Avril-mai 1950

— Dans le Masonic Light de Montréal (no de septembre 1949), nous trouvons un article sur les emblèmes découverts dans l’antique Collegium des Maçons opératifs de Pompéi, et un autre qui pose, mais sans la résoudre, la question de savoir qui fut le successeur immédiat de Salomon comme Grand-Maître de la Maçonnerie. — Nous y signalerons aussi la reproduction d’extraits d’une brochure publiée par une organisation anglaise s’intitulant The Honourable Fraternity of Ancient Masonry, issue d’un des schismes qui se sont produits dans la Co-Masonry, et devenue par la suite exclusivement féminine. Le plus curieux est que les personnes qui ont rédigé cette brochure soient assez mal informées des origines de leur propre organisation pour croire que Maria Deraismes reçut l’initiation dans la Grande Loge Symbolique Écossaise, avec laquelle ni elle ni le « Droit Humain » qu’elle fonda, et dont la Co-Masonry est la branche anglo-saxonne, n’eurent jamais aucun rapport, et qui d’ailleurs ne devint elle-même «  mixte » que beaucoup plus tard ; la vérité est que Maria Deraismes fut initiée dans une Loge dépendant du Grand-Orient de France, et qui fut aussitôt « mise en sommeil » pour cette irrégularité. Il est singulier aussi que les dirigeantes de cette même organisation aient pu s’illusionner au point d’adresser à la Grande Loge d’Angleterre, en 1920, une demande de reconnaissance dans laquelle elles prétendaient assimiler l’admission des femmes dans la Maçonnerie au fait qu’elles ont maintenant accès à des carrières profanes qui autrefois leur étaient fermées ; il y fut répondu par une fin de non recevoir courtoise, mais très ferme, et il est bien évident qu’il ne pouvait en être autrement. — Dans le no d’octobre de la même revue, nous signalerons un article sur le symbolisme de l’Étoile flamboyante, dont l’intérêt est surtout de montrer qu’il y a eu de nombreuses divergences dans son interprétation et même dans sa figuration. Ainsi, lorsqu’il est dit dans l’Encyclopédie de Mackey que l’Étoile flamboyante ne doit pas être confondue avec l’étoile à cinq pointes, cela implique qu’elle doit être représentée avec six pointes ; il en est parfois ainsi en effet, et c’est sans doute ce qui a permis de la présenter comme un symbole de la Providence, ainsi que de l’assimiler à l’étoile de Bethléem, car le sceau de Salomon est aussi désigné comme l’« Étoile des Mages ». Ce n’en est pas moins une erreur, car l’étoile à six pointes est un symbole essentiellement macrocosmique, tandis que l’étoile à cinq pointes est un symbole microcosmique ; or, la signification de l’Étoile flamboyante est avant tout microcosmique, et il y a même des cas où elle ne saurait en avoir d’autre, comme lorsqu’elle est figurée entre l’équerre et le compas (cf. La Grande Triade, ch. XX). D’autre part, quand on se place au point de vue proprement cosmique, l’identification assez étrange de l’Étoile flamboyante au soleil constitue une autre déformation, qui du reste fut peut-être voulue, car elle est en connexion manifeste avec le changement d’un symbolisme primitivement polaire en un symbolisme solaire ; en réalité, l’Étoile flamboyante ne peut être identifiée à cet égard qu’à l’étoile polaire, et la lettre G inscrite à son centre en est d’ailleurs une preuve suffisante, comme nous avons eu nous-même l’occasion de l’indiquer (cf. également La Grande Triade, ch. XXV), et comme le confirment encore les considérations exposées dans l’étude du Speculative Mason que nous avons mentionnée plus haut.

— Le no de juillet-septembre 1949 des Cahiers d’Études Cathares est presque entièrement composé d’articles relatifs au Graal ; le premier est intitulé assez malencontreusement Les trois degrés d’initiation au Graal païen ; pourquoi employer ce mot déplaisant de « païen » pour désigner ce qui se rapporte aux traditions antérieures au Christianisme ? L’auteur, Mme Wiersma-Verschaffelt, qui paraît avoir une grande confiance dans les théories fort contestables de Miss Jessie Weston, a d’ailleurs en vue ce que les ethnologues désignent abusivement du nom d’initiation beaucoup plus que l’initiation véritable, et ce n’est en somme que dans ce qu’elle appelle le troisième degré qu’il semble pouvoir s’agir de celle-ci, bien que ce soit encore fort peu clair. Ces confusions sont d’autant plus regrettables que l’idée de rapporter à trois degrés différents l’aboutissement de la « queste » des trois principaux héros du Graal, Gauvain, Perceval et Galahad, aurait peut-être pu donner quelque résultat intéressant si elle avait été mieux appliquée. — Le second article, par M. Romain Goldron, a pour titre La quête du Graal et son rapport avec l’ésotérisme chrétien moderne ; il est permis de se demander comment il pourrait bien exister un « ésotérisme moderne », car le rapprochement de ces deux mots fait l’effet d’une véritable contradiction ; mais, en fait, il s’agit tout simplement des conceptions de Rudolf Steiner. Il paraît que celui-ci était plus particulièrement « autorisé à aborder le problème du Graal », et la raison qui en est donnée est vraiment curieuse : c’est que « Goethe a été en contact, au cours de sa jeunesse, avec la tradition rosicrucienne », et que « le destin a placé précisément Rudolf Steiner dans l’orbite de la pensée goethéenne », car il fut, à une certaine époque de sa vie, « chargé d’éditer les écrits scientifiques de Goethe et de les compléter par les inédits déposés aux archives de Weimar » ; et voilà en quoi consiste, aux yeux de certains, le « rattachement » à une tradition initiatique !

— Ensuite, sous le titre Le Graal pyrénéen, Cathares et Templiers, M. Déodat Roché expose les découvertes qu’il a faites dans certaines grottes, où il a relevé des vestiges d’âge très différent, puisque, suivant l’interprétation qu’il en donne, il en est qui se rapportent aux mystères de Mithra, donc à l’époque romaine, tandis que les autres ne remontent qu’au moyen âge et seraient attribuables aux Cathares et aux Templiers ; cette sorte de coïncidence géographique, qui n’a rien d’étonnant en elle-même, ne prouve assurément pas, bien que cela semble être le fond de sa pensée, qu’il y ait eu quelque filiation traditionnelle plus ou moins directe entre les occupants successifs de ces grottes. Nous n’entendons pas examiner en détail l’identification des divers symboles figurés sur les parois de celles-ci, ce qui serait d’ailleurs à peu près impossible en l’absence de toute reproduction ; nous nous bornerons à dire que l’assimilation établie entre trois « révélations du Graal », représentées par des correspondances cosmiques différentes, et trois « époques de culture » (égypto-chaldéenne, gréco-latine et moderne), si ingénieuse qu’elle puisse être, ne repose pas sur des arguments bien solides, et aussi que l’affirmation suivant laquelle les Templiers auraient « recueilli en Orient la tradition manichéenne » est pour le moins fort hypothétique ; mais, sur ce dernier point, on sait déjà que M. Déodat Roché aime à retrouver un peu partout du « manichéisme ». Quant aux soi-disant « grands maîtres modernes » dont il est question à la fin, et qui auraient pour mission de préparer la venue de l’« époque du Verseau », nous ne savons que trop, hélas ! ce qu’il faut en penser… — Il paraît que M. Déodat Roché est encore de ceux qui ne sont pas satisfaits des remarques que nous avons faites sur leurs travaux, et il a éprouvé le besoin de s’en plaindre tout au long de deux grandes pages ! Il est indiqué que, dans ses études postérieures à son ouvrage Le Catharisme, nous n’ayons « rien trouvé de nouveau » en ce qui concerne la question de la filiation du manichéisme au catharisme, et il en aurait été surpris, dit-il, si nous n’avions écrit par ailleurs que « le gnosticisme sous ses multiples formes ne nous intéresse pas le moins du monde ». Il semble bien résulter de ce rapprochement qu’il inclut le manichéisme dans le gnosticisme ; quoique ce ne soit pas habituel, nous le voulons bien, car cela ne fait en somme qu’une chose de plus à ajouter à toutes celles, déjà fort diverses, qu’on range sous ce vocable ; mais, quoi qu’il en soit, la vérité est tout simplement que, pour pouvoir affirmer la filiation dont il s’agit, il faudrait d’abord savoir exactement ce que fut le manichéisme, et que jusqu’ici personne n’en sait rien ; c’est là, pour formuler des réserves, une raison qui n’a rien à voir avec l’intérêt plus ou moins grand que nous y prenons. Au surplus, M. Déodat Roché a manifestement un goût très prononcé pour l’« hétérodoxie », et il nous est absolument impossible de le partager ; quand il écrit : « Nous laissons de côté les termes d’orthodoxie et d’hérésie… n’ayant pas le temps de nous livrer à des discussions byzantines et désuètes et voulant garder une attitude philosophique », il se trouve justement que ces choses qu’il estime « désuètes » sont de celles qui ont pour nous une importance essentielle, et cela parce que notre attitude n’est pas « philosophique » comme la sienne, mais strictement traditionnelle. Nous ne voudrions pas insister outre mesure, mais pourtant il y a encore au moins un point qui appelle des précisions nécessaires : à propos de l’« influence de R. Steiner » que nous avons notée dans son interprétation de la doctrine cathare, M. Déodat Roché se demande si nous ne parlons pas d’influence « par suite de l’idée que nous nous faisons de l’initiation » ; nous pouvons l’assurer qu’il n’en est rien et que nous n’avons pris là ce mot que dans son acceptation la plus ordinaire, d’abord parce que l’« influence spirituelle » n’a rien de commun avec ce qu’on appelle l’influence d’une individualité sur une autre et qui est ce dont il s’agit dans ce cas, et ensuite parce que R. Steiner n’avait certainement aucune initiation authentique à transmettre. Ensuite, citant cette phrase de nous : « La transmission régulière de l’influence spirituelle est ce qui caractérise essentiellement l’initiation », il ajoute ceci, qui est bien significatif : « Voilà une méthode périmée, ce n’est pas une méthode moderne et ce n’est pas la nôtre ». Ainsi, il considère comme « périmé » ce qui a pour nous une valeur absolument permanente et intemporelle ; s’il préfère les « méthodes modernes » et par là même profanes, y compris la « méthode comparative de la science des religions », c’est assurément son affaire, mais alors qu’il ne soit plus question, ni d’ésotérisme ni d’initiation. En tout cas, cela est bon à enregistrer, car c’est la preuve la plus décisive qu’on puisse souhaiter que, entre son point de vue et le nôtre, il y a un véritable abîme !

— Le Speculative Mason (no d’octobre 1949), après avoir donné un aperçu général du contenu des manuscrits des Old Charges, dont on connaît maintenant à peu près une centaine, et avoir relevé les indications qu’on y trouve en ce qui concerne l’existence d’un secret, indications qui ne pouvaient évidemment pas être très explicites dans des documents écrits et même « semi-publics », étudie plus spécialement la question du nom qui y est donné à l’architecte du Temple de Salomon. Chose singulière, ce nom n’est jamais celui d’Hiram ; dans la plupart des manuscrits, il est, soit Amon, soit quelque autre forme qui paraît bien n’en être qu’une corruption ; il semblerait donc que le nom d’Hiram n’ait été substitué que tardivement à celui-là, probablement parce que la Bible en fait mention, bien qu’en réalité elle ne lui attribue d’ailleurs pas la qualité d’architecte, tandis qu’il n’y est nulle part question d’Amon. Ce qui est étrange aussi, c’est que ce mot a précisément en hébreu le sens d’artisan et d’architecte ; on peut donc se demander si un nom commun a été pris pour un nom propre, ou si au contraire cette désignation fut donnée aux architectes parce qu’elle avait été tout d’abord le nom de celui qui édifia le Temple. Quoi qu’il en soit, sa racine, d’où dérive aussi notamment le mot amen, exprime, en hébreu comme en arabe, les idées de fermeté, de constance, de foi, de fidélité, de sincérité, de vérité, qui s’accordent fort bien avec le caractère attribué par la légende maçonnique au troisième Grand-Maître. Quant au nom du dieu égyptien Amon, bien que sa forme soit identique, il a une signification différente, celle de « caché » ou de « mystérieux » ; il se pourrait cependant qu’il y ait au fond, entre toutes ces idées, plus de rapport qu’il ne le semble à première vue. En tout cas, il est au moins curieux, à cet égard, de constater que les trois parties du mot de Royal Arch auxquelles nous avons fait allusion dans une de nos études (Paroles perdue et mots substitués, dans le no d’octobre-novembre 1948), et qui sont considérées comme représentant des noms divins dans les trois traditions hébraïque, chaldéenne et égyptienne, sont, dans la Maçonnerie opérative, rapportées respectivement dans cet ordre à Salomon, à Hiram, roi de Tyr, et au troisième Grand-Maître, ce qui pourrait donner à penser que la connexion « égyptienne » suggérée par l’ancien nom de ce dernier n’est peut-être pas purement accidentelle. À ce propos, nous ajouterons une autre remarque qui n’est pas sans intérêt non plus : on a supposé que ce qui est donné comme un nom divin égyptien, étant en réalité le nom d’une ville, ne s’était introduit là que par confusion entre une divinité et le lieu où elle était adorée ; pourtant, il entre réellement, sous une forme à peine différente, et même toute semblable si l’on tient compte de l’indétermination des voyelles, dans la composition d’un des principaux noms d’Osiris, qui est même dit être son « nom royal », et ce qui est encore plus singulier, c’est qu’il a proprement le sens d’« être », tout comme le mot grec dont il est presque homonyme et qui, suivant certains, pourrait avoir contribué aussi à la confusion ; nous ne voulons tirer de là aucune conclusion, si ce n’est que, dans des questions de ce genre, il ne faut peut-être pas avoir une confiance excessive dans les solutions qui paraissent les plus simples quand on n’examine pas les choses de trop près. — Parmi les autres articles, nous en signalerons un qui est intitulé The Tables of King Salomon and King Arthur ; les « tables » dont il s’agit ont toutes deux un même symbolisme astronomique, et la priorité est ici revendiquée pour celle d’Arthur, parce qu’elle est identifiée au zodiaque archaïque de Somerset, dont l’origine serait fort antérieure à l’époque de Salomon ; mais, à vrai dire, cette question de priorité nous paraît perdre beaucoup de son importance s’il s’agit, comme nous le pensons, de représentations dérivées d’un même prototype, sans aucune filiation directe de l’une à l’autre. — Mentionnons encore des réflexions diverses sur le symbolisme de la Mark Masonry, et un article intitulé The A. B. C. of Astrology, qui donne une esquisse des caractéristiques des planètes et des signes zodiacaux, en y introduisant d’ailleurs certaines vues modernes qui appelleraient plus d’une réserve.

— Dans le Masonic Light (no de novembre 1949), deux articles sont consacrés à des questions de symbolisme ; dans l’un d’eux, il s’agit du rameau d’acacia, symbole d’immortalité et aussi, suivant la signification de son nom en grec, d’innocence ; quant à la référence à l’initiation, nous ne pensons pas qu’on puisse la considérer comme constituant un troisième sens à proprement parler, car elle est liée directement aux idées de résurrection et d’immortalité. — L’autre article se rapporte à la règle de 24 pouces ; il y a lieu de remarquer que l’adoption plus ou moins récente du système métrique dans certains pays ne doit aucunement avoir pour effet de faire modifier, dans les rituels, l’indication de cette mesure qui seule a une valeur traditionnelle. D’autre part, l’auteur remarque que cette règle ne figure pas partout parmi les outils du premier degré ; cela est exact, mais il a complètement oublié, par ailleurs, de noter son rôle dans le rituel du troisième degré, et c’est pourtant là ce qui fait apparaître le plus nettement son rapport symbolique avec la journée divisée en 24 heures. Nous remarquerons aussi que la répartition de ces heures en trois groupes de huit, bien que mentionnée dans certaines instructions aux nouveaux initiés, ne représente en somme qu’un « emploi du temps » assez banal ; c’est là un exemple de la tendance « moralisante » qui a malheureusement prévalu dans l’interprétation courante des symboles ; la répartition en deux séries de douze, correspondant aux heures du jour et à celles de la nuit (comme dans le nombre des lettres composant les deux parties de la formule de la shahâdah islamique), donnerait certainement lieu à des considérations beaucoup plus intéressantes. Pour ce qui est de l’équivalence plus ou moins approximative du pouce anglais actuel avec l’ancien pouce égyptien, elle est sans doute assez hypothétique ; les variations qu’ont subies les mesures qui sont désignées par les mêmes noms, suivant les pays et les époques, ne semblent d’ailleurs jamais avoir été étudiées comme elles le mériteraient, et il faut reconnaître qu’une telle étude ne serait pas exempte de difficultés, car sait-on exactement ce qu’étaient, par exemple, les différentes sortes de coudées, de pieds et de pouces qui furent en usage, parfois même simultanément, chez certains peuples de l’antiquité ? — Parmi les articles historiques, nous en noterons un où sont exposés les faits qui amenèrent, entre 1830 et 1840, certaines Loges opératives anglaises à renoncer à tout caractère maçonnique et à se transformer en simples Trade Unions ; nous nous demandons si ce n’est pas là ce qui expliquerait qu’il se produisit dans les rituels opératifs, vers cette époque, certaines lacunes qui furent d’ailleurs réparées ultérieurement, mais surtout, à ce qu’il semble, à l’aide des rituels de la Maçonnerie spéculative. Par une curieuse coïncidence, il y eut en France, au cours du xixe siècle, quelque chose de semblable en ce qui concerne les rituels du Compagnonnage, et c’est aussi de la même façon qu’on y remédia, ce qui peut d’ailleurs donner lieu à quelque doute sur l’ancienneté réelle de ce que ces rituels, tels qu’ils existent actuellement, présentent de commun avec ceux de la Maçonnerie, et qui peut n’être, au moins en partie, qu’une conséquence de cette reconstitution.