconnaît pourtant que « l’Inde ancienne n’a pas connu la vie mystique », ce qui est très vrai et n’a d’ailleurs rien de regrettable ni d’exceptionnel ; mais la raison en serait que « le mot Aor lui était inconnu », c’est-à-dire en somme qu’elle ne parlait pas hébreu ! Une autre information qui n’est pas moins digne de remarque est celle d’après laquelle certains Hindous « se consacrent spécialement à Prakriti, aspect féminin de l’Un absolu » ; ici, n’a-t-on pas tout simplement confondu Prakriti avec Shakti ? Il y a encore bien d’autres choses qui mériteraient d’être relevées, mais il faut nous borner ; cependant, quand il est dit que « certains mystes sont des mystiques », en invoquant l’exemple de Claude de Saint-Martin qui aurait été « à la fois » l’un et l’autre, nous ne pouvons pas ne pas faire remarquer que ce n’est en réalité qu’après avoir renoncé à la voie initiatique qu’il se tourna vers le mysticisme. Dans l’article suivant, nous retrouvons les alchimistes transmués en « archi-mystes » ; ceux-ci sont identifiés aux « adeptes de la Rose-Croix », qui, paraît-il, préparent le retour du Christ annoncé pour l’ère du Verseau ; il eût été bien étonnant en effet que cette trop fameuse « ère nouvelle » ne reparût pas là-dedans. Ce qui est plus imprévu, c’est que les termes Aor et Agni sont donnés comme appartenant à la terminologie des Rose-Croix ; nous ne nous serions certes jamais douté que le Hiéron de Paray le Monial ait pu être une organisation rosicrucienne ! — À la fin se trouve un compte rendu de notre livre Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, dans lequel M. paul le cour a manifestement essayé de faire preuve à notre égard d’une certaine amabilité à laquelle il ne nous avait pas habitué jusqu’ici ; nous le remercions très volontiers de ses bonnes intentions, et nous lui savons gré de vouloir bien « nous approuver entièrement quand nous montrons la dégénérescence du monde moderne et que nous en recherchons les causes » ; mais cela ne doit aucunement nous empêcher de lui dire que, cette fois encore, beaucoup de ses assertions portent à faux. Il y a tout d’abord un « aujourd’hui » qui nous montre que ses renseignements sont quelque peu en retard sur les événements, car loin d’être une chose nouvelle comme cela le donnerait à croire, le rattachement auquel il se rapporte remonte, en ce qui nous concerne, à bien près de quarante ans ! Ensuite, il est faux que nous ayons jamais « renié les doctrines occidentales », pour la bonne raison qu’on ne peut évidemment renier que ce à quoi on a précédemment adhéré, et que tel n’est certes pas notre cas. D’autre part, nous nous demandons comment on peut oser dire que, « dans les écoles ésotériques musulmanes, on ne tient pas compte de l’existence du Dieu personnel » ; dès lors qu’on reconnaît que ces écoles sont « musulmanes », c’est là, en fait, une contradiction pure et simple ; la vérité est que, là comme dans tout ésotérisme authentique, on tient compte de tout ce qui est, mais on sait aussi mettre chaque chose à sa place, ce dont M. paul le cour se montre tout à fait incapable… Quant à prétendre que « les doctrines hindoues et musulmanes sur lesquelles nous nous appuyons (il a oublié de mentionner aussi les doctrines taoïstes) font partie des efforts actuels de contre-initiation ou d’initiation incomplète contre lesquels nous nous élevons », cela est véritablement monstrueux, et nous ne saurions protester trop énergiquement contre une semblable énormité ; nous prions M. paul le cour de croire que nous sommes particulièrement bien placé pour savoir ce qu’il en est de tout cela, et de ne pas se mêler de choses qu’il ignore aussi totalement, et qui d’ailleurs ne regardent en rien les profanes dont il est, car enfin, quelles que soient ses prétentions, il devrait bien comprendre qu’il nous est impossible de le considérer autrement. Un autre passage est franchement amusant : c’est celui où il nous oppose, en ce qui concerne l’Inde, l’avis du « savant hindouiste (il veut dire indianiste) que fut Sylvain Lévi », lequel aurait, dit-il, « dénié véhémentement l’exactitude de nos interprétations » ; cela est fort possible et ne nous étonnerait même pas trop, mais, quand on sait ce que nous pensons de la compétence doctrinale des orientalistes, on comprendra sans peine que nous n’en soyons pas affecté le moins du monde ! Passons sur une fantaisie un peu forte sur nos « nom et prénom », dans lesquels M. paul le cour veut retrouver, tout comme dans les siens, son inévitable Aor-Agni ; cela ne nous intéresse pas plus que les dits « nom et prénom », eux-mêmes, qui ne sont en réalité pour nous rien de plus qu’une simple signature comme une autre, ce dont il ne semble pas se douter… Enfin, il a éprouvé le besoin, à cette occasion, de recommander à ses lecteurs un petit livre intitulé René Guénon et son œuvre, par M. Jacques Marcireau, qu’il déclare « fort bien fait », alors que, pour notre part, nous sommes d’un avis exactement contraire ; nous espérons qu’il voudra bien reconnaître que nous devons être tout de même un peu mieux qualifié que lui pour l’apprécier. Le livre en question, qui a été publié à notre insu et que nous ne pouvons aucunement approuver, n’est à proprement parler qu’un simple recueil d’extraits puisés çà et là dans nos ouvrages et dans nos articles ; il s’y trouve un bon nombre de phrases détachées de leur contexte et par suite incompréhensibles, parfois aussi tronquées et même plus ou moins déformées ; et le tout est groupé artificiellement, nous pourrions même dire arbitrairement, en paragraphes dont les titres sont la seule chose qui appartient en propre à l’« auteur » ; il va de soi qu’un tel travail est parfaitement inutile pour ceux qui connaissent notre œuvre, et, quant à ceux qui ne la connaissent pas, il ne peut certainement que leur en donner une idée des plus fausses. À vrai dire, nous nous doutons bien que ce qui a dû plaire plus particulièrement là-dedans à M. paul le cour, c’est qu’il y a retrouvé quelque chose qui ressemble assez à ses propres procédés de citation ; du reste, reproduisant d’après ce livre une phrase « extraite d’un de nos ouvrages », il n’a pas manqué de tomber tout justement sur une de celles que nous n’avons sûrement jamais écrites sous la forme que leur a donnée M. Marcireau !