CHAPITRE IV
Caractère moderne du spiritisme

Ce qu’il y a de nouveau dans le spiritisme, comparé à tout ce qui avait existé antérieurement, ce ne sont pas les phénomènes, qui ont été connus de tout temps, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer à propos des « maisons hantées » ; et il serait d’ailleurs bien étonnant que ces phénomènes, s’ils sont réels, aient attendu jusqu’à notre époque pour se manifester, ou que du moins personne ne s’en soit aperçu jusque là. Ce qu’il y a de nouveau, ce qui est spécialement moderne, c’est l’interprétation que les spirites donnent des phénomènes dont ils s’occupent, la théorie par laquelle ils prétendent les expliquer ; mais c’est justement cette théorie qui constitue proprement le spiritisme, comme nous avons eu soin d’en avertir dès le début ; sans elle, il n’y aurait pas de spiritisme, mais il y aurait quelque chose d’autre, et quelque chose qui pourrait même être totalement différent. Il est tout à fait essentiel d’insister là-dessus, d’abord parce que ceux qui sont insuffisamment au courant de ces questions ne savent pas faire les distinctions nécessaires, et ensuite parce que les confusions sont entretenues par les spirites eux-mêmes, qui se plaisent à affirmer que leur doctrine est vieille comme le monde. C’est là, d’ailleurs, une attitude singulièrement illogique chez des gens qui font profession de croire au progrès ; les spirites ne vont pas jusqu’à se recommander d’une tradition imaginaire, comme le font les théosophistes contre qui nous avons formulé ailleurs la même objection(1), mais ils semblent voir du moins, dans l’ancienneté qu’ils attribuent faussement à leur croyance (et beaucoup le font certainement de très bonne foi), une raison susceptible de la fortifier dans une certaine mesure. Au fond, tous ces gens n’en sont pas à une contradiction près, et s’ils ne s’aperçoivent même pas de la contradiction, c’est parce que l’intelligence entre pour fort peu de chose dans leur conviction ; c’est pourquoi leurs théories, étant surtout d’origine et d’essence sentimentales, ne méritent pas vraiment le nom de doctrine, et, s’ils y sont attachés, c’est presque uniquement parce qu’ils les trouvent « consolantes » et propres à satisfaire les aspirations d’une vague religiosité.

La croyance même au progrès, qui joue un rôle si important dans le spiritisme, montre déjà que celui-ci est chose essentiellement moderne, puisqu’elle est elle-même toute récente et ne remonte guère au delà de la seconde moitié du xviiie siècle, époque dont les conceptions, nous l’avons vu, ont laissé des traces dans la terminologie spirite, de même qu’elles ont inspiré toutes ces théories socialistes et humanitaires qui ont, d’une façon plus immédiate, fourni les éléments doctrinaux du spiritisme, parmi lesquels il faut noter tout spécialement l’idée de la réincarnation. Cette idée, en effet, est extrêmement récente aussi, malgré des assertions contraires maintes fois répétées, et qui ne reposent que sur des assimilations entièrement erronées ; c’est également vers la fin du xviiie siècle que Lessing la formula pour la première fois, à notre connaissance du moins, et cette constatation reporte notre attention vers la Maçonnerie allemande, à laquelle cet auteur appartenait, sans compter qu’il fut vraisemblablement en rapport avec d’autres sociétés secrètes du genre de celles dont nous avons parlé précédemment ; il serait curieux que ce qui souleva tant de protestations de la part des « spiritualistes » américains ait eu des origines apparentées à celles de leur propre mouvement. Il y aurait lieu de se demander si ce n’est pas par cette voie que la conception exprimée par Lessing a pu se transmettre un peu plus tard à certains socialistes français ; mais nous ne pouvons rien assurer à cet égard, car il n’est pas prouvé que Fourier et Pierre Leroux en aient eu réellement connaissance, et il peut se faire, après tout, que la même idée leur soit venue d’une façon indépendante, pour résoudre une question qui les préoccupait fortement, et qui était tout simplement celle de l’inégalité des conditions sociales. Quoi qu’il en soit, ce sont eux qui ont été vraiment les promoteurs de la théorie réincarnationniste, popularisée par le spiritisme qui la leur a empruntée, et où d’autres sont ensuite venus la chercher à leur tour. Nous renverrons à la seconde partie de cette étude l’examen approfondi de cette conception, qui, si grossière qu’elle soit, a acquis de nos jours une véritable importance en raison de l’étonnante fortune que le spiritisme français lui a faite : non seulement elle a été adoptée par la plupart des écoles « néo-spiritualistes » qui ont été créées ultérieurement, et dont certaines, comme le théosophisme en particulier, sont arrivées à la faire pénétrer dans les milieux, jusqu’alors réfractaires, du spiritisme anglo-saxon ; mais encore on voit des gens qui l’acceptent sans être rattachés de près ou de loin à aucune de ces écoles, et qui ne se doutent pas qu’ils subissent en cela l’influence de certains courants mentaux dont ils ignorent à peu près tout, dont peut-être ils connaissent à peine l’existence. Pour le moment, nous nous bornerons à dire, en nous réservant de l’expliquer par la suite, que la réincarnation n’a absolument rien de commun avec des conceptions anciennes comme celles de la « métempsychose » et de la « transmigration », auxquelles les « néo-spiritualistes » veulent l’identifier abusivement ; et l’on peut au moins pressentir, par ce que nous avons dit en cherchant à définir le spiritisme, que l’explication des différences capitales qu’ils méconnaissent se trouve dans ce qui se rapporte à la constitution de l’être humain, aussi bien pour cette question que pour celle de la communication avec les morts, sur laquelle nous allons dès maintenant nous arrêter plus longuement.

Il est une erreur assez répandue, qui consiste à vouloir rattacher le spiritisme au culte des morts, tel qu’il existe plus ou moins dans toutes les religions, et aussi dans diverses doctrines traditionnelles qui n’ont aucun caractère religieux ; en réalité, ce culte, sous quelque forme qu’il se présente, n’implique nullement une communication effective avec les morts ; tout au plus pourrait-on parler peut-être, dans certains cas, d’une sorte de communication idéale, mais jamais de cette communication par des moyens matériels dont l’affirmation constitue le postulat fondamental du spiritisme. En particulier, ce qu’on appelle le « culte des ancêtres », établi en Chine conformément aux rites confucianistes (qui, il ne faut pas l’oublier, sont purement sociaux et non point religieux), n’a absolument rien à voir avec des pratiques évocatoires quelconques ; et cet exemple est pourtant un de ceux auxquels ont recours le plus fréquemment les partisans de l’antiquité et de l’universalité du spiritisme, qui précisent même que les évocations se font souvent, chez les Chinois, par des procédés tout à fait semblables aux leurs. Voici à quoi est due cette confusion : il y a effectivement, en Chine, des gens qui font usage d’instruments assez analogues aux « tables tournantes » ; mais ce sont là des pratiques divinatoires qui sont du domaine de la magie et qui sont tout à fait étrangères aux rites confucianistes. D’ailleurs, ceux qui font de la magie une profession sont profondément méprisés, là aussi bien que dans l’Inde, et l’emploi de ces procédés est regardé comme blâmable, en dehors de certains cas déterminés dont nous n’avons pas à nous occuper ici, et qui n’ont qu’une similitude tout extérieure avec les cas ordinaires ; l’essentiel, en effet, n’est pas le phénomène provoqué, mais le but pour lequel on le provoque, et aussi la façon dont il est produit. Ainsi, la première distinction qu’il y a lieu de faire est entre la magie et le « culte des ancêtres », et c’est même plus qu’une distinction, puisque c’est, en fait aussi bien qu’en droit, une séparation absolue ; mais il y a encore autre chose : c’est que la magie n’est point le spiritisme, qu’elle en diffère théoriquement du tout au tout, et pratiquement dans une très large mesure. D’abord, nous devons faire remarquer que le magicien est tout le contraire d’un médium ; il joue dans la production des phénomènes un rôle essentiellement actif, tandis que le médium est, par définition, un instrument purement passif ; le magicien aurait, sous ce rapport, plus d’analogie avec le magnétiseur, et le médium avec le « sujet » de celui-ci ; mais il faut ajouter que le magicien n’opère pas nécessairement au moyen d’un « sujet », que cela est même fort rare, et que le domaine où s’exerce son action est autrement étendu et complexe que celui où opère le magnétiseur. En second lieu, la magie n’implique point que les forces qu’elle met en jeu soient des « esprits » ou quelque chose d’analogue, et, là même où elle présente des phénomènes comparables à ceux du spiritisme, elle en fournit une tout autre explication ; on peut fort bien, par exemple, employer un procédé de divination quelconque sans admettre que les « âmes des morts » soient pour quoi que ce soit dans les réponses obtenues. Ce que nous venons de dire a d’ailleurs une portée tout à fait générale : les procédés que les spirites se félicitent de rencontrer en Chine existaient aussi dans l’antiquité gréco-romaine ; ainsi, Tertullien parle de la divination qui se faisait « par le moyen des chèvres et des tables », et d’autres auteurs, comme Théocrite et Lucien, parlent aussi de vases et de cribles qu’on faisait tourner ; mais, en tout cela, c’est exclusivement de divination qu’il s’agit. Du reste, même si les « âmes des morts » peuvent, dans certains cas, être mêlées à des pratiques de ce genre (ce que semble indiquer le texte de Tertullien), ou, en d’autres termes, si l’évocation vient, plus ou moins exceptionnellement, s’y joindre à la divination pure et simple, c’est que les « âmes » dont il s’agit sont autre chose que ce que les spirites appellent des « esprits » ; elles sont seulement ce « quelque chose » à quoi nous avons fait allusion plus haut pour expliquer certains phénomènes, mais dont nous n’avons pas encore précisé la nature. Nous y reviendrons plus à loisir dans un instant, et nous achèverons ainsi de montrer que le spiritisme n’a aucun droit à se recommander de la magie, même envisagée dans cette branche spéciale qui concerne les évocations, si tant est que ce puisse être là une recommandation ; mais, de la Chine, à propos de laquelle nous avons été conduit à ces considérations, il nous faut auparavant passer à l’Inde, à propos de laquelle il a été commis d’autres erreurs du même ordre que nous tenons à relever également en particulier.

Nous avons trouvé, à cet égard, des choses étonnantes dans un livre qui a pourtant une apparence sérieuse, ce qui est d’ailleurs la raison pour laquelle nous croyons devoir le mentionner ici spécialement : ce livre, assez connu, est celui du Dr Paul Gibier(2), qui n’était nullement un spirite ; il veut avoir une attitude scientifiquement impartiale, et toute la partie expérimentale semble fort consciencieusement faite. Seulement, on peut se demander comment il se fait que presque tous ceux qui se sont occupés de ces choses, même en prétendant s’en tenir à un point de vue strictement scientifique et en s’abstenant de conclure en faveur de l’hypothèse spirite, aient cru nécessaire d’afficher des opinions anticatholiques qui ne paraissent pas avoir un rapport bien direct avec ce dont il s’agit ; il y a là quelque chose qui est vraiment étrange ; et le livre du Dr Gibier contient, dans ce genre, des passages capables de rendre jaloux M. Flammarion lui-même, qui aime tant à introduire des déclamations de cette sorte jusque dans ses ouvrages de vulgarisation astronomique. Mais ce n’est pas à cela que nous voulons nous arrêter pour le moment ; il y a autre chose sur quoi il est plus important d’insister, parce que beaucoup de gens peuvent ne pas s’en apercevoir : c’est que ce même livre contient, en ce qui concerne l’Inde, de véritables énormités. La provenance, d’ailleurs, en est facile à indiquer : l’auteur a eu le tort très grave d’ajouter foi, d’une part, aux récits fantaisistes de Louis Jacolliot(3), et, d’autre part, aux documents non moins fantaisistes qui lui avaient été communiqués par une certaine « Société Atmique » qui existait alors à Paris (c’était en 1886), et qui d’ailleurs n’était guère représentée que par son seul fondateur, l’ingénieur Tremeschini. Nous ne nous arrêterons pas sur les erreurs de détail, comme celle qui consiste à prendre le titre d’un traité astronomique pour le nom d’un homme(4) ; elles ne sont intéressantes qu’en ce qu’elles montrent déjà le peu de sérieux des renseignements utilisés. Nous avons parlé d’énormités ; nous ne croyons pas que le mot soit trop fort pour qualifier des choses comme celles-ci : « La doctrine spirite moderne… se trouve presque complètement d’accord avec la religion ésotérique actuelle des brahmes. Or celle-ci s’enseignait aux initiés des degrés inférieurs dans les temples de l’Himâlaya, il y a peut-être plus de cent mille ans ! Le rapprochement est au moins curieux, et l’on peut dire, sans tomber dans le paradoxe, que le spiritisme n’est que le brahmanisme ésotérique à l’air libre »(5). D’abord, il n’y a pas de « Brâhmanisme ésotérique » à proprement parler, et, comme nous nous sommes déjà expliqué là-dessus ailleurs(6), nous n’y reviendrons pas ; mais, y en eût-il un, il ne pourrait pas avoir le moindre rapport avec le spiritisme, parce que ce serait contradictoire avec les principes mêmes du Brâhmanisme en général, et aussi parce que le spiritisme est une des doctrines les plus grossièrement exotériques qui aient jamais existé. Si l’on veut faire allusion à la théorie de la réincarnation, nous répéterons qu’elle n’a jamais été enseignée dans l’Inde, même par les Bouddhistes, et qu’elle appartient en propre aux Occidentaux modernes ; ceux qui prétendent le contraire ne savent pas de quoi ils parlent(7) ; mais l’erreur de notre auteur est encore plus grave et plus complète, car voici ce que nous lisons plus loin : « Chez les brahmes, la pratique de l’évocation des morts est la base fondamentale de la liturgie des temples et le fond de la doctrine religieuse »(8). Cette assertion est exactement le contraire de la vérité : nous pouvons affirmer de la façon la plus catégorique que tous les Brâhmanes sans exception, bien loin de faire de l’évocation un élément fondamental de leur doctrine et de leurs rites, la proscrivent absolument et sous toutes ses formes. Il paraît que ce sont « les récits des voyageurs européens », et probablement surtout ceux de Jacolliot, qui ont appris au Dr Gibier que « les évocations des âmes des ancêtres ne peuvent être faites que par les brahmes des divers degrés »(9) ; or les pratiques de ce genre, quand elles ne peuvent être entièrement supprimées, sont du moins abandonnées à des hommes des classes les plus inférieures, souvent même à des chândâlas, c’est-à-dire à des hommes sans caste (ce que les Européens appellent des parias), et encore s’efforce-t-on de les en détourner autant qu’il est possible. Jacolliot est manifestement de mauvaise foi dans bien des cas, comme lorsqu’il travestit Isha Krishna en Jezeus Christna pour les besoins d’une thèse antichrétienne ; mais, de plus, lui et ses pareils peuvent fort bien avoir été parfois mystifiés, et, s’il leur est arrivé, au cours de leur séjour dans l’Inde, d’être témoins de phénomènes réels, on s’est certainement bien gardé de leur en faire connaître la véritable explication. Nous faisons allusion surtout aux phénomènes des fakirs ; mais, avant d’aborder ce point, nous dirons encore ceci : dans l’Inde, lorsqu’il arrive que ce que les spirites appellent médiumnité se manifeste spontanément (nous disons spontanément parce que nul ne chercherait jamais à acquérir ou à développer cette faculté), on considère que c’est là une véritable calamité pour le médium et pour son entourage ; les gens du peuple n’hésitent pas à attribuer au diable les phénomènes de cet ordre, et ceux mêmes qui y mêlent les morts dans une certaine mesure n’envisagent que l’intervention des prêtas, c’est-à-dire d’éléments inférieurs qui demeurent attachés au cadavre, éléments rigoureusement identiques aux « mânes » des anciens Latins, et qui ne représentent aucunement l’esprit. Partout, du reste, les médiums naturels ont toujours été regardés comme des « possédés » ou des « obsédés », suivant les cas, et on ne s’est occupé d’eux que pour s’efforcer de les délivrer et de les guérir ; il n’y a que les spirites qui aient fait de cette infirmité un privilège, qui cherchent à l’entretenir et à la cultiver, voire même à la provoquer artificiellement, et qui entourent d’une incroyable vénération les malheureux qui en sont affligés, au lieu de les regarder comme un objet de pitié ou de répulsion. Il suffit de n’avoir aucun préjugé pour voir clairement le danger de cet étrange renversement des choses : le médium, quelle que soit la nature des influences qui s’exercent sur lui et par lui, doit être considéré comme un véritable malade, comme un être anormal et déséquilibré ; dès lors que le spiritisme, bien loin de remédier à ce déséquilibre, tend de toutes ses forces à le propager, il doit être dénoncé comme dangereux pour la salubrité publique ; et, d’ailleurs, ce n’est pas là son unique danger.

Mais revenons à l’Inde, à propos de laquelle il nous reste à traiter une dernière question, afin de dissiper l’équivoque qui s’exprime dans le titre même que le Dr Gibier a donné à son livre : qualifier le spiritisme de « fakirisme occidental », c’est prouver tout simplement qu’on ne connaît rien, non du spiritisme sur lequel il est trop facile de se renseigner, mais du fakirisme. Le mot fakir, qui est arabe et signifie proprement un « pauvre » ou un « mendiant », est appliqué dans l’Inde à une catégorie d’individus qui sont fort peu considérés en général, sauf des Européens, et qu’on ne regarde que comme des sortes de jongleurs amusant la foule par leurs tours. En disant cela, nous ne voulons pas dire que l’on conteste le moins du monde la réalité de leurs pouvoirs spéciaux ; mais ces pouvoirs, dont l’acquisition suppose un entraînement long et pénible, sont d’ordre inférieur et, comme tels, jugés peu désirables ; les rechercher, c’est montrer qu’on est incapable d’atteindre des résultats d’un autre ordre, pour lesquels ils ne peuvent être qu’un obstacle ; et nous trouvons encore ici un exemple du discrédit qui s’attache, en Orient, à tout ce qui est du domaine de la magie. En fait, les phénomènes des fakirs sont parfois simulés ; mais cette simulation même suppose une puissance de suggestion collective, s’exerçant sur tous les assistants, qui n’est guère moins étonnante, à première vue, que la production des phénomènes réels ; cela n’a rien de commun avec la prestidigitation (qui est exclue par les conditions mêmes auxquelles se soumettent tous les fakirs), et c’est bien autre chose que l’hypnotisme des Occidentaux. Quant aux phénomènes réels, dont les autres sont une imitation, ils sont, nous l’avons dit, du ressort de la magie ; le fakir, toujours actif et conscient dans leur production, est un magicien, et, dans l’autre cas, il peut être assimilé à un magnétiseur ; il ne ressemble donc en rien au médium, et même, si un individu possède la moindre dose de médiumnité, cela suffit à le rendre incapable d’obtenir aucun des phénomènes du fakirisme de la façon qui caractérise essentiellement celui-ci, car les procédés mis en œuvre sont diamétralement opposés, et cela même pour les effets qui présentent quelque ressemblance extérieure ; du reste, cette ressemblance n’existe que pour les plus élémentaires des phénomènes présentés par les fakirs. D’autre part, aucun fakir n’a jamais prétendu que les « esprits » ou les « âmes des morts » eussent la moindre part à la production de ces phénomènes ; ou du moins, s’il en est qui ont dit quelque chose de ce genre à des Européens tels que Jacolliot, ils n’en croyaient absolument rien ; comme la plupart des Orientaux, ils ne faisaient en cela que répondre dans le sens de l’opinion préconçue qu’ils découvraient chez leurs interlocuteurs, à qui ils ne voulaient pas faire connaître la vraie nature des forces qu’ils maniaient ; et d’ailleurs, à défaut d’autres motifs pour agir ainsi, ils devaient juger que toute explication véritable eût été parfaitement inutile, étant donnée la mentalité des gens à qui ils avaient affaire. Si peu instruits que soient certains fakirs, ils ont encore quelques notions qui paraîtraient « transcendantes » à la généralité des Occidentaux actuels ; et, sur les choses même qu’ils sont incapables d’expliquer, ils n’ont point ces idées fausses qui sont tout l’essentiel du spiritisme, car ils n’ont aucune raison de faire des suppositions qui seraient en complet désaccord avec toutes les conceptions traditionnelles hindoues. La magie des fakirs n’est point de la magie évocatoire, que nul n’oserait exercer publiquement ; les morts n’y sont donc absolument pour rien ; et, d’autre part, la magie évocatoire elle-même, si l’on comprend bien ce qu’elle est, peut plutôt contribuer à renverser l’hypothèse spirite qu’à la confirmer. Nous avons cru bon de donner tous ces éclaircissements, au risque de paraître un peu long, parce que, sur cette question du fakirisme et sur celles qui lui sont connexes, l’ignorance est générale en Europe : les occultistes n’en savent guère plus là-dessus que les spirites et les « psychistes »(10) ; d’un autre côté, certains écrivains catholiques qui ont voulu traiter le même sujet se sont bornés à reproduire les erreurs qu’ils ont trouvées chez les autres(11) ; quant aux savants « officiels », ils se contentent naturellement de nier ce qu’ils ne peuvent expliquer, à moins que, plus prudemment encore, ils ne préfèrent le passer sous silence.

Si les choses sont telles que nous venons de le dire dans les antiques civilisations qui se sont maintenues jusqu’à nos jours, comme celles de la Chine et de l’Inde, il y a déjà de fortes présomptions pour qu’il en ait été de même dans les civilisations disparues qui, d’après tout ce qu’on en sait, reposaient sur des principes traditionnels analogues. C’est ainsi, par exemple, que les anciens Égyptiens envisageaient la constitution de l’être humain d’une façon qui ne s’éloigne guère des conceptions hindoues et chinoises ; il semble bien qu’il en ait été de même pour les Chaldéens ; on avait donc dû tirer de là des conséquences semblables, tant en ce qui concerne les états posthumes que pour expliquer spécialement les évocations. Nous n’avons pas à entrer ici dans le détail, mais seulement à donner des indications générales ; et il ne faut pas s’arrêter à certaines divergences apparentes, qui ne sont point des contradictions, mais qui correspondent seulement à une diversité de points de vue ; d’une tradition à une autre, si la forme diffère, le fond reste identique, et cela tout simplement parce que la vérité est une. Cela est tellement vrai que des peuples comme les Grecs et les Romains, qui avaient déjà perdu en grande partie la raison d’être de leurs rites et de leurs symboles, gardaient cependant encore certaines données qui concordent parfaitement avec tout ce qu’on trouve plus complètement ailleurs, mais que les modernes ne comprennent plus ; et l’ésotérisme de leurs « mystères » comportait probablement beaucoup d’enseignements qui, chez les Orientaux, sont exposés plus ouvertement, sans pourtant être jamais vulgarisés, parce que leur nature même s’y oppose ; d’ailleurs, nous avons bien des raisons de penser que les « mystères » eux-mêmes avaient une origine tout orientale. Nous pouvons donc, en parlant de la magie et des évocations, dire que tous les anciens les comprenaient de la même façon ; on retrouverait partout les mêmes idées, quoique revêtues d’expressions diverses, parce que les anciens, comme les Orientaux d’aujourd’hui, savaient vraiment à quoi s’en tenir sur ces choses. Dans tout ce qui nous est parvenu, on ne trouve pas trace de quoi que ce soit qui ressemble au spiritisme ; et pour le reste, nous voulons dire pour ce qui est entièrement perdu, il est trop évident que les spirites ne peuvent l’invoquer en leur faveur, et que, si l’on peut en dire quelque chose, c’est que des raisons de cohérence et d’analogie conduisent à penser qu’ils n’y trouveraient pas davantage de quoi justifier leurs prétentions.

C’est la distinction de la magie et du spiritisme que nous voulons encore préciser maintenant, de façon à compléter ce que nous en avons déjà dit ; et tout d’abord, pour écarter certains malentendus, nous dirons que la magie est proprement une science expérimentale, qui n’a rien à voir avec des conceptions religieuses ou pseudo-religieuses quelconques ; ce n’est point ainsi que se comporte le spiritisme, dans lequel ces dernières sont prédominantes, et cela même lorsqu’il se prétend « scientifique ». Si la magie a toujours été traitée plus ou moins comme une « science occulte », réservée à un petit nombre, c’est en raison des graves dangers qu’elle présente ; pourtant, sous ce rapport, il y a une différence entre celui qui, s’entourant de toutes les précautions nécessaires, provoque consciemment des phénomènes dont il a étudié les lois, et celui qui, ignorant tout de ces lois, se met à la merci de forces inconnues en attendant passivement ce qui va se produire ; on voit par là tout l’avantage que le magicien a sur le spirite, médium ou simple assistant, même en admettant que toutes les autres conditions soient comparables. En parlant des précautions nécessaires, nous pensons aux règles précises et rigoureuses auxquelles sont soumises les opérations magiques, et qui ont toutes leur raison d’être ; les spirites négligent jusqu’aux plus élémentaires de ces règles, ou plutôt ils n’en ont pas la moindre idée, et ils agissent comme des enfants qui, inconscients du danger, joueraient avec les machines les plus redoutables, et déclencheraient ainsi, sans que rien puisse les en protéger, des forces capables de les foudroyer. Il va sans dire que tout cela n’est pas pour recommander la magie, bien au contraire, mais uniquement pour montrer que, si elle est fort dangereuse, le spiritisme l’est bien davantage ; et il l’est encore d’une autre façon, en ce sens qu’il est dans le domaine public, tandis que la magie fut toujours réservée à quelques-uns, d’abord parce qu’on la tenait volontairement cachée, précisément parce qu’on l’estimait redoutable, et ensuite en raison des connaissances qu’elle suppose et de la complexité de ses pratiques. D’ailleurs, il est à remarquer que ceux qui ont de ces choses une connaissance complète et profonde se sont toujours abstenus rigoureusement des pratiques magiques, à part quelques cas tout à fait exceptionnels, et où ils agissent d’une tout autre manière que le magicien ordinaire ; celui-ci est donc le plus souvent un « empirique », dans une certaine mesure du moins, non qu’il soit dépourvu de toute connaissance, mais en ce sens qu’il ne sait pas toujours les vraies raisons de tout ce qu’il fait ; mais, en tout cas, si de tels magiciens s’exposent à certains dangers, comme ils ont toujours été peu nombreux (et d’autant moins nombreux que ces pratiques, à part celles qui sont relativement inoffensives, sont sévèrement prohibées, et à juste titre, par la législation de tous les peuples qui savent de quoi il s’agit), le péril est très limité, tandis que, avec le spiritisme, il est pour tous sans exception. Mais en voilà assez sur la magie en général ; nous ne considérerons plus maintenant que la magie évocatoire, branche fort restreinte, et la seule avec laquelle le spiritisme puisse prétendre avoir des rapports ; à vrai dire, bien des phénomènes qui se manifestent dans les séances spirites ne relèvent point de ce domaine spécial, et il n’y a alors d’évocation que dans l’intention des assistants, non dans les résultats effectivement obtenus ; mais, sur la nature des forces qui interviennent dans ce cas, nous réserverons nos explications pour un autre chapitre. Pour tout ce qui rentre dans cette catégorie, même s’il s’agit de faits semblables, il est trop évident que l’interprétation magique et l’interprétation spirite sont totalement différentes ; pour les évocations, nous allons voir qu’elles ne le sont guère moins, en dépit de certaines apparences trompeuses.

De toutes les pratiques magiques, les pratiques évocatoires sont celles qui, chez les anciens, furent l’objet des interdictions les plus formelles ; et pourtant on savait alors que ce qu’il pouvait s’agir d’évoquer réellement, ce n’étaient point des « esprits » au sens moderne, que les résultats auxquels on pouvait prétendre étaient en somme de bien moindre importance ; comment donc eût-on jugé le spiritisme, à supposer, ce qui n’est pas, que les affirmations de celui-ci répondissent à quelque possibilité ? On savait bien, disons-nous, que ce qui peut être évoqué ne représente point l’être réel et personnel, désormais hors d’atteinte parce qu’il est passé à un autre état d’existence (nous en reparlerons dans la seconde partie de cette étude), que ce sont uniquement ces éléments inférieurs que l’être a en quelque sorte laissés derrière lui, dans le domaine de l’existence terrestre, à la suite de cette dissolution du composé humain que nous appelons la mort. C’est là, nous l’avons déjà dit, ce que les anciens Latins appelaient les « mânes » ; c’est aussi ce à quoi les Hébreux donnaient le nom d’ob, qui est toujours employé dans les textes bibliques quand il est question d’évocations, et que certains prennent à tort pour la désignation d’une entité démoniaque. En effet, la conception hébraïque de la constitution de l’homme concorde parfaitement avec toutes les autres ; et, en nous servant, pour nous faire mieux comprendre à ce sujet, de correspondances empruntées au langage aristotélicien, nous dirons que non seulement l’ob n’est point l’esprit ou l’« âme rationnelle » (neshamah), mais qu’il n’est pas davantage l’« âme sensitive » (ruahh), ni même l’« âme végétative » (nephesh). Sans doute la tradition judaïque semble indiquer, comme une des raisons de la défense d’évoquer l’ob(12), qu’un certain rapport subsiste entre lui et les principes supérieurs, et ce point serait à examiner de plus près en tenant compte de la façon assez particulière dont cette même tradition envisage les états posthumes de l’homme ; mais, en tout cas, ce n’est pas à l’esprit que l’ob demeure lié directement et immédiatement, c’est au contraire au corps, et c’est pourquoi la langue rabbinique l’appelle habal de garmin ou « souffle des ossements »(13) ; c’est précisément ce qui permet d’expliquer les phénomènes que nous avons signalés plus haut. Ainsi, ce dont il s’agit ne ressemble en rien au « périsprit » des spirites, ni au « corps astral » des occultistes, qui sont supposés revêtir l’esprit même du mort ; et d’ailleurs il y a encore une autre différence capitale, car ce n’est nullement un corps : c’est, si l’on veut, comme une forme subtile, qui peut seulement prendre une apparence corporelle illusoire en se manifestant dans certaines conditions, d’où le nom de « double » que lui donnaient alors les Égyptiens. Du reste, ce n’est véritablement qu’une apparence sous tous les rapports : séparé de l’esprit, cet élément ne peut être conscient au vrai sens de ce mot ; mais il possède néanmoins un semblant de conscience, image virtuelle, pour ainsi dire, de ce qu’était la conscience du vivant ; et le magicien, revivifiant cette apparence en lui prêtant ce qui lui fait défaut, donne temporairement à sa conscience réflexe une consistance suffisante pour en obtenir des réponses lorsqu’il l’interroge, ainsi que cela a lieu notamment quand l’évocation est faite pour un but divinatoire, ce qui constitue proprement la « nécromancie ». Nous nous excuserons si ces explications, qui seront d’ailleurs complétées par ce que nous dirons à propos de forces d’un autre ordre, ne paraissent pas parfaitement claires ; il est fort difficile de rendre ces choses en langage ordinaire, et on est bien forcé de se contenter d’expressions qui ne représentent souvent que des approximations ou des « façons de parler » ; la faute en est pour une bonne part à la philosophie moderne, qui, ignorant totalement ces questions, ne peut nous fournir une terminologie adéquate pour les traiter. Maintenant, il pourrait encore se produire, à propos de la théorie que nous venons d’esquisser, une équivoque qu’il importe de prévenir : il peut sembler, si l’on s’en tient à une vue superficielle des choses, que l’élément posthume dont il s’agit soit assimilable à ce que les théosophistes appellent des « coques », qu’ils font effectivement intervenir dans l’explication de la plupart des phénomènes du spiritisme ; mais il n’en est rien, quoique cette dernière théorie soit bien probablement dérivée de l’autre, mais par une déformation qui prouve l’incompréhension de ses auteurs. En effet, pour les théosophistes, une « coque » est un « cadavre astral », c’est-à-dire le reste d’un corps en voie de décomposition ; et, outre que ce corps est censé n’avoir été abandonné par l’esprit que plus ou moins longtemps après la mort, au lieu d’être essentiellement lié au « corps physique », la conception même de « corps invisibles » nous apparaît comme grossièrement erronée, et elle est une de celles qui nous font qualifier le « néo-spiritualisme » de « matérialisme transposé ». Sans doute, la théorie de la « lumière astrale » de Paracelse, qui est d’ailleurs d’une portée beaucoup plus générale que ce dont nous nous occupons présentement, contient au moins une part de vérité ; mais les occultistes ne l’ont guère comprise, et elle a fort peu de rapports avec leur « corps astral » ou avec le « plan » auquel ils donnent le même nom, conceptions toutes modernes, en dépit de leurs prétentions, et qui ne s’accordent avec aucune tradition authentique.

Nous joindrons à ce que nous venons de dire quelques réflexions qui, pour ne pas se rapporter directement à notre sujet, ne nous en paraissent pas moins nécessaires, parce qu’il faut tenir compte de la mentalité spéciale des Occidentaux actuels. Ceux-ci, en effet, quelles que soient leurs convictions religieuses ou philosophiques, sont pratiquement « positivistes », en grande majorité du moins ; il semble même qu’ils ne puissent sortir de cette attitude sans verser dans les extravagances du « néo-spiritualisme », peut-être parce qu’ils ne connaissent rien d’autre. Cela est à un tel point que bien des gens très sincèrement religieux, mais influencés par le milieu, tout en ne pouvant faire autrement que d’admettre certaines possibilités en principe, se refusent énergiquement à en accepter les conséquences et en arrivent à nier en fait, sinon en droit, tout ce qui ne rentre pas dans l’idée qu’ils se font de ce qu’on est convenu d’appeler la « vie ordinaire » ; à ceux-là, les considérations que nous exposons ne paraîtront sans doute pas moins étranges ni moins choquantes qu’aux « scientistes » les plus bornés. Cela nous importerait assez peu, à vrai dire, si les gens de cette sorte ne se croyaient parfois plus compétents que quiconque en fait de religion, et même qualifiés pour porter, au nom de cette religion, un jugement sur des choses qui dépassent leur entendement ; c’est pourquoi nous pensons qu’il est bon de leur faire entendre un avertissement, sans trop nous illusionner pourtant sur les effets qu’il produira. Nous rappellerons donc que nous n’entendons nullement nous placer ici au point de vue religieux, et que les choses dont nous parlons appartiennent à un domaine entièrement distinct de celui de la religion ; d’ailleurs, si nous exprimons certaines conceptions, c’est exclusivement parce que nous savons qu’elles sont vraies, donc indépendamment de toute préoccupation étrangère à la pure intellectualité ; mais nous ajouterons que, malgré cela, ces conceptions permettent, mieux que beaucoup d’autres, de comprendre certains points concernant la religion elle-même. Nous demanderons par exemple ceci : comment peut-on justifier le culte catholique des reliques, ou encore le pèlerinage aux tombeaux des saints, si l’on n’admet pas que quelque chose qui n’est pas matériel demeure, d’une manière ou d’une autre, attaché au corps après la mort ? Cependant, nous ne dissimulerons pas que, en unissant ainsi les deux questions, nous présentons les choses d’une façon trop simplifiée ; en réalité, les forces dont il s’agit dans ce cas (et nous employons à dessein ce mot de « forces » dans un sens très général) ne sont point identiques à celles dont nous nous sommes occupé précédemment, quoiqu’il y ait un certain rapport ; elles sont d’un ordre bien supérieur, parce qu’il intervient autre chose qui est comme surajouté, et leur mise en œuvre ne relève plus aucunement de la magie, mais plutôt de ce que les néo-platoniciens appelaient la « théurgie » : encore une distinction qu’il convient de ne pas oublier. Pour prendre un autre exemple du même ordre, le culte des images et l’idée que certains lieux jouissent de privilèges spéciaux sont tout à fait inintelligibles si l’on n’admet pas qu’il y a là de véritables centres de forces (quelle que soit d’ailleurs la nature de ces forces), et que certains objets peuvent jouer en quelque sorte un rôle de « condensateurs » : qu’on se reporte simplement à la Bible et qu’on y voie ce qui est dit de l’arche d’alliance, ainsi que du temple de Jérusalem, et l’on comprendra peut-être ce que nous voulons dire. Nous touchons ici à la question des « influences spirituelles », sur laquelle nous n’avons pas à insister, et dont le développement rencontrerait d’ailleurs bien des difficultés ; pour l’aborder, on doit faire appel à des données proprement métaphysiques, et de l’ordre le plus élevé. Nous citerons seulement un dernier cas : dans certaines écoles d’ésotérisme musulman, le « Maître » (Sheikh) qui fut leur fondateur, bien que mort depuis des siècles, est regardé comme toujours vivant et agissant par son « influence spirituelle » (barakah) ; mais cela ne fait intervenir à aucun degré sa personnalité réelle, qui est, non seulement au delà de ce monde, mais aussi au delà de tous les « paradis », c’est-à-dire des états supérieurs qui ne sont encore que transitoires. On voit assez combien nous sommes loin ici, non plus seulement du spiritisme, mais même de la magie ; et, si nous en avons parlé, c’est surtout pour ne pas laisser incomplète l’indication des distinctions nécessaires ; la différence qui sépare ce dernier ordre de choses de tous les autres est même la plus profonde de toutes.

Nous pensons maintenant en avoir dit assez pour montrer que, avant les temps modernes, il n’y eut jamais rien de comparable au spiritisme ; pour l’Occident, nous avons surtout envisagé l’antiquité, mais tout ce qui se rapporte à la magie est également valable pour le moyen âge. Si pourtant on voulait à toute force trouver quelque chose à quoi l’on pût assimiler le spiritisme jusqu’à un certain point, et à la condition de ne le considérer que dans ses pratiques (puisque ses théories ne se rencontrent pas ailleurs), ce qu’on trouverait serait tout simplement la sorcellerie. En effet, les sorciers sont manifestement des « empiriques », encore que le plus ignorant d’entre eux en sache peut-être plus long que les spirites à plus d’un égard ; ils ne connaissent que les branches les plus basses de la magie, et les forces qu’ils mettent en jeu, les plus inférieures de toutes, sont celles-là mêmes auxquelles les spirites ont ordinairement affaire. Enfin, les cas de « possession » et d’« obsession », en corrélation étroite avec les pratiques de la sorcellerie, sont les seules manifestations authentiques de la médiumnité que l’on ait constatées avant l’apparition du spiritisme ; et, depuis lors, les choses ont-elles tellement changé que les mêmes mots ne leur soient plus applicables ? Nous n’en croyons rien ; mais vraiment, si les spirites ne peuvent se recommander que d’une parenté aussi suspecte et aussi peu enviable, nous leur conseillerions plutôt de renoncer à revendiquer pour leur mouvement une filiation quelconque, et de prendre leur parti d’une modernité qui, en bonne logique, ne devrait point être une gêne pour des partisans du progrès.