CHAPITRE VII
L’explication des phénomènes

Bien que notre intention ne soit pas d’étudier spécialement les phénomènes du spiritisme, nous devons parler au moins sommairement de leur explication, ne serait-ce que pour montrer qu’on peut fort bien se passer de l’hypothèse spirite, avant d’apporter contre celle-ci des raisons plus décisives. Faisons remarquer, d’ailleurs, que ce n’est point un ordre logique que nous entendons suivre en cela : il y a, en dehors de toute considération relative aux phénomènes, des raisons pleinement suffisantes pour faire rejeter d’une façon absolue l’hypothèse dont il s’agit ; l’impossibilité de celle-ci étant établie, il faut bien, même si l’on n’a pas d’autre explication toute prête pour rendre compte des phénomènes, se décider à en chercher une. Seulement, la mentalité de notre époque, étant surtout tournée du côté expérimental, sera mieux préparée, dans bien des cas, à admettre qu’une théorie est impossible et à examiner sans parti pris les preuves qui en sont données, si on lui a montré tout d’abord qu’elle est inutile, et qu’il existe d’autres théories susceptibles de la remplacer avantageusement. D’un autre côté, il importe de dire tout de suite que beaucoup des faits en question, sinon tous, ne relèvent point de la science ordinaire, ne sauraient rentrer dans les cadres étroits que les modernes ont fixés à celle-ci, et sont, en particulier, tout à fait en dehors du domaine de la physiologie et de celui de la psychologie classique, contrairement à ce que pensent certains psychistes qui s’illusionnent grandement à cet égard. N’éprouvant aucun respect pour les préjugés de la science officielle, nous n’estimons point que nous ayons à nous excuser de l’apparente étrangeté de quelques-unes des considérations qui vont suivre ; mais il est bon de prévenir ceux qui, en raison des habitudes acquises, pourraient les trouver par trop extraordinaires. Tout cela, encore une fois, ne veut point dire que nous accordions aux phénomènes psychiques le moindre caractère « transcendant » ; d’ailleurs, aucun phénomène, de quelque ordre qu’il soit, n’a en lui-même un tel caractère, mais cela n’empêche pas qu’il y en ait beaucoup qui échappent aux moyens d’action de la science occidentale moderne, qui n’est point si « avancée » que le croient ses admirateurs, ou qui du moins ne l’est que sur des points très particuliers. La magie même, du fait qu’elle est une science expérimentale, n’a absolument rien de « transcendant » ; ce qui peut par contre être regardé comme tel, c’est la « théurgie », dont les effets, même lorsqu’ils ressemblent à ceux de la magie, en diffèrent totalement quant à leur cause ; et c’est précisément la cause, et non pas le phénomène qu’elle produit, qui est alors d’ordre transcendant. Qu’il nous soit permis, pour mieux nous faire comprendre, d’emprunter ici une analogie à la doctrine catholique (nous parlons seulement d’analogie et non d’assimilation, ne nous plaçant pas au point de vue théologique) : il y a des phénomènes, tout à fait semblables extérieurement, qui ont été constatés chez des saints et chez des sorciers ; or il est bien évident que c’est seulement dans le premier cas qu’on peut leur attribuer un caractère « miraculeux » et proprement « surnaturel » ; dans le second cas, ils peuvent tout au plus être dits « préternaturels » ; si pourtant les phénomènes sont les mêmes, c’est donc que la différence ne réside point dans leur nature, mais uniquement dans leur cause, et ce n’est que du « mode » et des « circonstances » que de tels phénomènes tirent leur caractère surnaturel. Il va sans dire que, lorsqu’il s’agit du psychisme, nulle cause transcendante ne saurait intervenir, que l’on considère les phénomènes provoqués ordinairement par les pratiques spirites, ou les phénomènes magnétiques et hypnotiques, ou tous ceux qui leur sont plus ou moins connexes ; nous n’avons donc pas à nous préoccuper ici des choses d’ordre transcendant, et c’est dire qu’il est des questions, comme celle des « phénomènes mystiques » par exemple, qui peuvent rester entièrement en dehors des explications que nous envisagerons. D’autre part, nous n’avons pas à examiner tous les phénomènes psychiques indistinctement, mais seulement ceux qui ont quelque rapport avec le spiritisme ; encore pourrions-nous, parmi ces derniers, laisser de côté ceux qui, comme les phénomènes d’« incarnation » que nous avons déjà mentionnés, ou comme ceux que produisent les « médiums guérisseurs », se ramènent en réalité, soit à la suggestion, soit au magnétisme proprement dit, puisqu’il est manifeste qu’ils s’expliquent très suffisamment en dehors de l’hypothèse spirite. Nous ne voulons pas dire qu’il n’y ait aucune difficulté dans l’explication des faits de cet ordre, mais les spirites ne peuvent tout de même pas prétendre à s’annexer tout le domaine de l’hypnotisme et du magnétisme ; du reste, il est possible que ces faits se trouvent, comme par surcroît, quelque peu éclaircis par les indications que nous donnerons à propos des autres.

Après ces observations générales, indispensables pour poser et délimiter la question comme elle doit l’être, nous pouvons rappeler les principales théories qui ont été émises pour expliquer les phénomènes du spiritisme ; il y en a un assez grand nombre, mais le Dr Gibier a cru pouvoir les ramener à quatre types(1) ; sa classification n’est pas sans défauts, loin de là, mais elle peut nous servir de point de départ. La première, qu’il appelle « théorie de l’être collectif », se définirait ainsi : « Un fluide spécial se dégage de la personne du médium, se combine avec le fluide des personnes présentes pour constituer un personnage nouveau, temporaire, indépendant dans une certaine mesure, et produisant les phénomènes connus. » Ensuite vient la théorie « démoniaque », d’après laquelle « tout est produit par le diable ou ses suppôts », et qui revient en somme à assimiler le spiritisme à la sorcellerie. En troisième lieu, il y a une théorie que le Dr Gibier appelle bizarrement « gnômique », selon laquelle « il existe une catégorie d’êtres, un monde immatériel, vivant à côté de nous et manifestant sa présence dans certaines conditions : ce sont ces êtres qu’on a connus de tout temps sous le nom de génies, fées, sylvains, lutins, gnômes, farfadets, etc. » ; nous ne savons pourquoi il a choisi les gnômes plutôt que d’autres pour donner une dénomination à cette théorie, à laquelle il rattache celle des théosophistes (en l’attribuant faussement au Bouddhisme), qui met les phénomènes sur le compte des « élémentals ». Enfin, il y a la théorie spirite, suivant laquelle « toutes ces manifestations sont dues aux esprits ou âmes des morts, qui se mettent en rapport avec les vivants, en manifestant leurs qualités ou leurs défauts, leur supériorité ou, au contraire, leur infériorité, tout comme s’ils vivaient encore ». Chacune de ces théories, sauf la théorie spirite qui seule est absurde, peut contenir une part de vérité et expliquer effectivement, non pas tous les phénomènes, mais certains d’entre eux ; le tort de leurs partisans respectifs est surtout d’être trop exclusifs et de vouloir tout ramener à une théorie unique. Quant à nous, nous ne pensons même pas que tous les phénomènes sans exception doivent nécessairement être expliqués par l’une ou l’autre des théories qui viennent d’être énumérées, car il y a dans cette liste des omissions et des confusions ; d’ailleurs, nous ne sommes pas de ceux qui croient que la simplicité d’une explication est une sûre garantie de sa vérité : on peut assurément souhaiter qu’il en soit ainsi, mais les choses ne sont point obligées de se conformer à nos désirs, et rien ne prouve qu’elles doivent être ordonnées précisément de la façon qui serait la plus commode pour nous ou la plus propre à faciliter notre compréhension ; un tel « anthropocentrisme », chez nombre de savants et de philosophes, suppose vraiment de bien naïves illusions.

La théorie « démoniaque » a le don de mettre spécialement en fureur les spirites aussi bien que les « scientistes », les uns et les autres faisant pareillement profession de ne pas croire au démon ; pour les spirites, il semble qu’il ne doive pas y avoir dans le « monde invisible » autre chose que des êtres humains, ce qui est bien la limitation la plus invraisemblablement arbitraire qui se puisse imaginer. Comme nous aurons à nous expliquer plus loin sur le « satanisme », nous n’y insisterons pas pour le moment ; nous ferons seulement remarquer que l’opposition à cette théorie, qui n’est guère moindre chez les occultistes que chez les spirites, se comprend beaucoup moins de leur part, puisqu’ils admettent l’intervention d’êtres assez variés, ce qui prouve que leurs conceptions sont moins bornées. À ce point de vue, la théorie « démoniaque » pourrait s’associer d’une certaine façon à celle que le Dr Gibier appelle « gnômique », puisque, dans l’une et dans l’autre, il s’agit d’une action exercée par des êtres non humains ; rien ne s’oppose en principe, non seulement à ce qu’il y ait de tels êtres, mais encore à ce qu’ils soient aussi diversifiés que possible. Il est très certain que, presque chez tous les peuples et à toutes les époques, il a été question d’êtres tels que ceux dont le Dr Gibier fait mention, et ce ne doit pas être sans raison, car, quels que soient les noms qui leur ont été donnés, ce qui est dit de leur façon d’agir concorde remarquablement ; seulement, nous ne pensons pas qu’ils aient jamais été regardés comme proprement « immatériels », et d’ailleurs la question, sous ce rapport, ne se posait pas exactement de la même manière pour les anciens que pour les modernes, les notions mêmes de « matière » et d’« esprit » ayant grandement changé de signification. D’autre part, la façon dont ces êtres ont été « personnifiés » se rattache surtout aux conceptions populaires, qui recouvrent une vérité plutôt qu’elles ne l’expriment, et qui correspondent plutôt aux apparences manifestées qu’à la réalité profonde ; et c’est un semblable « anthropomorphisme », d’origine tout exotérique, que l’on peut reprocher aussi à la théorie des « élémentals », qui est bien véritablement dérivée de la précédente, qui en est, si l’on veut, une forme modernisée. En effet, les « élémentals », au sens premier de ce mot, ne sont pas autre chose que les « esprits des éléments », que l’ancienne magie partageait en quatre catégories : salamandres ou esprits du feu, sylphes ou esprits de l’air, ondins ou esprits de l’eau, gnômes ou esprits de la terre ; bien entendu, ce mot d’« esprits » n’était point pris là au sens des spirites, mais il désignait des êtres subtils, doués seulement d’une existence temporaire, et n’ayant par conséquent rien de « spirituel » dans l’acception philosophique moderne ; encore n’est-ce là que l’expression exotérique d’une théorie sur le vrai sens de laquelle nous reviendrons dans la suite. Les théosophistes ont accordé une importance considérable aux « élémentals » ; nous avons dit ailleurs que Mme Blavatsky en dut vraisemblablement l’idée à George H. Felt, membre de la H. B. of L., qui l’attribuait d’ailleurs tout à fait gratuitement aux anciens Égyptiens. Par la suite, cette théorie fut plus ou moins étendue et modifiée, tant par les théosophistes eux-mêmes que par les occultistes français, qui la leur empruntèrent évidemment, tout en prétendant ne rien leur devoir ; du reste, elle est de celles sur lesquelles les idées de ces écoles ne furent jamais bien fixées, et nous ne voudrions pas être chargé de concilier tout ce qui a été dit des « élémentals ». La masse des théosophistes et des occultistes s’en tient à la conception la plus grossièrement anthropomorphique ; mais il en est qui ont voulu donner à la théorie une allure plus « scientifique », et qui, manquant complètement de données traditionnelles pour lui restituer son sens original et ésotérique, l’ont tout simplement accommodée aux idées modernes ou aux caprices de leur propre fantaisie. Ainsi, les uns ont essayé d’identifier les « élémentals » aux monades de Leibnitz(2) ; les autres les ont réduits à n’être plus que des « forces inconscientes », comme Papus pour qui ils sont en outre « les globules sanguins de l’univers »(3), ou même de simples « centres de forces », en même temps que des « potentialités d’êtres »(4) ; d’autres encore ont cru y voir « des embryons d’âmes animales ou humaines »(5) ; il en est aussi quelques-uns qui, dans un tout autre sens, ont poussé la confusion jusqu’à les assimiler aux « hiérarchies spirituelles » de la kabbale judaïque, d’où il résulterait qu’il faut comprendre sous ce nom d’« élémentals » les anges et les démons, auquel on prétend ainsi faire « perdre leur caractère fantaisiste »(6) ! Ce qui est surtout fantaisiste, ce sont ces assemblages de conceptions disparates dont les occultistes sont coutumiers ; celles où il se trouve quelque chose de vrai ne leur appartiennent pas en propre, mais sont des conceptions anciennes plus ou moins mal interprétées, et les occultistes semblent avoir pris à tâche, sans doute involontairement, de brouiller toutes les notions plutôt que de les éclaircir ou d’y mettre de l’ordre.

Un exemple de ces fausses interprétations nous a déjà été fourni par la théorie des « coques astrales », que le Dr Gibier a complètement oubliée dans sa nomenclature, et qui est encore un emprunt fait par l’occultisme au théosophisme ; comme nous avons rétabli plus haut le vrai sens de ce dont elle est une déformation, nous n’y reviendrons pas, mais nous rappellerons que c’est seulement de la façon que nous avons indiquée alors que l’on peut admettre dans certains phénomènes une intervention des morts, ou plutôt un simulacre d’intervention des morts, puisque leur être réel n’y est aucunement intéressé et n’est point affecté par ces manifestations. Quant à la théorie des « élémentaires », sur laquelle l’occultisme et le théosophisme ne se différencient pas plus nettement que sur les précédentes, elle apparaît comme extrêmement flottante, se confondant parfois avec celle des « coques », et allant ailleurs, et le plus fréquemment, jusqu’à s’identifier à l’hypothèse spirite elle-même, à laquelle elle apporte seulement certaines restrictions. D’une part, Papus a écrit ceci : « Ce que le spirite appelle un esprit, un moi, l’occultiste l’appelle un élémentaire, une coque astrale »(7). Nous ne pouvons croire qu’il ait été de bonne foi en faisant cette assimilation, inacceptable pour les spirites ; mais poursuivons : « Les principes inférieurs illuminés par l’intelligence de l’âme humaine (avec laquelle ils n’ont plus qu’un “lien fluidique”) forment ce que les occultistes appellent un élémentaire, et flottent autour de la terre dans le monde invisible, tandis que les principes supérieurs évoluent sur un autre plan… Dans la plupart des cas, l’esprit qui vient dans une séance est l’élémentaire de la personne évoquée, c’est-à-dire un être qui ne possède du défunt que les instincts et la mémoire des choses terrestres »(8). Cela est assez net, et, s’il y a une différence entre une « coque » proprement dite et un « élémentaire », c’est que la première est littéralement un « cadavre astral », tandis que le second est censé garder encore un « lien fluidique » avec les principes supérieurs ; remarquons en passant que cela paraît impliquer que tous les éléments de l’être humain doivent se situer quelque part dans l’espace ; les occultistes, avec leurs « plans », prennent une image assez grossière pour une réalité. Mais, d’autre part, les affirmations que nous venons de reproduire n’empêchent pas le même auteur, en d’autres endroits du même ouvrage, de qualifier les « élémentaires » d’« êtres conscients et volontaires », de les présenter comme « les cellules nerveuses de l’univers », et d’assurer que « ce sont eux qui apparaissent aux malheureuses victimes des hallucinations de la sorcellerie sous la figure du diable, auquel (sic) on fait des pactes »(9) ; ce dernier rôle, du reste, est plus souvent attribué par les occultistes aux « élémentals ». Ailleurs encore, Papus précise que l’« élémentaire » (et là il prétend que ce terme, qui n’a pourtant rien d’hébraïque, appartient à la kabbale) « est formé par l’esprit immortel supérieurement, par le corps astral (partie supérieure) médianement, par les écorces inférieurement »(10). Ce serait donc, d’après cette nouvelle version, l’être humain véritable et complet, tel qu’il est constitué pendant le temps plus ou moins long où il séjourne dans le « plan astral » ; c’est là l’opinion qui a prévalu parmi les occultistes, aussi bien que parmi les théosophistes, et les uns et les autres en sont arrivés à admettre assez généralement que cet être peut être évoqué tant qu’il se trouve dans cet état, c’est-à-dire au cours de la période qui va de la « mort physique » à la « mort astrale ». Seulement, on ajoute que les « désincarnés » qui se manifestent le plus volontiers dans les séances spirites (exception faite pour les « morts aimés ») sont les hommes dont la nature est la plus inférieure, notamment les ivrognes, les sorciers et les criminels, et aussi ceux qui ont péri de mort violente, surtout les suicidés ; et c’est même à ces êtres inférieurs, avec lesquels les relations sont réputées fort dangereuses, que certains théosophistes réservent l’appellation d’« élémentaires ». Les spirites, qui sont absolument opposés à toutes les théories dont il a été question jusqu’ici, ne semblent pas apprécier beaucoup cette concession, pourtant très grave, et cela se comprend en somme : ils reconnaissent bien eux-mêmes qu’il y a de « mauvais esprits » qui se mêlent à leurs séances, mais, s’il n’y avait que ceux-là, il n’y aurait qu’à s’abstenir soigneusement des pratiques du spiritisme ; c’est en effet ce que recommandent les dirigeants de l’occultisme et surtout du théosophisme, mais sans pouvoir, sur ce point, se faire écouter d’une certaine catégorie de leurs adhérents, pour qui tout ce qui est « phénomène », quelle qu’en soit la qualité, possède un attrait irrésistible.

Nous en arrivons maintenant aux théories qui expliquent les phénomènes par l’action des êtres humains vivants, et que le Dr Gibier réunit assez confusément sous le nom, impropre pour certaines d’entre elles, de « théorie de l’être collectif ». La théorie qui mérite vraiment ce nom vient en réalité se greffer sur une autre qui n’en est pas nécessairement solidaire, et que l’on appelle quelquefois théorie « animiste » ou « vitaliste » ; sous sa forme la plus commune, celle qui s’exprime d’ailleurs dans la définition donnée par le Dr Gibier, on pourrait encore l’appeler théorie « fluidique ». Le point de départ de cette théorie, c’est qu’il y a dans l’homme quelque chose qui est susceptible de s’extérioriser, c’est-à-dire de sortir des limites du corps, et bien des constatations tendent à prouver qu’il en est effectivement ainsi ; nous rappellerons seulement les expériences du colonel de Rochas et de divers autres psychistes sur l’« extériorisation de la sensibilité » et l’« extériorisation de la motricité ». Admettre cela n’implique évidemment l’adhésion à aucune école ; mais certains ont éprouvé le besoin de se représenter ce « quelque chose » sous l’aspect d’un « fluide », qu’ils nomment tantôt « fluide nerveux », tantôt « fluide vital » ; ceux-là sont naturellement des occultistes, qui, là comme partout où il est question de « fluides », n’ont fait que se mettre à la suite des magnétiseurs et des spirites. Ce prétendu « fluide », en effet, ne fait qu’un avec celui des magnétiseurs : c’est l’od de Reichenbach, que l’on a voulu rapprocher des « radiations invisibles » de la physique moderne(11) ; c’est lui qui se dégagerait du corps humain sous la forme d’effluves que certains croient avoir photographiés ; mais ceci est une autre question, qui est tout à fait à côté de notre sujet. Quant aux spirites, nous avons dit qu’ils tenaient du mesmérisme cette idée des « fluides », auxquels ils ont également recours pour expliquer la médiumnité ; ce n’est pas là-dessus que portent les divergences, mais seulement sur ceci, que les spirites veulent qu’un « esprit » vienne se servir du « fluide » extériorisé du médium, tandis qu’occultistes et simples psychistes supposent plus raisonnablement que ce dernier, dans nombre de cas, pourrait bien faire à lui seul tous les frais du phénomène. Effectivement, si quelque chose de l’homme s’extériorise, il n’est point besoin de recourir à des facteurs étrangers pour expliquer des phénomènes tels que des coups frappés ou des déplacements d’objets sans contact, qui ne constituent d’ailleurs pas pour cela une « action à distance », car, en somme, un être est partout où il agit : en quelque point que se produise cette action, c’est que le médium y a projeté, sans doute inconsciemment, quelque chose de lui-même. Pour nier qu’une telle chose soit possible, il ne peut y avoir que ceux qui croient que l’homme est absolument limité par son corps, ce qui prouve qu’ils ne connaissent qu’une bien faible partie de ses possibilités ; cette supposition, nous le savons bien, est la plus habituelle chez les Occidentaux modernes, mais elle ne se justifie que par l’ignorance commune : elle revient, en d’autres termes, à soutenir que le corps est en quelque sorte la mesure de l’âme, ce qui est, dans l’Inde, une des thèses hétérodoxes des Jainas (nous n’employons les mots de corps et d’âme que pour nous faire comprendre plus facilement), et ce qu’il est trop aisé de réduire à l’absurde pour que nous y insistions : conçoit-on que l’âme doive ou même puisse suivre les variations quantitatives du corps, et que, par exemple, l’amputation d’un membre entraîne en elle un amoindrissement proportionnel ? Du reste, on a peine à comprendre que la philosophie moderne ait posé une question aussi dépourvue de sens que celle du « siège de l’âme », comme s’il s’agissait de quelque chose de « localisable » ; et les occultistes ne sont pas davantage exempts de reproche sous ce rapport, puisqu’ils ont une tendance à localiser, même après la mort, tous les éléments de l’être humain ; pour ce qui est des spirites, ils répètent à chaque instant que les « esprits » sont « dans l’espace », ou encore dans ce qu’ils nomment l’« erraticité ». C’est précisément cette même habitude de tout matérialiser que nous critiquons aussi dans la théorie « fluidique » : nous n’y trouverions rien à redire si, au lieu de parler de « fluides », on parlait simplement de « forces », comme le font d’ailleurs des psychistes plus prudents ou moins atteints par le « néo-spiritualisme » ; ce mot de « forces » est sans doute bien vague, mais il n’en vaut que mieux dans un cas comme celui-là, car nous ne voyons pas que la science ordinaire soit en état de permettre une plus grande précision.

Mais revenons aux phénomènes que peut expliquer la force extériorisée : les cas que nous avons mentionnés sont les plus élémentaires de tous ; en sera-t-il encore de même quand on y trouvera la marque d’une certaine intelligence, comme, par exemple, quand la table qui se meut répond plus ou moins bien aux questions qu’on lui pose ? Nous n’hésiterons pas à répondre affirmativement pour un grand nombre de cas : il est plutôt exceptionnel que les réponses ou les « communications » obtenues dépassent sensiblement le niveau intellectuel du médium ou des assistants ; le spirite qui, possédant quelques facultés médiumniques, s’enferme chez lui pour consulter sa table à propos de n’importe quoi, ne se doute pas que c’est tout simplement avec lui-même qu’il communique par ce moyen détourné, et c’est pourtant ce qui lui arrive le plus ordinairement. Dans les séances des groupes, la présence d’assistants plus ou moins nombreux vient un peu compliquer les choses : le médium n’en est plus réduit à sa seule pensée, mais, dans l’état spécial où il se trouve et qui le rend éminemment accessible à la suggestion sous toutes ses formes, il pourra tout aussi bien refléter et exprimer la pensée de l’un quelconque des assistants. D’ailleurs, dans ce cas comme dans le précédent, il ne s’agit pas forcément d’une pensée qui est nettement consciente au moment présent, et même une telle pensée ne s’exprimera guère que si quelqu’un a la volonté bien arrêtée d’influencer les réponses ; habituellement, ce qui se manifeste appartient plutôt à ce domaine très complexe que les psychologues appellent le « subconscient ». On a parfois abusé de cette dernière dénomination, parce qu’il est commode, en maintes circonstances, de faire appel à ce qui est obscur et mal défini ; il n’en est pas moins vrai que le « subconscient » correspond à une réalité ; seulement, il y a de tout là-dedans, et les psychologues, dans la limite des moyens dont ils disposent, seraient fort embarrassés pour y mettre un peu d’ordre. Il y a d’abord ce qu’on peut appeler la « mémoire latente » : rien ne s’oublie jamais d’une façon absolue, comme le prouvent les cas de « réviviscence » anormale qui ont été assez souvent constatés ; il suffit donc que quelque chose ait été connu de l’un des assistants, même s’il croit l’avoir complètement oublié, pour qu’il n’y ait pas lieu de chercher ailleurs si cela vient à s’exprimer dans une « communication » spirite. Il y a aussi toutes les « prévisions » et tous les « pressentiments », qui arrivent parfois, même normalement, à devenir assez clairement conscients chez certaines personnes ; c’est à cet ordre qu’il faut certainement rattacher bien des prédictions spirites qui se réalisent, sans compter qu’il y en a beaucoup d’autres, et probablement un plus grand nombre, qui ne se réalisent pas, et qui représentent de vagues pensées quelconques prenant corps comme peut le faire n’importe quelle rêverie(12). Mais nous irons plus loin : une « communication » énonçant des faits réellement inconnus de tous les assistants peut cependant provenir du « subconscient » de l’un d’eux, car, sous ce rapport aussi, on est fort loin de connaître ordinairement toutes les possibilités de l’être humain : chacun de nous peut être en rapport, par cette partie obscure de lui-même, avec des êtres et des choses dont il n’a jamais eu connaissance au sens courant de ce mot, et il s’établit là d’innombrables ramifications auxquelles il est impossible d’assigner des limites définies. Ici, nous sommes bien loin des conceptions de la psychologie classique ; cela pourra donc sembler fort étrange, de même que le fait que les « communications » peuvent être influencées par les pensées de personnes non présentes ; pourtant, nous ne craignons pas d’affirmer qu’il n’y a à tout cela aucune impossibilité. Nous reviendrons à l’occasion sur la question du « subconscient » ; pour le moment, nous n’en parlons que pour montrer que les spirites sont fort imprudents d’invoquer, comme preuves certaines à l’appui de leur théorie, des faits du genre de ceux auxquels nous venons de faire allusion.

Ces dernières considérations permettront de comprendre ce qu’est la théorie de l’« être collectif » proprement dite et quelle part de vérité elle renferme ; cette théorie, disons-le tout de suite, a été admise par quelques spirites plus indépendants que les autres, et qui ne croient pas qu’il soit indispensable de faire intervenir les « esprits » dans tous les cas sans exception : tels sont Eugène Nus, qui est sans doute le premier à avoir employé cette expression d’« être collectif »(13), et M. Camille Flammarion. D’après cette théorie, l’« être collectif » serait formé par une sorte de combinaison des « périsprits » ou des « fluides » du médium et des assistants ; et il se fortifierait à chaque séance, pourvu que les assistants soient toujours les mêmes ; les occultistes se sont emparés de cette conception avec d’autant plus d’empressement qu’ils pensaient pouvoir la rapprocher des idées d’Éliphas Lévi sur les eggrégores(14) ou « entités collectives ». Il faut cependant remarquer, pour ne pas pousser trop loin l’assimilation, que, chez Éliphas Lévi, il s’agissait, beaucoup plus généralement, de ce qu’on pourrait appeler l’« âme » d’une collectivité quelconque, comme une nation par exemple ; le grand tort des occultistes, en des cas comme celui-là, est de prendre à la lettre certaines façons de parler, et de croire qu’il s’agit véritablement d’un être comparable à un être vivant, et qu’ils situent naturellement sur le « plan astral ». Pour en revenir à l’« être collectif » des séances spirites, nous dirons simplement que, en laissant de côté tout « fluide », il ne faut y voir que ces actions et réactions des divers « subconscients » en présence, dont nous avons parlé tout à l’heure, l’effet des relations qui s’établissent entre eux d’une manière plus ou moins durable, et qui s’amplifient à mesure que le groupe se constitue plus solidement. Il y a d’ailleurs des cas où le « subconscient », individuel ou collectif, explique tout à lui seul, sans qu’il y ait la moindre extériorisation de force chez le médium ou chez les assistants : il en est ainsi pour les « médiums à incarnations » et même pour les « médiums écrivains » ; ces états, redisons-le encore une fois, sont rigoureusement identiques à des états somnambuliques purs et simples (à moins qu’il ne s’agisse d’une véritable « possession », mais cela n’arrive pas si couramment). À ce propos, nous ajouterons qu’il y a de grandes ressemblances entre le médium, le sujet hypnotique, et aussi le somnambule naturel ; il y a un certain ensemble de conditions « psycho-physiologiques » qui leur sont communes, et la façon dont ils se comportent est bien souvent la même. Nous citerons ici ce que dit Papus sur les rapports de l’hypnotisme et du spiritisme : « Une série d’observations rigoureuses nous a conduit à cette idée que le spiritisme et l’hypnotisme n’étaient pas deux champs d’études différents, mais bien les degrés divers d’un même ordre de phénomènes ; que le médium présentait avec le sujet des points communs nombreux, points qu’on n’a pas, que je sache, fait suffisamment ressortir jusqu’ici. Mais le spiritisme conduit à des résultats expérimentaux bien plus complets que l’hypnotisme ; le médium est bien un sujet, mais un sujet qui pousse les phénomènes au delà du domaine actuellement connu en hypnotisme »(15). Sur ce point du moins, nous pouvons être d’accord avec les occultistes, mais avec quelques réserves : d’une part, il est certain que l’hypnotisme peut aller beaucoup plus loin que ce qu’ont étudié jusqu’ici certains savants, mais nous ne voyons pourtant aucun avantage à étendre cette dénomination de manière à y faire rentrer tous les phénomènes psychiques sans distinction ; d’autre part, comme nous l’avons dit plus haut, tout phénomène qui est rattaché à l’hypnotisme échappe par là même au spiritisme, et d’ailleurs les résultats expérimentaux obtenus par les pratiques spirites ne constituent point le spiritisme lui-même : ce qui est spiritisme, ce sont les théories, non les faits, et c’est en ce sens que nous disons que le spiritisme n’est qu’erreur et illusion.

Il est encore certaines catégories de phénomènes dont nous n’avons pas parlé, mais qui sont parmi ceux qui supposent évidemment une extériorisation ; ce sont les phénomènes qui sont connus sous les noms d’« apports » et de « matérialisations ». Les « apports » sont en somme des déplacements d’objets, mais avec cette complication que les objets proviennent alors de lieux qui peuvent être très éloignés, et qu’il semble souvent qu’ils aient dû passer à travers des obstacles matériels. Si le médium émet, d’une façon ou d’une autre, des prolongements de lui-même pour exercer une action sur les objets, la distance plus ou moins grande ne fait rien à l’affaire, elle implique seulement des facultés plus ou moins développées, et, si l’intervention des « esprits » ou d’autres entités extra-terrestres n’est pas toujours nécessaire, elle ne l’est jamais. La difficulté, ici, réside plutôt dans le fait du passage, réel ou apparent, à travers la matière : pour l’expliquer, certains supposent qu’il y a successivement « dématérialisation » et « rematérialisation » de l’objet apporté ; d’autres construisent des théories plus ou moins compliquées, dans lesquelles ils font jouer le principal rôle à la « quatrième dimension » de l’espace. Nous n’entrerons point dans la discussion de ces diverses hypothèses, mais nous ferons observer qu’il convient de se méfier des fantaisies que l’« hypergéométrie » a inspirées aux « néo-spiritualistes » de différentes écoles ; aussi nous semble-t-il préférable d’envisager simplement, dans le transport de l’objet, des « changements d’état » que nous ne préciserons pas autrement ; et nous ajouterons qu’il se peut, en dépit de la croyance des physiciens modernes, que l’impénétrabilité de la matière ne soit que très relative. Mais, en tout cas, il nous suffit de signaler que, là encore, l’action supposée des « esprits » ne résout absolument rien : dès lors qu’on admet le rôle du médium, il n’est que logique de chercher à expliquer des faits comme ceux-là par des propriétés de l’être vivant ; d’ailleurs, pour les spirites, l’être humain, par la mort, perd certaines propriétés plutôt qu’il n’en acquiert de nouvelles ; enfin, en se plaçant en dehors de toute théorie particulière, l’être vivant est manifestement, au point de vue d’une action s’exerçant sur la matière physique, dans des conditions plus favorables qu’un être dans la constitution duquel n’entre aucun élément de cette matière.

Quant aux « matérialisations », ce sont peut-être les phénomènes les plus rares, mais aussi ceux que les spirites croient les plus probants : comment pourrait-on douter de l’existence et de la présence d’un « esprit » alors qu’il prend une apparence parfaitement sensible, qu’il se revêt d’une forme qui peut être vue, touchée, et même photographiée (ce qui exclut l’hypothèse d’une hallucination) ? Pourtant, les spirites eux-mêmes reconnaissent bien que le médium est pour quelque chose là-dedans : une sorte de substance, d’abord informe et nébuleuse, semble se dégager de son corps, puis se condense graduellement ; cela, tout le monde l’admet, sauf ceux qui contestent la réalité même du phénomène ; mais les spirites ajoutent qu’un « esprit » vient ensuite modeler cette substance, cet « ectoplasme », comme l’appellent certains psychistes, lui donner sa forme, et l’animer comme un véritable corps temporaire. Malheureusement, il y a eu des « matérialisations » de personnages imaginaires, comme il y a eu des « communications » signées par des héros de romans : Éliphas Lévi assure que des personnes ont fait évoquer par Dunglas Home les fantômes de parents supposés, qui n’avaient jamais existé(16) ; on a cité aussi des cas où les formes « matérialisées » reproduisaient tout simplement des portraits, ou même des figures fantaisistes empruntées à des tableaux ou à des dessins que le médium avait vus : « Lors du Congrès spirite et spiritualiste de 1889, dit Papus, M. Donald Mac-Nab nous montra un cliché photographique représentant une matérialisation de jeune fille qu’il avait pu toucher ainsi que six de ses amis et qu’il avait réussi à photographier. Le médium en léthargie était visible à côté de l’apparition. Or cette apparition matérialisée n’était que la reproduction matérielle d’un vieux dessin datant de plusieurs siècles et qui avait beaucoup frappé le médium alors qu’il était éveillé »(17). D’un autre côté, si la personne évoquée est reconnue par un des assistants, cela prouve évidemment que cet assistant en avait une image dans sa mémoire, et de là peut fort bien venir la ressemblance constatée ; si au contraire personne n’a connu le soi-disant « désincarné » qui se présente, son identité ne peut être vérifiée, et l’argument spirite tombe encore. Du reste, M. Flammarion lui-même a dû reconnaître que l’identité des « esprits » n’a jamais été démontrée, que les cas les plus remarquables peuvent toujours donner lieu à contestation ; et comment pourrait-il en être autrement, si l’on songe que, même pour un homme vivant, il est à peu près impossible théoriquement, sinon pratiquement, de donner de son identité des preuves vraiment rigoureuses et irréfutables ? Il faut donc s’en tenir à la théorie dite de l’« idéoplastie », d’après laquelle non seulement le substratum de la « matérialisation » est fourni par le médium, mais encore sa forme même est due à une idée ou plus exactement à une image mentale, soit du médium également, soit d’un assistant quelconque, cette image pouvant d’ailleurs n’être que « subconsciente » ; tous les faits de cet ordre peuvent s’expliquer par cette théorie, et certains d’entre eux ne peuvent pas s’expliquer autrement. Remarquons en passant que, cela étant admis, il en résulte qu’il n’y a pas nécessairement fraude lorsqu’il se présente des « matérialisations » dépourvues de relief comme les dessins dans lesquels on en retrouve le modèle ; bien entendu, cela n’empêche pas que les fraudes soient très fréquentes en fait, mais des cas comme ceux-là devraient être examinés de plus près, au lieu d’être écartés de parti pris. On sait d’ailleurs qu’il y a des « matérialisations » plus ou moins complètes : il y a parfois des formes qui peuvent être touchées, mais qui n’arrivent pas à se rendre visibles ; il y a aussi des apparitions qui ne sont que partielles, et ces dernières sont le plus souvent des formes de mains. Ces apparitions de mains isolées mériteraient de retenir l’attention : on a cherché à les expliquer en disant que, « comme un objet se prend ordinairement avec la main, le désir de prendre un objet doit nécessairement éveiller l’idée de main et par conséquent la représentation mentale d’une main »(18) ; tout en acceptant cette explication en principe, il est permis de penser qu’elle n’est peut-être pas toujours suffisante, et nous rappellerons à ce propos que des manifestations similaires ont été constatées dans des cas qui sont du domaine de la sorcellerie, comme les faits de Cideville que nous avons déjà mentionnés. La théorie de l’« idéoplastie », d’ailleurs, n’exclut pas forcément toute intervention étrangère, comme pourraient le croire ceux qui sont trop portés à systématiser ; elle restreint seulement le nombre des cas où il faut y faire appel ; notamment, elle n’exclut pas l’action d’hommes vivants non présents corporellement (c’est ainsi qu’opèrent les sorciers), ni celle de forces diverses sur lesquelles nous reviendrons.

Certains disent que ce qui s’extériorise est le « double » du médium ; cette expression est impropre, au moins en ce sens que ce prétendu « double » peut prendre une apparence fort différente de celle du médium lui-même. Pour les occultistes, ce « double » est évidemment identique au « corps astral » ; il en est qui s’exercent à obtenir, d’une façon consciente et volontaire, le « dédoublement » ou la « sortie en astral », c’est-à-dire en somme à réaliser activement ce que fait passivement le médium, tout en avouant que les expériences de ce genre sont extrêmement dangereuses. Quand les résultats ne sont pas purement illusoires et dus à une simple autosuggestion, ils sont en tout cas mal interprétés ; nous avons déjà dit qu’il n’est pas possible d’admettre le « corps astral », non plus que les « fluides », parce que ce ne sont là que des représentations fort grossières, consistant à supposer des états matériels qui ne diffèrent guère de la matière ordinaire que par une moindre densité. Quand nous parlons d’un « état subtil », c’est tout autre chose que nous voulons dire : ce n’est pas un corps de matière raréfiée, un « aérosome », suivant le terme adopté par quelques occultistes ; c’est quelque chose qui est véritablement « incorporel » ; nous ne savons d’ailleurs si on doit le dire matériel ou immatériel, et peu nous importe, car ces mots n’ont qu’une valeur très relative pour quiconque se place en dehors des cadres conventionnels de la philosophie moderne, et cet ordre de considérations demeure complètement étranger aux doctrines orientales, les seules où, de nos jours, la question dont il s’agit soit étudiée comme elle doit l’être. Nous tenons à préciser que ce à quoi nous faisons allusion présentement est essentiellement un état de l’homme vivant, car l’être, à la mort, est changé bien autrement que par la simple perte de son corps, contrairement à ce que soutiennent les spirites et même les occultistes ; aussi ce qui est susceptible de se manifester après la mort ne peut-il être regardé que comme une sorte de vestige de cet état subtil de l’être vivant, et ce n’est pas plus cet état lui-même que le cadavre n’est l’organisme animé. Pendant la vie, le corps est l’expression d’un certain état de l’être, mais celui-ci a également, et en même temps, des états incorporels, parmi lesquels celui dont nous parlons est d’ailleurs le plus proche de l’état corporel ; cet état subtil doit se présenter à l’observateur comme une force ou un ensemble de forces plutôt que comme un corps, et l’apparence corporelle des « matérialisations » n’est que surajoutée exceptionnellement à ses propriétés ordinaires. Tout cela a été singulièrement déformé par les occultistes, qui disent bien que le « plan astral » est le « monde des forces », mais que cela n’empêche point d’y placer des corps ; encore convient-il d’ajouter que les « forces subtiles » sont bien différentes, tant par leur nature que par leur mode d’action, des forces qu’étudie la physique ordinaire.

Ce qu’il y a de curieux à noter comme conséquence de ces dernières considérations, c’est ceci : ceux même qui admettent qu’il est possible d’évoquer les morts (nous voulons dire l’être réel des morts) devraient admettre qu’il soit également possible, et même plus facile, d’évoquer un vivant, puisque le mort n’a pas acquis, à leurs yeux, d’éléments nouveaux, et que d’ailleurs, quel que soit l’état dans lequel on le suppose, cet état, comparé à celui des vivants, n’offrira jamais une similitude aussi parfaite que si l’on compare des vivants entre eux, d’où il suit que les possibilités de communication, si elles existent, ne peuvent en tout cas être qu’amoindries et non pas augmentées. Or il est remarquable que les spirites s’insurgent violemment contre cette possibilité d’évoquer un vivant, et qu’ils semblent la trouver particulièrement redoutable pour leur théorie ; nous qui dénions tout fondement à celle-ci, nous reconnaissons au contraire cette possibilité, et nous allons tâcher d’en montrer un peu plus clairement les raisons. Le cadavre n’a pas de propriétés autres que celles de l’organisme animé, il garde seulement certaines des propriétés qu’avait celui-ci ; de même, l’ob des Hébreux, ou le prêta des Hindous, ne saurait avoir de propriétés nouvelles par rapport à l’état dont il n’est qu’un vestige ; si donc cet élément peut être évoqué, c’est que le vivant peut l’être aussi dans son état correspondant. Bien entendu, ce que nous venons de dire suppose seulement une analogie entre différents états, et non une assimilation avec le corps ; l’ob (conservons-lui ce nom pour plus de simplicité) n’est pas un « cadavre astral », et ce n’est que l’ignorance des occultistes, confondant analogie et identité, qui en a fait la « coque » dont nous avons parlé ; les occultistes, disons-le encore une fois, n’ont recueilli que des lambeaux de connaissances incomprises. Que l’on veuille bien remarquer encore que toutes les traditions s’accordent à reconnaître la réalité de l’évocation magique de l’ob, quelque nom qu’elles lui donnent ; en particulier, la Bible hébraïque rapporte le cas de l’évocation du prophète Samuel(19), et d’ailleurs, si ce n’était une réalité, les défenses qu’elle contient à ce sujet seraient sans portée et sans signification. Mais revenons à notre question : si un homme vivant peut être évoqué, il y a, avec le cas du mort, cette différence que, le composé qu’il est n’étant point dissocié, l’évocation affectera nécessairement son être réel ; elle peut donc avoir des conséquences autrement graves sous ce rapport que celle de l’ob, ce qui ne veut point dire que cette dernière n’en ait pas aussi, mais dans un autre ordre. D’un autre côté, la possibilité d’évocation doit être réalisable surtout si l’homme est endormi, parce qu’il se trouve précisément alors, quant à sa conscience actuelle, dans l’état correspondant à ce qui peut être évoqué, à moins toutefois qu’il ne soit plongé dans le véritable sommeil profond, où rien ne peut l’atteindre et où aucune influence extérieure ne peut plus s’exercer sur lui ; cette possibilité se réfère seulement à ce que nous pouvons appeler l’état de rêve, intermédiaire entre la veille et le sommeil profond, et c’est également de ce côté, disons-le en passant, qu’il faudrait chercher effectivement la véritable explication de tous les phénomènes du rêve, explication qui n’est pas moins impossible aux psychologues qu’aux physiologistes. Il est à peine utile de dire que nous ne conseillerions à personne de tenter l’évocation d’un vivant, ni surtout de se soumettre volontairement à une telle expérience, et qu’il serait extrêmement dangereux de donner publiquement la moindre indication pouvant aider à obtenir ce résultat ; mais le plus fâcheux est qu’il peut arriver qu’on l’obtienne quelquefois sans l’avoir cherché, et c’est là un des inconvénients accessoires que présente la vulgarisation des pratiques empiriques des spirites ; nous ne voulons pas exagérer l’importance d’un tel danger, mais c’est déjà trop qu’il existe, si exceptionnellement que ce soit. Voici ce que dit à ce sujet un psychiste qui s’est posé en adversaire résolu de l’hypothèse spirite, l’ingénieur Donald Mac-Nab : « Il peut arriver que dans une séance on matérialise l’identité physique d’une personne éloignée, en rapport psychique avec le médium. Alors, si on agit maladroitement, on peut tuer cette personne. Bien des cas de mort subite peuvent se rapporter à cette cause »(20). Ailleurs, le même auteur envisage aussi, outre l’évocation proprement dite, d’autres possibilités du même ordre : « Une personne éloignée peut assister psychiquement à la séance, de sorte que l’on s’explique très bien que l’on puisse observer le fantôme de cette personne ou de toute autre image contenue dans son inconscient, y compris celles des personnes mortes qu’elle a connues. La personne qui se manifeste ainsi n’en a généralement pas conscience, mais elle éprouve une sorte d’absence ou d’abstraction. Ce cas est moins rare qu’on ne pense »(21). Que l’on remplace simplement ici « inconscient » par « subconscient », et l’on verra que c’est exactement, au fond, ce que nous avons dit plus haut de ces obscures ramifications de l’être humain qui permettent d’expliquer tant de choses dans les « communications » spirites. Avant d’aller plus loin, nous ferons encore remarquer que le « médium à matérialisations » est toujours plongé dans ce sommeil spécial que les spirites anglo-saxons appellent trance, parce que sa vitalité, aussi bien que sa conscience, est alors concentrée dans l’« état subtil » ; et même, à vrai dire, cette trance est bien plus semblable à une mort apparente que ne l’est le sommeil ordinaire, parce qu’il y a alors, entre cet « état subtil » et l’état corporel, une dissociation plus ou moins complète. C’est pourquoi, dans toute expérience de « matérialisation », le médium est constamment en danger de mort, non moins que l’occultiste qui s’essaie au « dédoublement » ; pour éviter ce danger, il faudrait recourir à des moyens spéciaux que ni l’un ni l’autre ne sauraient avoir à leur disposition ; malgré toutes leurs prétentions, les occultistes « pratiquants » sont, tout comme les spirites, de simples empiriques qui ne savent pas même ce qu’ils font.

L’« état subtil » dont nous parlons, et auquel doivent être rapportées en général, non seulement les « matérialisations », mais aussi toutes les autres manifestations qui supposent une « extériorisation » à un degré quelconque, cet état, disons-nous, porte le nom de taijasa dans la doctrine hindoue, parce que celle-ci regarde le principe correspondant comme étant de la nature de l’élément igné (têjas), qui est à la fois chaleur et lumière. Cela pourrait être mieux compris par un exposé de la constitution de l’être humain telle que cette doctrine l’envisage ; mais nous ne pouvons songer à l’entreprendre ici, car cette question exigerait toute une étude spéciale, que nous avons d’ailleurs l’intention de faire quelque jour. Pour le moment, nous devons nous borner à signaler très sommairement quelques-unes des possibilités de cet « état subtil », possibilités qui dépassent d’ailleurs de beaucoup tous les phénomènes du spiritisme, et auxquelles ceux-ci ne sont même plus comparables ; telles sont par exemple les suivantes : possibilité de transférer dans cet état l’intégralité de la conscience individuelle, et non plus seulement une portion de « subconscience » comme cela a lieu dans le sommeil ordinaire et dans les états hypnotiques et médiumniques ; possibilité de « localiser » cet état en un endroit quelconque, ce qui est l’« extériorisation » proprement dite, et de condenser en cet endroit, par son moyen, une apparence corporelle qui est analogue à la « matérialisation » des spirites, mais sans l’intervention d’aucun médium ; possibilité de donner à cette apparence, soit la forme même du corps (et alors elle mériterait vraiment le nom de « double »), soit toute autre forme correspondant à une image mentale quelconque ; enfin, possibilité de « transposer » dans cet état, si l’on peut ainsi s’exprimer, les éléments constitutifs du corps lui-même, ce qui semblera sans doute plus extraordinaire encore que tout le reste. On remarquera qu’il y a là de quoi expliquer, entre autres choses, les phénomènes de « bilocation », qui sont de ceux auxquels nous faisions allusion lorsque nous disions qu’il y a des phénomènes dont on trouve des exemples, extérieurement semblables, chez des saints et chez des sorciers ; on y trouve également l’explication de ces histoires, trop répandues pour être sans fondement, de sorciers qui ont été vus errant sous des formes animales, et l’on pourrait encore y voir pourquoi les coups portés à ces formes ont leur répercussion, en blessures réelles, sur le corps même du sorcier, aussi bien que lorsque le fantôme de celui-ci se montre sous sa forme naturelle, qui peut d’ailleurs n’être pas visible pour tous les assistants ; sur ce dernier point comme sur bien d’autres, le cas de Cideville est particulièrement frappant et instructif. D’un autre côté, c’est à des réalisations très incomplètes et très rudimentaires de la dernière des possibilités que nous avons énumérées qu’il faudrait rattacher les phénomènes de « lévitation », dont nous n’avions pas parlé précédemment (et pour lesquels il faudrait répéter la même observation que pour la « bilocation »), les changements de poids constatés chez les médiums (et qui ont donné à certains psychistes l’illusion absurde de pouvoir « peser l’âme »), et aussi ces « changements d’état », ou tout au moins de modalité, qui doivent se produire dans les « apports ». Il y a de même des cas que l’on pourrait regarder comme représentant une « bilocation » incomplète : tels sont tous les phénomènes de « télépathie », c’est-à-dire les apparitions d’êtres humains à distance, se produisant pendant leur vie ou au moment même de leur mort, apparitions qui peuvent d’ailleurs présenter des degrés de consistance extrêmement variables. Les possibilités dont il s’agit, étant bien au delà du domaine du psychisme ordinaire, permettent d’expliquer « a fortiori » beaucoup des phénomènes qu’étudie celui-ci ; mais ces phénomènes, comme on vient de le voir, n’en représentent que des cas atténués, réduits aux proportions les plus médiocres. Nous ne parlons d’ailleurs en tout cela que de possibilités, et nous convenons qu’il est des choses sur lesquelles il serait assez difficile d’insister, étant donnée surtout la tournure de la mentalité dominante à notre époque ; à qui ferait-on croire, par exemple, qu’un être humain, dans certaines conditions, peut quitter l’existence terrestre sans laisser un cadavre derrière lui ? Pourtant, nous en appellerons encore au témoignage de la Bible : Hénoch « ne parut plus, parce que Dieu l’avait pris »(22) ; Moïse « fut enseveli par le Seigneur, et personne n’a connu son sépulcre »(23) ; Élie monta aux cieux sur un « char de feu »(24), qui rappelle étrangement le « véhicule igné » de la tradition hindoue ; et, si ces exemples impliquent l’intervention d’une cause d’ordre transcendant, il n’en est pas moins vrai que cette intervention même présuppose certaines possibilités dans l’être humain. Quoi qu’il en soit, nous n’indiquons tout cela que pour donner à réfléchir à ceux qui en sont capables, et pour leur faire concevoir jusqu’à un certain point l’étendue de ces possibilités de l’être humain, si complètement insoupçonnées du plus grand nombre ; pour ceux-là aussi, nous ajouterons que tout ce qui se rapporte à cet « état subtil » touche de très près à la nature même de la vie, que des anciens comme Aristote, d’accord en cela avec les Orientaux, assimilaient à la chaleur même, propriété spécifique de l’élément têjas(25). En outre, cet élément est en quelque sorte polarisé en chaleur et lumière, d’où il résulte que l’« état subtil » est lié à l’état corporel de deux façons différentes et complémentaires, par le système nerveux quant à la qualité lumineuse, et par le sang quant à la qualité calorique ; il y a là les principes de toute une « psycho-physiologie » qui n’a aucun rapport avec celle des Occidentaux modernes, et dont ceux-ci n’ont pas la moindre notion. Ici, il faudrait encore rappeler le rôle du sang dans la production de certains phénomènes, son emploi dans divers rites magiques et même religieux, et aussi son interdiction, en tant qu’aliment, par des législations traditionnelles comme celle des Hébreux ; mais cela pourrait nous entraîner bien loin, et d’ailleurs ces choses ne sont pas de celles dont il est indifférent de parler sans réserve. Enfin, l’« état subtil » ne doit pas être envisagé seulement dans les êtres vivants individuels, et, comme tout autre état, il a sa correspondance dans l’ordre cosmique ; c’est à quoi se réfèrent les mystères de l’« Œuf du Monde », cet antique symbole commun aux Druides et aux Brâhmanes.

Il semble que nous soyons bien loin des phénomènes du spiritisme ; cela est vrai, mais c’est pourtant la dernière remarque que nous venons de faire qui va nous y ramener, en nous permettant de compléter l’explication que nous en proposons, et à laquelle il manquait encore quelque chose. L’être vivant, en chacun de ses états, est en rapport avec le milieu cosmique correspondant ; cela est évident pour l’état corporel, et, pour les autres, l’analogie doit être observée ici comme en toutes choses ; la véritable analogie, correctement appliquée, ne saurait, cela va sans dire, être rendue responsable de ces abus de la fausse analogie que l’on relève à chaque instant chez les occultistes. Ceux-ci, sous le nom de « plan astral », ont dénaturé, caricaturé pour ainsi dire, le milieu cosmique qui correspond à l’« état subtil », milieu incorporel, dont un « champ de forces » est la seule image que puisse se faire un physicien, et encore sous la réserve que ces forces sont tout autres que celles qu’il est habitué à manier. Voilà donc de quoi expliquer les actions étrangères qui peuvent, dans certains cas, venir s’adjoindre à l’action des êtres vivants, s’y combiner en quelque sorte pour la production des phénomènes ; et, là encore, ce qu’il faut craindre le plus en formulant des théories, c’est de limiter arbitrairement des possibilités que l’on peut dire proprement indéfinies (nous ne disons pas infinies). Les forces susceptibles d’entrer en jeu sont diverses et multiples ; qu’on doive les regarder comme provenant d’êtres spéciaux, ou comme de simples forces dans un sens plus voisin de celui où le physicien entend ce mot, peu importe quand on s’en tient aux généralités, car l’un et l’autre peuvent être vrais suivant les cas. Parmi ces forces, il en est qui sont, par leur nature, plus rapprochées du monde corporel et des forces physiques, et qui, par conséquent, se manifesteront plus aisément en prenant contact avec le domaine sensible par l’intermédiaire d’un organisme vivant (celui d’un médium) ou par tout autre moyen. Or ces forces sont précisément les plus inférieures de toutes, donc celles dont les effets peuvent être les plus funestes et devraient être évités le plus soigneusement ; elles correspondent, dans l’ordre cosmique, à ce que sont les plus basses régions du « subconscient » dans l’être humain. C’est dans cette catégorie qu’il faut ranger toutes les forces auxquelles la tradition extrême-orientale donne la dénomination générique d’« influences errantes », forces dont le maniement constitue la partie la plus importante de la magie, et dont les manifestations, parfois spontanées, donnent lieu à tous ces phénomènes dont la « hantise » est le type le plus connu ; ce sont, en somme, toutes les énergies non individualisées, et il y en a naturellement de bien des sortes. Certaines de ces forces peuvent être dites vraiment « démoniaques » ou « sataniques » ; ce sont celles-là, notamment, que met en jeu la sorcellerie, et les pratiques spirites peuvent aussi les attirer souvent, quoique involontairement ; le médium est un être que sa malencontreuse constitution met en rapport avec tout ce qu’il y a de moins recommandable en ce monde, et même dans les mondes inférieurs. Dans les « influences errantes » doit être également compris tout ce qui, provenant des morts, est susceptible de donner lieu à des manifestations sensibles, car il s’agit là d’éléments qui ne sont plus individualisés : tel est l’ob lui-même, et tels sont à plus forte raison tous ces éléments psychiques de moindre importance qui représentent « le produit de la désintégration de l’inconscient (ou mieux du « subconscient ») d’une personne morte »(26) ; ajoutons que, dans les cas de mort violente, l’ob conserve pendant un certain temps un degré tout spécial de cohésion et de quasi-vitalité, ce qui permet de rendre compte de bon nombre de phénomènes. Nous ne donnons là que quelques exemples, et d’ailleurs, nous le répétons, il n’y a point à indiquer une source nécessaire de ces influences ; d’où qu’elles viennent, elles peuvent être captées suivant certaines lois ; mais les savants ordinaires, qui ne connaissent absolument rien de ces lois, ne devraient pas s’étonner d’avoir quelques déconvenues et de ne pouvoir se faire obéir de la « force psychique », qui paraît quelquefois se plaire à déjouer les plus ingénieuses combinaisons de leur méthode expérimentale ; ce n’est pas que cette force (qui d’ailleurs n’est pas une) soit plus « capricieuse » qu’une autre, mais encore faut-il savoir la diriger ; malheureusement, elle a d’autres méfaits à son actif que les tours qu’elle joue aux savants. Le magicien, qui connaît les lois des « influences errantes », peut les fixer par divers procédés, par exemple en prenant pour support certaines substances ou certains objets agissant à la façon de « condensateurs » ; il va sans dire qu’il n’y a qu’une ressemblance purement extérieure entre les opérations de ce genre et l’action des « influences spirituelles » dont il a été question précédemment. Inversement, le magicien peut aussi dissoudre les « conglomérats » de force subtile, qu’ils aient été formés volontairement par lui ou par d’autres, ou qu’ils se soient constitués spontanément ; à cet égard, le pouvoir des pointes a été connu de tout temps. Ces deux actions inverses sont analogues à ce que l’alchimie appelle « coagulation » et « solution » (nous disons analogues et non identiques, car les forces mises en œuvre par l’alchimie et par la magie ne sont pas exactement du même ordre) ; elles constituent l’« appel » et le « renvoi » par lesquels s’ouvre et se ferme toute opération de la « magie cérémonielle » occidentale ; mais celle-ci est éminemment symbolique, et, en prenant à la lettre la façon dont elle « personnifie » les forces, on en arriverait aux pires absurdités ; c’est d’ailleurs ce que font les occultistes. Ce qu’il y a de vrai sous ce symbolisme, c’est surtout ceci : les forces en question peuvent être réparties en différentes classes, et la classification adoptée dépendra du point de vue où l’on se place ; celle de la magie occidentale distribue les forces, suivant leurs affinités, en quatre « royaumes élémentaires », et il ne faut pas chercher d’autre origine ni d’autre signification réelle à la théorie moderne des « élémentals »(27). D’autre part, dans l’intervalle compris entre les deux phases inverses qui sont les deux extrêmes de son opération, le magicien peut prêter aux forces qu’il a captées une sorte de conscience, reflet ou prolongement de la sienne propre, qui leur constitue comme une individualité temporaire ; et c’est cette individualisation factice qui, à ceux que nous appelons des empiriques et qui appliquent des règles incomprises, donne l’illusion d’avoir affaire à des êtres véritables. Le magicien qui sait ce qu’il fait, s’il interroge ces pseudo-individualités qu’il a lui-même suscitées aux dépens de sa propre vitalité, ne peut voir là qu’un moyen de faire apparaître, par un développement artificiel, ce que son « subconscient » contenait déjà à l’état latent ; la même théorie est d’ailleurs applicable, avec les modifications voulues, à tous les procédés divinatoires quels qu’ils soient. C’est là aussi que réside, lorsque la simple extériorisation des vivants n’y suffit pas entièrement, l’explication des « communications » spirites, avec cette différence que les influences, n’étant dirigées dans ce cas par aucune volonté, s’y expriment de la façon la plus incohérente et la plus désordonnée ; il y a bien aussi une autre différence, qui est dans les procédés mis en œuvre, car l’emploi d’un être humain comme « condensateur », antérieurement au spiritisme, était l’apanage des sorciers de la plus basse classe ; et il y en a même encore une troisième, car, nous l’avons déjà dit, les spirites sont plus ignorants que le dernier des sorciers, et aucun de ceux-ci n’a jamais poussé l’inconscience jusqu’à prendre les « influences errantes » pour les « esprits des morts ». Avant de quitter ce sujet, nous tenons à ajouter encore que, outre le mode d’action dont nous venons de parler et qui est le seul connu des magiciens ordinaires, du moins en Occident, il en est un autre tout différent, dont le principe consiste à condenser les influences en soi-même, de façon à pouvoir s’en servir à volonté et à avoir ainsi à sa disposition une possibilité permanente de produire certains phénomènes ; c’est à ce mode d’action que doivent être rapportés les phénomènes des fakirs ; mais qu’on n’oublie pas que ceux-ci ne sont encore que des ignorants relatifs, et que ceux qui connaissent le plus parfaitement les lois de cet ordre de choses sont en même temps ceux qui se désintéressent le plus complètement de leur application.

Nous ne prétendons pas que les indications qui précèdent constituent, sous la forme très abrégée que nous leur avons donnée, une explication absolument complète des phénomènes du spiritisme ; cependant, elles contiennent tout ce qu’il faut pour fournir cette explication, dont nous avons tenu à montrer au moins la possibilité avant d’apporter les vraies preuves de l’inanité des théories spirites. Nous avons dû condenser dans ce chapitre des considérations dont le développement demanderait plusieurs volumes ; encore y avons-nous insisté plus qu’il ne nous aurait convenu de le faire si les circonstances actuelles ne nous avaient prouvé la nécessité d’opposer certaines vérités au flot montant des divagations « néo-spiritualistes ». Ces choses, en effet, ne sont pas de celles sur lesquelles il nous plaît de nous arrêter, et nous sommes loin d’éprouver, pour le « monde intermédiaire » auquel elles se rapportent, l’attrait que témoignent les amateurs de « phénomènes » ; aussi ne voudrions-nous pas avoir, dans ce domaine, à aller au delà de considérations tout à fait générales et synthétiques, les seules d’ailleurs dont l’exposé ne puisse présenter aucun inconvénient. Nous avons la conviction que ces explications, telles qu’elles sont, vont déjà beaucoup plus loin que tout ce qu’on pourrait trouver ailleurs sur le même sujet ; mais nous tenons à avertir expressément qu’elles ne sauraient être d’aucune utilité à ceux qui voudraient entreprendre des expériences ou tenter de se livrer à des pratiques quelconques, choses qui, loin de devoir être favorisées si peu que ce soit, ne seront jamais déconseillées assez énergiquement.