Septembre 1949

— Dans Atlantis, M. paul le cour, s’étant mis À la recherche d’une doctrine, avait commencé ce qu’il lui plaît d’appeler une « étude objective » par une pitoyable diatribe contre le Brâhmanisme dont nous avons parlé en son temps (voir no de janvier-février 1949), et il a continué en s’occupant du Bouddhisme. Nous n’avons pas eu connaissance du no qu’il a consacré au Bouddhisme en général, mais seulement du suivant (no de janvier 1949), dans lequel il est plus spécialement question du Lamaïsme ; naturellement, on y retrouve la plupart des opinions qui traînent un peu partout en Occident : déclamations contre les « pratiques grossières et superstitieuses », ce qui vise surtout le Tantrisme ; confusion qui fait prendre les mantras pour des « formules magiques » ; attribution d’un caractère « mystique » à ce qui est tout autre chose en réalité, allant même jusqu’à parler d’une « initiation mystique », qu’il faudrait d’ailleurs distinguer d’une « initiation ésotérique » ayant simplement pour but de « procurer les pouvoirs » ! Laissons là ce beau gâchis, et constatons seulement que l’auteur énonce triomphalement, dans ses conclusions, que le Lamaïsme « ne remonte qu’au viie siècle de notre ère », comme si jamais personne avait prétendu le contraire ; il est vrai que cela permet de supposer sans trop d’invraisemblance qu’il a été « influencé par le Christianisme », ce qui explique sa satisfaction ; à part cela, nous ne trouvons guère, comme digne d’être noté, que le reproche bien amusant qui est fait au Bouddhisme de « ne pas se préoccuper du démiurge » ! En ce qui nous concerne, M. paul le cour nous traite encore de « propagandiste de l’Hindouisme » ; nous devons donc lui signifier une fois de plus que nous n’avons jamais été le « propagandiste » de quoi que ce soit, et que, étant donné tout ce que nous avons écrit aussi explicitement que possible contre la propagande sous toutes ses formes, cette assertion constitue une calomnie bien caractérisée. — Dans le no de mars, c’est de L’Islamisme qu’il s’agit ; à côté de quelques notions historiques plutôt élémentaires, il y a là les clichés européens habituels sur le « fatalisme », l’« intolérance », etc., atténués cependant, il faut le reconnaître, par quelques appréciations plus favorables et aussi plus justes ; mais la préoccupation principale de l’auteur semble être de soutenir que l’Islam n’a pas d’unité doctrinale, ce qui est complètement faux. Quant à ce qui est dit du « mysticisme » et du « soufisme », mieux vaut n’en pas parler, d’autant plus qu’il y a à ce propos une invraisemblable confusion entre la « métaphysique des soufis » et la philosophie arabe la plus exotérique ; mais il serait dommage de ne pas mentionner que le mot Coran donne lieu à une série de rapprochements d’une haute fantaisie, aboutissant naturellement à y retrouver l’inévitable Aor-Agni. Nous nous demandons pourquoi M. paul le cour a écrit cette phrase : « Je serais heureux si M. René Guénon voulait bien nous renseigner sur l’ésotérisme musulman dans un prochain no des Études Traditionnelles » ; nous n’avons assurément à « renseigner » personne, et lui moins que tout autre, mais n’a-t-il donc jamais eu connaissance des nos spéciaux que les Études Traditionnelles ont déjà consacré précisément à ce sujet, sans parler de l’article que nous avons fait paraître(*) sous le titre L’Ésotérisme islamique dans un no spécial des Cahiers du Sud ? D’autre part, nous sommes obligé de lui faire savoir que nous n’avons jamais été « converti » à quoi que ce soit, et pour cause (voir notre article À propos de « conversions », dans le no de septembre 1948, qui contient toutes les explications voulues pour réfuter cette sottise), et aussi que nous n’avons jamais pris la moindre part à aucun « mouvement », ce qui d’ailleurs nous ramène à la calomnie du « propagandisme », bien que cette fois ce ne soit plus l’Hindouisme qui est en cause. Par surcroît, il a trouvé bon de se faire l’écho d’un racontar qu’il n’a certes pas inventé, car nous l’avions déjà vu ailleurs, mais dont il a été visiblement fort heureux de s’emparer ; nous lui apprendrons donc une chose qu’il ignore très certainement : c’est qu’il n’existe pas et ne peut pas exister de « Sheikh Abdel-Ahad », pour la bonne raison qu’Abdel-Ahad est un nom exclusivement copte. Précisons que M. paul le cour a recueilli le racontar en question dans une sorte de bulletin-prospectus publié par M. Jacques Marcireau, et où celui-ci a eu l’incroyable naïveté de reproduire une lettre qu’il avait reçue d’une soi-disant « correspondante égyptienne », qui, outre ce nom impossible, nous attribuait la qualité, que nous n’avons jamais eue, de professeur à l’Université d’El-Azhar, que d’ailleurs elle croyait être située à Alexandrie ; d’aussi énormes méprises prouvent trop évidemment que cette correspondante n’avait rien d’égyptien et ignorait même tout de l’Égypte, et, puisque cette occasion s’en présente, nous avons le regret de dire à M. Marcireau qu’il a eu affaire à quelqu’un qui s’est moqué de lui d’une belle façon !

— Le sieur Frank-Duquesne, manifestement outré que nous ayons osé nous permettre de répondre à son immonde factum, nous a adressé une nouvelle épître pleine de rage ; notre premier mouvement a été de la jeter au panier purement et simplement, mais, à la réflexion, nous avons estimé que ce serait vraiment dommage pour la documentation et l’édification de nos lecteurs. Il commence par nous informer qu’un « ami parisien » lui a communiqué le no des E. T. contenant notre réponse, que nous n’avions certes pas écrite avec l’intention qu’elle demeure ignorée de lui ; et, après avoir transcrit le « mot de commentaire » qui accompagnait cet envoi, il ajoute : « Si je vous révélais le nom du signataire, vous tomberiez des nues… » Il se trompe fort en cela, car, sans qu’il nous le « révèle », nous l’avons immédiatement deviné ; ce n’était pas bien difficile, et il n’y avait pas besoin de recourir pour cela à la moindre « clairvoyance ». Quant à l’opinion de cet « ami parisien » (qui est peut-être lyonnais, mais peu importe), elle ne nous étonne pas le moins du monde, car il y a bien longtemps que nous sommes fixé à son égard ; quelqu’un qui qualifia jadis de « romans » certains de nos ouvrages peut bien aussi avoir trouvé que, dans notre réponse, nous « éludions toute justification » (nous n’avons d’ailleurs pas à nous « justifier » devant qui que ce soit, notre indépendance étant absolue sous tous les rapports) ; on peut être fort érudit et manquer de jugement, et nous croyons même que ce cas n’est pas extrêmement rare. Nous voulons bien pourtant donner satisfaction à l’« ami parisien » sur le point qu’il mentionne expressément, car cela peut très facilement se faire en quelques mots : notre attitude ne peut nécessairement qu’être favorable à toute organisation authentiquement traditionnelle quelle qu’elle soit, et d’ordre exotérique aussi bien que d’ordre ésotérique, par le seul fait qu’elle est traditionnelle ; comme il est incontestable que l’Église possède ce caractère, il s’ensuit immédiatement que nous ne pouvons être pour elle que tout le contraire d’un « ennemi » ; cela est d’une telle évidence que nous n’aurions jamais cru qu’il pouvait y avoir quelque utilité à l’écrire en toutes lettres ! Mais voyons maintenant ce que dit F.-D. lui-même : « Allez, Guénon, et ne péchez plus ! Et dites-vous bien que vous n’en imposez pas à tout le monde. La leçon valait bien une épître, sans doute… Enfin, si vous en êtes capable, demandez-vous qui a commencé… Je n’attaque jamais, je riposte toujours ». Comme audace, ou comme inconscience, c’est vraiment un peu fort : la question de savoir « qui a commencé » n’a même pas à se poser, puisque nous ignorions totalement l’existence de cet individu avant de lire les articles dans lesquels il a éprouvé le besoin de nous attaquer ; évidemment, il est bien persuadé, dans son inconcevable vanité, qu’il a le droit de dire de nous ce qu’il veut, mais que nous n’avons pas celui d’y répondre… Quant à vouloir « en imposer » à qui que ce soit, rien n’a jamais été plus loin de notre pensée ; ce serait d’ailleurs absolument sans objet, puisque, dans toute notre œuvre, nous nous sommes toujours soigneusement abstenu d’introduire la moindre idée « personnelle », et qu’en outre nous nous sommes toujours refusé formellement à avoir des « disciples ». Continuons, car la suite est encore plus « instructive », tout au moins en ce qui concerne l’état mental de l’étrange personnage auquel nous avons affaire : « Lorsque vous prétendez que je “me plais à faire figurer dans ma signature le nombre 666”, vous mentez, vous savez que vous mentez, et vous mentez délibérément. Le public qui vous lit n’en sait rien. Mais moi je le sais, et vous le savez. Et il me suffit que vous le sachiez ». Ce que nous savons parfaitement, c’est que nous ne mentons jamais ; mais ce que nous ne savions pas jusqu’ici, nous devons l’avouer (et nous le faisons d’autant plus volontiers que nous n’avons nulle prétention à la « psychologie »), c’est que la fureur pouvait faire tourner la tête à quelqu’un et lui troubler l’esprit au point de l’amener à affirmer avec une telle impudence, en s’adressant à nous-même, que nous avons écrit une chose qu’en réalité nous n’avons jamais écrite ni même pensée ! Quiconque est dans son bon sens n’aura qu’à se reporter au passage dans lequel se trouvent effectivement les mots cités pour se rendre compte immédiatement que ceux-ci ne se rapportent aucunement à F.-D., mais bien à un autre « sinistre individu » ; nous préciserons, pour le convaincre de son erreur, qu’il s’agit d’un soi-disant prince cambodgien qui fit jadis paraître contre nous dans le Bulletin des Polaires (le monde est vraiment bien petit !) un article haineux et grossier, et qui introduisait parfois dans sa signature un symbole du nombre 666 pour faire concurrence à feu Aleister Crowley. La comparaison que nous faisions portait seulement sur le « ton » heureusement exceptionnel de l’attaque, et, quant à la « coïncidence » à laquelle nous faisions allusion, elle consistait en ce que c’est l’incontinence verbale de F.-D. qui, de son propre aveu, a eu pour conséquence de porter finalement le nombre des pages de Satan à 666 ; il est vrai que cela aussi est bien une « signature »… Il y a encore quelques mots qui méritent d’être reproduits : « Dire que je vous ai fait publier une phrase antisémite dans les E. T. Comme vous avez marché ! » Nous ne comprenons pas trop bien quelle intention il peut y avoir là-dessous : la phrase en question ne peut être que celle dans laquelle nous parlions des « disputes hurlantes de la synagogue » ; c’est là une simple constatation de fait qui est à la portée de chacun, et que nous aurions pu tout aussi bien, si nous en avions eu l’occasion, exprimer indépendamment de toute intervention d’un F.-D. quelconque ; il n’y a d’ailleurs là rien de spécifiquement « antisémite » (la politique ne nous intéresse en aucune façon ni à aucun degré), mais, même s’il en avait été ainsi, nous ne voyons pas en quoi cela aurait pu être particulièrement gênant pour les E. T., qui assurément n’ont pas la moindre attache judaïque. Enfin, le personnage, qui décidément paraît bien être atteint de « glossolalie » (et l’on sait qu’il n’y a pas que des saints à présenter ce curieux phénomène), termine sa lettre par les mots cave canem ; pour une fois, il s’est bien jugé lui-même, et il s’est appliqué une désignation qui lui convient admirablement ; seulement, le malheur est que, pour nous faire peur, il faut bien autre chose que les aboiements d’un chien ! Pour reprendre ses propres expressions, l’« âne prétentieux » que nous sommes à ses yeux continuera donc, tant qu’il vivra, et sans lui en demander la permission, à « morigéner » qui il lui conviendra, et à « donner les étrivières » (ou la cravache) à tout « chien » qui fera mine de vouloir le mordre, ainsi qu’à tout individu mal intentionné, sot ou ignorant qui se mêlera des choses qui ne le regardent pas. Nous entendons bien être seul juge de ce que nous avons à dire ou à faire en toute circonstance, et nous n’avons de compte à en rendre à personne ; n’ayant rien de commun avec les Occidentaux modernes, nous n’avons certainement pas à être « sport », comme il dit dans son langage grotesque ; les raisons pour lesquelles nous agissons de telle ou telle façon ne concernent que nous-même, elles ne sont d’ailleurs pas de celles qui peuvent être comprises par le « public », et elles n’ont absolument aucun rapport avec les conventions qui peuvent avoir cours dans le monde profane en général et dans le milieu des « gens de lettres » en particulier. Nous espérons bien que l’« ami parisien » aura encore l’obligeance de se charger de faire parvenir ces réflexions « to whom it may concern » ! — Nous profiterons de cette occasion pour adresser tous nos remerciements aux très nombreux lecteurs qui ont tenu, à propos de cette ignoble affaire, à nous exprimer leur sympathie et leur indignation. Nous pouvons du reste les assurer que nous n’en avons pas été affecté le moins du monde, et que nous en avons seulement éprouvé, tout comme eux-mêmes, le plus profond écœurement ; un tel personnage est beaucoup trop petit et trop bas pour pouvoir nous atteindre, et ses ordures ne nous éclaboussent même pas !