Juin 1950

Les Cahiers du Symbolisme Chrétien (no de janvier-février 1950) publient un article de M. Lanza del Vasto sur les apparitions du Christ après la Résurrection ; il est assez singulier que lui aussi insiste à son tour sur les 153 poissons de la pêche miraculeuse, mais l’interprétation qu’il donne de ce nombre est plutôt vague, aussi bien d’ailleurs que ses considérations plus générales sur le symbolisme du poisson. D’autre part, il note que ces apparitions, d’après les Évangiles, sont au nombre de neuf, mais il omet de remarquer que 153 est égal à 9 × 17 ; or, dans un autre article sur le symbolisme des apparitions mariales de Pontmain, qui dans son ensemble nous paraît quelque peu « forcé », M. Raoul Auclair attribue précisément une importance toute particulière au nombre 17 ; quand on connaît les idées « cycliques » très spéciales de l’auteur, on ne peut pas douter qu’il y ait là plus qu’une simple coïncidence. — Une étude intitulée Structure de la matière et symbolisme traditionnel, par M. François Tanazacq, contient des considérations curieuses, notamment sur le parti qu’on peut tirer des nombres pour la classification des « corps simples » de la chimie (auxquels, notons-le en passant, il est fâcheusement équivoque de donner le nom d’« éléments », qui s’applique traditionnellement à tout autre chose) ; mais certaines conceptions de la science moderne y sont peut-être prises un peu trop au sérieux, et, si l’on veut pousser trop loin les rapprochements avec la « vision pythagoricienne du monde », on risque de se faire bien des illusions, car l’abîme qui existe entre la science traditionnelle et la science profane ne se comble pas si facilement. — M. Marcel Lallemand, dans un article sur Spiritualité et phénoménologie supranormale, insiste fort justement sur l’insignifiance des « phénomènes » en eux-mêmes au point de vue spirituel, sur les dangers qu’ils présentent à cet égard, ainsi que sur « les causes multiples et essentiellement différentes qui peuvent produire le supranormal » ; il y a là des vues qui s’accordent entièrement avec ce que nous avons exposé nous-même sur la distinction du psychique et du spirituel et sur le « rejet des pouvoirs ». Nous devons seulement faire une réserve quant à ce qui est dit de « la collaboration qui semble s’amorcer aujourd’hui entre des représentants des grandes traditions de l’humanité » ; en effet, les exemples qui en sont donnés ne sont pas faits pour nous inspirer une grande confiance, tant à cause de l’orthodoxie douteuse de quelques-uns de ces « représentants » du côté oriental que des intentions plus ou moins suspectes de certains autres du côté occidental ; il y a malheureusement, dans les tentatives de ce genre, bien des « dessous » dont il convient de se méfier.

— Dans les Cahiers d’Études Cathares (no d’octobre-décembre 1949), une étude archéologique sur Les stèles manichéennes et cathares du Lauragais, par M. Raymond Dorbes, apporte quelques renseignements intéressants sur les « croix cathares » qui existent encore en assez grand nombre dans cette région et qui paraissent avoir été érigées primitivement dans des cimetières ; il est à remarquer qu’on y retrouve constamment, avec des variantes diverses, le symbole universel de la croix inscrite dans le cercle. — Dans un article intitulé Les deux tentations chez les Cathares du xiiie siècle, M. René Nelli expose la distinction, vraisemblablement inspirée dans une certaine mesure de saint Paul, que ceux-ci faisaient entre la tentation « charnelle », qui, « correspondant à notre servitude physique, est naturelle et inévitable », et la tentation « diabolique », qui « procède du cœur, comme l’erreur, les pensées iniques, la haine et autres choses semblables ». — Vient ensuite un long travail de M. Déodat Roché sur Les Cathares et l’amour spirituel, dont le titre n’indique d’ailleurs pas entièrement le contenu, car il y est question aussi de diverses autres choses, comme le problème du mal, la formation de l’homme terrestre et la séduction luciférienne (qui est ici l’équivalent de la « chute » biblique, mais avec une curieuse distinction entre le rôle de Lucifer et celui de Satan). C’est une étude consciencieusement faite au point de vue historique, et intéressante notamment par les nombreux textes manichéens et cathares qui y sont reproduits ; il est seulement à regretter que l’auteur y ait encore mêlé parfois quelques-unes des interprétations « néo-spiritualistes » qui lui sont habituelles, en faisant appel aux « données de la science spirituelle moderne constituée par Rudolf Steiner ».

— Dans Atlantis (no de janvier-février 1950), M. Paul Le C-R parle de Celtisme et Druidisme ; il a rassemblé patiemment les quelques données qu’il a trouvées éparses dans des ouvrages divers, mais il y a naturellement mêlé aussi un bon nombre de fantaisies, sur lesquelles nous n’insisterons pas autrement, car elles ne diffèrent guère de celles qui lui sont coutumières ; nous pensons en donner une idée suffisante en disant qu’il trouve « remarquable que, dans Cro-Magnon, il y ait le Grand Chi-Ro »… Lui aussi cède à l’obsession des 153 poissons, mais il en donne du moins une interprétation inédite : il a découvert que « ce nombre correspond à celui d’Aor Ag-Ni »… en faisant R = 100 ! D’autre part, il revient sur la prétendue « origine gauloise de Jésus », qu’il avait déjà soutenue dans son livre Hellénisme et Christianisme, et quelques-uns de ses arguments sont plutôt amusants ; il paraît que le nom de Nazareth devrait s’écrire Nagareth, « où nous retrouverions Aor, Ag, Ni Theos » ; évidemment, avec de semblables procédés, on peut toujours trouver tout ce qu’on veut. Il reproche à une revue consacrée à l’étude des doctrines celtiques de « s’appuyer sur l’ouvrage de F. Schuon », et il prétend que « l’auteur déclare que la vérité ne se trouve que dans les Védas et le Coran, ce qui n’a rien de spécifiquement celtique » ; or il est parfaitement certain que notre collaborateur n’a jamais rien « déclaré » de tel, pour la bonne raison que, comme nous-même, et ainsi que le titre de son livre l’indique d’ailleurs expressément, il reconnaît l’unité fondamentale de toutes les traditions, ce qui implique nécessairement que la vérité se trouve dans tous les Livres sacrés sans exception. Ajoutons encore une petite rectification historique ; ce n’est pas Sédir qui a retourné le mot « désir », mais bien L.-Cl. de Saint-Martin lui-même, qui a fait de ce retournement le nom d’un des personnages de son Crocodile ; pour quelqu’un qui aime tant à se recommander de Saint-Martin, il est vraiment fâcheux de ne pas mieux connaître ses ouvrages !

Le no de mars-avril porte pour titre général Magnétisme et Hyperborée ; ce rapprochement peut paraître assez bizarre, et, en fait, il y a un peu de tout là-dedans, comme le montre cette sorte de sommaire qui figure en tête : « le magnétisme, l’aimant, la boussole, l’Hyperborée, les glaciations, le magnétisme humain, les guérisseurs, les sources guérissantes, les sources miraculeuses » ; dans les considérations auxquelles tout cela donne lieu, la science moderne ordinaire et « la métapsychique » tiennent une assez large place. Il faut du moins savoir gré à M. Paul Le C-R de ne plus confondre l’Hyperborée avec l’Atlantide comme il le faisait autrefois, et d’en arriver même à envisager l’origine nordique des traditions ; mais alors l’Atlantide va-t-elle passer maintenant, comme elle le devrait logiquement, au second plan de ses préoccupations ? À part cela, il n’y aurait rien de bien particulier à signaler s’il n’y avait aussi, hélas ! des choses d’un autre genre sur lesquelles nous nous voyons obligé de nous arrêter un peu plus longuement : d’abord, M. Paul Le C-R raconte qu’il s’est reporté, comme nous l’y avions engagé, à notre article des Cahiers du Sud sur l’ésotérisme islamique, et, après quelques assertions plus que contestables, il écrit ceci : « Que l’on juge de mon étonnement en apprenant que le soufisme, qui serait le plus haut degré initiatique, s’appuie sur l’astrologie des cycles et non l’astrologie profane, sur la science des lettres et des nombres, sur l’alchimie, qui n’est pas celle des brûleurs de charbon », sciences qui sont, ajoute-t-il, « les trois voies d’accès aux petits mystères ». Notre étonnement n’est pas moins grand que le sien, car nous n’avons pas dit un seul mot de ce qu’il nous attribue : le « soufisme » n’est pas un degré initiatique, mais tout simplement une dénomination conventionnelle (que du reste nous n’employons jamais) de l’ésotérisme islamique ; et celui-ci ne « s’appuie » nullement sur les sciences traditionnelles en question, qui s’y incorporent seulement en tant qu’applications de la doctrine métaphysique à l’ordre cosmologique. Nous ajouterons que les « écoles coraniques » n’ont absolument rien à voir avec l’ésotérisme et l’initiation ; quand on est assez ignorant de ce dont il s’agit pour confondre une tarîqah avec un Kuttâb, on ferait beaucoup mieux de s’abstenir de parler ! Après cela, et sans doute pour suivre l’exemple de certain individu dont nos lecteurs doivent avoir gardé le souvenir, M. Paul Le C-R a éprouvé le besoin de reprendre à sa façon l’histoire des « Polaires » et de la préface d’Asia Mysteriosa ; il nous faut donc répéter encore une fois que nous n’avons pas été « dupe » et que nous ne nous sommes aucunement « fourvoyé », puisque, comme nous l’avons déjà expliqué(*), notre but, en agissant comme nous l’avons fait en cette circonstance, était uniquement de gagner le temps nécessaire pour procéder à des vérifications qui nous intéressaient pour diverses raisons qui assurément ne regardent pas nos contradicteurs. Où nous sommes tout à fait d’accord avec M. Paul Le C-R, c’est quand il déplore que « le monde soit actuellement rempli de ces faux prophètes que l’Amérique fait généralement éclore » ; mais ce qui est franchement amusant, c’est que, deux pages plus loin, il comble d’éloges un représentant d’une organisation américaine de cette catégorie, se montrant même tout disposé à admettre sa prétention de « posséder toute la science ésotérique de l’Orient et de l’Occident », et cela parce que ce personnage nous a pris à parti, paraît-il, dans un récent livre sur la réincarnation ; et, par surcroît, il profite de cette occasion pour citer Vivêkânanda et Gandhi comme des autorités en fait de tradition hindoue, ce qui est encore une assez belle méprise. Par contre, il maltraite l’auteur d’un autre livre parce que celui-ci nous cite favorablement et « s’appuie sur nos doctrines hindoues » (ceci est un véritable non-sens, car les doctrines traditionnelles, hindoues ou autres, ne sont assurément la propriété de personne, et d’ailleurs, pour notre part, nous n’avons jamais revendiqué même celle de quelque idée que ce soit), doctrines dans lesquelles, à son avis, « il n’existe aucune lueur spirituelle » ; manifestement, l’attitude des auteurs à notre égard sert de « critérium » à M. Paul Le C-R pour les appréciations qu’il porte sur leurs ouvrages, et, non moins manifestement, il faut se livrer à des déclamations sentimentales pour faire preuve à ses yeux de « spiritualité » !