Octobre-novembre 1947
— Dans Psychiatry (no d’août 1945), M. A. K. Coomaraswamy examine deux catégories de faits qui sont de ceux que les ethnologues interprètent mal en raison de leurs idées préconçues sur la « mentalité primitive », et aussi de leur tendance à ne considérer que comme des particularités locales ce qui représente en réalité des « survivances », parfois plus ou moins dégénérées, de théories qui se retrouvent dans toutes les doctrines traditionnelles. Le premier cas est celui de la « croyance » de certains peuples suivant laquelle la conception et la naissance des enfants auraient, en réalité, une cause d’ordre non pas physiologique, mais spirituel, consistant dans la présence d’une entité dont l’union du père et de la mère servirait seulement à préparer l’incarnation ; or, sous une forme ou sous une autre, la même chose se trouve exprimée dans toutes les traditions, comme le montrent de nombreux exemples précis tirés des doctrines hindoues, grecques, chrétiennes et islamiques. Dans le second cas, il s’agit de ce que certains ont cru devoir appeler le puppet-complex, c’est-à-dire l’idée suivant laquelle l’individu humain se considère comme comparable à une marionnette, dont les actions ne sont pas dirigées par sa propre volonté, mais par une volonté supérieure, qui est en définitive la Volonté divine elle-même ; cette idée, qui implique au fond la doctrine de lîlâ et celle du sûtrâtmâ, existe explicitement dans les traditions hindoue et bouddhique, et aussi, d’une façon non moins nette, chez Platon lui-même, d’où elle est passée au moyen âge occidental. Comme le dit M. Coomaraswamy, « l’expression complex, qui suppose une psychose, est tout à fait inappropriée pour désigner ce qui est en réalité une théorie métaphysique » ; et, d’autre part, « il est impossible de prétendre avoir envisagé des “enseignements traditionnels” dans leur vraie perspective si l’on ignore leur universalité » ; contrairement à ce que semblent penser les partisans de l’actuelle « méthode anthropologique », la simple observation des faits, quelque soin et quelque exactitude qu’on y apporte, est assurément bien loin de suffire à leur véritable compréhension.