CHAPITRE II
L’influence du milieu

Bien que les théories spirites soient tirées des « communications » des prétendus « esprits », elles sont toujours en rapport étroit avec les idées qui ont cours dans le milieu où elles s’élaborent ; cette constatation appuie fortement la thèse que nous avons exposée, et d’après laquelle la principale source réelle de ces « communications » se trouverait dans le « subconscient » du médium et des assistants. Nous rappelons qu’il peut d’ailleurs se former une sorte de combinaison des divers « subconscients » en présence, de façon à donner tout au moins l’illusion d’une « entité collective » ; nous disons l’illusion, parce qu’il n’y a que les occultistes qui, avec leur manie de voir en tout et partout des « êtres vivants » (et ils reprochent aux religions leur prétendu anthropomorphisme !), peuvent se laisser prendre aux apparences jusqu’à croire qu’il s’agit là d’un être véritable. Quoi qu’il en soit, la formation de cette « entité collective », si l’on veut conserver cette façon de parler, explique le fait, remarqué par tous les spirites, que les « communications » sont d’autant plus nettes et plus cohérentes que les séances sont tenues plus régulièrement et toujours avec les mêmes assistants ; aussi insistent-ils sur ces conditions, même sans en connaître la raison, et hésitent-ils souvent à admettre de nouveaux membres dans des groupes déjà constitués, préférant les engager à former d’autres groupes ; du reste, une réunion trop nombreuse se prêterait mal à l’établissement de liens solides et durables entre ses membres. L’influence des assistants peut aller très loin et se manifester autrement encore que dans les « communications », si l’on en croit le spirite russe Aksakoff, d’après lequel l’aspect des « matérialisations » se modifierait chaque fois que de nouveaux assistants sont introduits dans les séances où elles se produisent, ces « matérialisations » continuant cependant à se présenter sous la même identité ; naturellement, ce fait s’explique pour lui par les emprunts que les « esprits matérialisés » font aux « périsprits » des vivants, mais nous pouvons, quant à nous, y voir la réalisation d’une sorte d’« image composite » à laquelle chacun fournit quelques traits, une fusion s’opérant entre les produits des divers « subconscients » individuels.

Bien entendu, nous n’excluons pas la possibilité d’action d’influences étrangères ; mais, d’une façon générale, ces influences, quelles qu’elles soient, lorsqu’elles interviennent, doivent être en conformité avec les tendances des groupements où elles se manifestent. En effet, il faut qu’elles y soient attirées par certaines affinités ; les spirites, ignorant les lois suivant lesquelles agissent ces influences, sont bien forcés d’accueillir ce qui se présente et ne peuvent le déterminer à leur gré. D’autre part, nous avons dit que les « influences errantes » ne peuvent être regardées comme proprement conscientes par elles-mêmes ; c’est à l’aide des « subconscients » humains qu’elles se forment une conscience temporaire, de sorte que, au point de vue des manifestations intelligentes, le résultat est ici exactement le même que lorsqu’il n’y a que la seule action des forces extériorisées des assistants. La seule exception qu’il y ait lieu de faire concerne la conscience réflexe qui peut demeurer inhérente à des éléments psychiques ayant appartenu à des êtres humains et actuellement en voie de désagrégation ; mais les réponses qui proviennent de cette source ont généralement un caractère fragmentaire et incohérent, de sorte que les spirites eux-mêmes n’y font guère attention ; et pourtant c’est là tout ce qui provient authentiquement des morts, encore que l’« esprit » de ceux-ci, ou leur être réel, n’y soit assurément pour rien.

Il y a encore lieu d’envisager autre chose, dont l’action peut être très importante : ce sont les éléments empruntés, non plus aux assistants immédiats, mais à l’ambiance générale. L’existence de tendances ou de courants mentaux dont la force est prédominante pour une époque et pour un pays déterminés est assez ordinairement connue, au moins vaguement, pour qu’on puisse comprendre sans peine ce que nous voulons dire. Ces courants agissent plus ou moins sur tout le monde, mais leur influence est particulièrement forte sur les individus que l’on peut appeler « sensitifs », et, chez les médiums, cette qualité est portée à son plus haut degré. D’autre part, chez les individus normaux, c’est principalement dans le domaine du « subconscient » que s’exerce cette même influence ; elle s’affirmera donc plus nettement quand le contenu de ce « subconscient » apparaîtra au dehors, ainsi qu’il arrive précisément dans les séances spirites, et l’on doit rapporter à cette origine beaucoup de ces banalités invraisemblables qui s’étalent dans les « communications ». Il peut même y avoir, dans cet ordre, des manifestations qui semblent présenter un plus grand intérêt : il y a des idées dont on dit vulgairement qu’elles sont « dans l’air », et l’on sait que certaines découvertes scientifiques ont été faites simultanément par plusieurs personnes travaillant indépendamment les unes des autres ; si de tels résultats n’ont jamais été obtenus par les médiums, c’est que, même s’ils reçoivent une idée de ce genre, ils sont bien incapables d’en tirer parti, et tout ce qu’ils feront dans ce cas sera de l’exprimer sous une forme plus ou moins ridicule, quelquefois presque incompréhensible, mais qui fera l’admiration des ignorants parmi lesquels le spiritisme recrute l’immense majorité de ses adhérents. Voilà de quoi expliquer les « communications » à allure scientifique ou philosophique, que les spirites présentent comme une preuve de la vérité de leur doctrine, lorsque le médium, étant trop inintelligent ou illettré, leur semble évidemment incapable d’avoir inventé de pareilles choses ; et encore devons-nous ajouter que, dans bien des cas, ces « communications » sont tout simplement le reflet de lectures quelconques, peut-être incomprises, et qui ne sont pas forcément celles du médium lui-même. Les idées ou les tendances mentales dont nous parlons agissent un peu à la façon des « influences errantes », et même cette dénomination est si compréhensive qu’on peut les y faire rentrer, comme constituant une classe spéciale de ces influences : elles ne sont pas forcément incorporées au « subconscient » des individus, elles peuvent aussi demeurer à l’état de courants plus ou moins indéterminés (mais qui, cela va sans dire, n’ont rien des courants « fluidiques » des occultistes), et se manifester néanmoins dans les séances spirites. En effet, dans ces séances, ce n’est pas seulement le médium, c’est le groupe tout entier qui se met dans un état de passivité ou, si l’on veut, de « réceptivité » ; c’est ce qui lui permet d’attirer les « influences errantes » en général, puisqu’il serait incapable de les capter en exerçant sur elles une action positive comme le fait le magicien. Cette passivité, avec toutes les conséquences qu’elle entraîne, est le plus grand de tous les dangers du spiritisme ; il faut d’ailleurs y joindre, sous ce rapport, le déséquilibre et la dissociation partielle que ces pratiques provoquent dans les éléments constitutifs de l’être humain, et qui, même chez ceux qui ne sont pas médiums, ne sont point négligeables : la fatigue éprouvée par les simples assistants après une séance le montre assez, et, à la longue, les effets peuvent être des plus funestes.

Il est un autre point qui demanderait une attention toute particulière : il existe des organisations qui sont tout le contraire des groupes spirites, en ce sens qu’elles s’appliquent à provoquer et à entretenir, de façon consciente et volontaire, certains courants mentaux. Si l’on considère d’une part une telle organisation, et d’autre part un groupe spirite, on voit ce qui pourra se produire : l’une émettra un courant, l’autre le recevra ; on aura ainsi un pôle positif et un pôle négatif entre lesquels s’établira une sorte de « télégraphie psychique », surtout si l’organisation envisagée est capable, non seulement de produire le courant, mais aussi de le diriger. Une explication de ce genre est d’ailleurs applicable aux faits de « télépathie » ; mais, dans ceux-ci, la communication s’établit entre deux individus, et non entre deux collectivités, et, en outre, elle est le plus souvent tout accidentelle et momentanée, n’étant pas plus voulue d’un côté que de l’autre. On voit que ceci se rattache à ce que nous avons dit des origines réelles du spiritisme et du rôle qui a pu y être joué par des hommes vivants, sans que ceux-ci aient semblé y prendre la moindre part : un mouvement comme celui-là était éminemment propre à servir à la propagation de certaines idées, dont la provenance pouvait demeurer entièrement ignorée de ceux mêmes qui y participeraient ; mais l’inconvénient était que l’instrument ainsi créé pouvait aussi se trouver à la merci d’autres influences quelconques, peut-être même opposées à celles qui étaient primitivement en action. Nous ne pouvons insister davantage là-dessus, ni donner ici une théorie plus complète de ces centres d’émission mentale auxquels nous faisons allusion ; bien que ce soit assez difficile, il est possible que nous le fassions en une autre occasion. Nous n’ajouterons qu’un mot à ce sujet, afin d’éviter toute fausse interprétation : lorsqu’il s’agit d’expliquer la « télépathie », les psychistes font volontiers appel à quelque chose qui ressemble plus ou moins aux « ondes hertziennes » ; il y a là, en effet, une analogie qui peut aider, sinon à comprendre les choses, du moins à se les représenter dans une certaine mesure ; mais, si l’on dépasse les limites dans lesquelles cette analogie est valable, on n’a plus qu’une image presque aussi grossière que celle des « fluides », malgré son apparence plus « scientifique » ; en réalité, la nature des forces dont il s’agit est essentiellement différente de celle des forces physiques.

Mais revenons à l’influence du milieu considérée dans le cas le plus général : que cette influence ait agi préalablement sur les spirites eux-mêmes, ou qu’elle prenne corps spécialement à l’occasion de leurs séances, c’est à elle qu’il faut rapporter la plupart des variations que subissent les théories du spiritisme. C’est ainsi, par exemple, que les « esprits » sont « polygamistes » chez les Mormons, et que, dans d’autres milieux américains, ils sont « néo-malthusiens » ; et il est certain que l’attitude des diverses fractions à l’égard de la réincarnation s’explique d’une façon toute semblable. En effet, nous avons vu comment cette idée de la réincarnation avait trouvé en France un milieu tout préparé pour la recevoir et la développer ; par contre, si les spirites anglo-saxons l’ont rejetée, c’est, au dire de certains, en raison de leurs conceptions « bibliques ». À vrai dire, ce motif n’apparaît pas comme absolument suffisant en lui-même, puisque les spirites français invoquent le témoignage de l’Évangile en faveur de la réincarnation ; et, dans un milieu protestant surtout, les interprétations les plus fantaisistes peuvent se donner libre cours. Seulement, si les « esprits » anglais et américains ont déclaré que la réincarnation était en désaccord avec la Bible (qui d’ailleurs n’en parle pas, pour la bonne raison que c’est une idée toute moderne), c’est que telle était la pensée de ceux qui les interrogeaient ; dans le cas contraire, ils auraient sûrement exprimé une tout autre opinion, et ils n’auraient même pas été embarrassés pour apporter des textes à l’appui, puisque les réincarnationnistes le font effectivement. Il y a mieux encore : il paraît que, en Amérique particulièrement, la réincarnation est repoussée parce que la possibilité que leur esprit revienne animer le corps d’un nègre fait horreur aux blancs(1) ! Si les « esprits » américains ont mis en avant un pareil motif, ce n’est pas seulement, comme le disent les spirites français, parce qu’ils n’étaient pas complètement « dégagés » de leurs préjugés terrestres ; c’est parce qu’ils n’étaient que le reflet de la mentalité de ceux qui recevaient leurs « messages », c’est-à-dire de la mentalité vulgaire des Américains ; et l’importance accordée à des considérations de cet ordre montre, en outre, à quel point peut être poussé ce ridicule sentimentalisme qui est commun à tous les spirites. S’il est aujourd’hui des spirites anglo-saxons qui admettent la réincarnation, c’est sous l’influence des idées théosophistes ; le spiritisme ne fait jamais que suivre les courants mentaux, il ne peut en aucun cas leur donner naissance, en raison de cette attitude de passivité que nous avons signalée. Du reste, les tendances les plus générales du spiritisme sont celles de l’esprit moderne lui-même, comme la croyance au progrès et à l’évolution par exemple ; tout le reste vient de courants plus particuliers, agissant dans des milieux moins étendus, mais surtout, la plupart du temps, dans les milieux que l’on peut regarder comme « moyens » sous le rapport de l’intelligence et de l’instruction. À ce point de vue, il y aurait lieu de remarquer le rôle joué par les conceptions que répandent les ouvrages de vulgarisation scientifique ; beaucoup de spirites appartiennent à la classe à laquelle s’adressent ces ouvrages, et, s’il en est dont le niveau mental est encore inférieur, les mêmes idées leur parviennent par l’intermédiaire des autres, ou bien ils les puisent tout simplement dans l’ambiance. Quant aux idées d’un ordre plus élevé, comme elles ne sont point intensifiées par une semblable expansion, elles ne viennent jamais se refléter dans les « communications » spirites, et il y a plutôt à s’en féliciter, car le « miroir psychique » qu’est un médium ne pourrait que les déformer, et cela sans profit pour personne, les spirites étant parfaitement incapables d’apprécier ce qui dépasse les conceptions courantes.

Lorsqu’une école spirite est parvenue à constituer un semblant de doctrine, à fixer certaines grandes lignes, les variations, à l’intérieur de cette école, ne portent plus que sur des points secondaires, mais, dans ces limites, elles continuent à suivre les mêmes lois. Il peut cependant arriver que les « communications » persistent alors à traduire une mentalité qui est plutôt celle de l’époque où cette école s’est établie, parce que cette mentalité est demeurée celle de ses adhérents, bien qu’elle ne corresponde plus entièrement à l’ambiance. C’est ce qui s’est produit pour le kardécisme, qui a toujours gardé quelques traits de ces milieux socialistes de 1848 dans lesquels il a pris naissance ; mais il faut dire aussi que l’esprit qui animait ces milieux n’a pas entièrement disparu, même en dehors du spiritisme, et qu’il leur a survécu, sous des formes diverses, dans toutes les variétés d’« humanitarisme » qui se sont développées depuis lors ; mais le kardécisme est demeuré plus près des anciennes formes, tandis que d’autres étapes de ce développement se sont en quelque sorte « cristallisées » dans des mouvements « néo-spiritualistes » de date plus récente. Du reste, les tendances démocratiques sont inhérentes au spiritisme en général, et même, d’une façon plus ou moins accentuée, à tout le « néo-spiritualisme » ; il en est ainsi parce que le spiritisme, reflétant fidèlement l’esprit moderne en cela comme en bien d’autres choses, est et ne peut être qu’un produit de la mentalité démocratique ; c’est, comme on l’a dit très justement, « la religion du démocrate, l’hérésie où pouvait seule aboutir, en religion, la démocratie »(2). Quant aux autres écoles « néospiritualistes », elles sont pareillement des créations spécifiquement modernes, influencées d’ailleurs, de près ou de loin, par le spiritisme lui-même ; mais celles qui admettent une pseudo-initiation, si illusoire qu’elle soit, et par suite une certaine hiérarchie, sont moins logiques que le spiritisme, car il y a là, qu’on le veuille ou non, quelque chose qui est nettement contraire à l’esprit démocratique. Sous ce rapport, mais dans un ordre d’idées un peu différent, il y aurait un sujet de remarques bien curieuses dans certaines attitudes contradictoires, comme celle des branches de la Maçonnerie actuelle (surtout en France et dans les autres pays dits latins) qui, tout en affichant les prétentions les plus farouchement démocratiques, n’en conservent pas moins soigneusement l’ancienne hiérarchie, sans s’apercevoir de l’incompatibilité ; et c’est précisément cette inconscience de la contradiction qui est surtout digne d’attirer l’attention de ceux qui veulent étudier les caractères de la mentalité contemporaine ; mais cette inconscience ne se manifeste peut-être nulle part avec autant d’ampleur, si l’on peut dire, que chez les spirites et chez ceux qui ont avec eux quelques affinités.

À certains égards, l’observation de ce qui se passe dans les milieux spirites peut fournir, pour les raisons que nous venons d’exposer, des indications assez nettes sur les tendances qui prédominent à un moment donné, par exemple dans le domaine de la politique. Ainsi, les spirites français demeurèrent longtemps, en grande majorité, attachés à des conceptions socialistes fortement teintées d’internationalisme ; mais, quelques années avant la guerre, un changement se produisit : l’orientation générale fut alors celle d’un radicalisme à tendances patriotiques accentuées ; il n’y eut que l’anticléricalisme qui ne varia jamais. Aujourd’hui, l’internationalisme a reparu sous des formes diverses : c’est naturellement dans les milieux de ce genre que des idées comme celle de la « Société des Nations » devaient susciter le plus d’enthousiasme ; et, d’autre part, parmi les ouvriers qui sont gagnés au spiritisme, celui-ci est redevenu socialiste, mais d’un socialisme à la mode nouvelle, bien différent de celui de 1848, qui était ce qu’on pourrait appeler un socialisme de « petite bourgeoisie ». Enfin, nous savons qu’on fait actuellement beaucoup de spiritisme dans certains milieux communistes(3), et nous sommes persuadé que tous les « esprits » doivent y prêcher le bolchevisme ; sans cela, d’ailleurs, ils ne sauraient y trouver le moindre crédit.

En considérant les « communications » comme nous venons de le faire, nous n’avons en vue que celles qui sont obtenues en dehors de toute fraude, car les autres n’ont évidemment aucun intérêt ; la plupart des spirites sont certainement de très bonne foi, et il n’y a que les médiums professionnels qui puissent être suspectés « a priori », même lorsqu’ils ont donné des preuves manifestes de leurs facultés. D’ailleurs, les tendances réelles des milieux spirites se montrent mieux dans les petits groupes privés que dans les séances des médiums en renom ; encore faut-il savoir distinguer entre les tendances générales et celles qui sont propres à tel ou tel groupe. Ces dernières se traduisent spécialement dans le choix des noms sous lesquels se présentent les « esprits », surtout ceux qui sont les « guides » attitrés du groupe ; on sait que ce sont généralement des noms de personnages illustres, ce qui ferait croire que ceux-là se manifestent beaucoup plus volontiers que les autres et qu’ils ont acquis une espèce d’ubiquité (nous aurons à faire une remarque analogue au sujet de la réincarnation), mais aussi que les qualités intellectuelles qu’ils possédaient sur cette terre se sont fâcheusement amoindries. Dans un groupe où la religiosité était la note dominante, les « guides » étaient Bossuet et Pie IX ; dans d’autres où l’on se pique de littérature, ce sont de grands écrivains, parmi lesquels celui qu’on rencontre le plus souvent est Victor Hugo, sans doute parce qu’il fut spirite lui-même. Seulement, il y a ceci de curieux : chez Victor Hugo, n’importe qui ou même n’importe quoi s’exprimait en vers d’une parfaite correction, ce qui concorde avec notre explication ; nous disons n’importe quoi, car il recevait parfois des « communications » d’entités fantaisistes, comme « l’ombre du sépulcre » (il n’y a qu’à se reporter à ses œuvres pour en voir la provenance)(4) ; mais, chez le commun des spirites, Victor Hugo a oublié jusqu’aux règles les plus élémentaires de la prosodie, si ceux qui l’interrogent les ignorent eux-mêmes. Il y a pourtant des cas moins défavorables ; un ancien officier (il y en a beaucoup parmi les spirites), qui s’est fait connaître par des expériences de « photographie de la pensée » dont les résultats sont au moins contestables, est fermement convaincu que sa fille est inspirée par Victor Hugo ; cette personne possède effectivement une facilité de versification peu commune, et elle s’est même acquis quelque notoriété, ce qui ne prouve rien assurément, à moins d’admettre avec certains spirites que toutes les prédispositions naturelles sont dues à une influence des « esprits », et que ceux qui font preuve de certains talents dès leur jeunesse sont tous des médiums sans le savoir ; d’autres spirites, par contre, ne veulent voir dans les mêmes faits qu’un argument en faveur de la réincarnation. Mais revenons aux signatures des « communications », et citons ce que dit à ce sujet un psychiste peu suspect de partialité, le Dr L. Moutin : « Un homme de science ne sera point satisfait et sera loin d’approuver des communications idiotes d’Alexandre le Grand, de César, du Christ, de la Sainte Vierge, de saint Vincent de Paul, de Napoléon Ier, de Victor Hugo, etc., que soutiennent exactes une foule de pseudo-médiums. L’abus des grands noms est détestable, car il fait naître le scepticisme. Nous avons souvent démontré à ces médiums qu’ils se trompaient, en posant, aux soi-disant esprits présents, des questions qu’ils devaient connaître, mais que les médiums ignoraient. Ainsi, par exemple, Napoléon Ier ne se souvenait plus de Waterloo ; saint Vincent de Paul ne savait plus un mot de latin ; le Dante ne comprenait pas l’italien ; Lamartine, Alfred de Musset étaient incapables d’accoupler deux vers. Prenant ces esprits en flagrant délit d’ignorance et faisant toucher la vérité du doigt à ces médiums, pensez-vous que nous ébranlions leur conviction ? Non, car l’esprit-guide soutenait que nous étions de mauvaise foi et que nous cherchions à empêcher une grande mission de s’accomplir, mission dévolue à son médium. Nous avons connu plusieurs de ces grands missionnaires qui ont terminé leur mission dans des maisons spéciales ! »(5). Papus, de son côté, dit ceci : « Quand saint Jean, la Vierge Marie ou Jésus Christ viennent se communiquer, cherchez dans l’assistance un croyant catholique, c’est de son cerveau et pas d’autre chose qu’est issue l’idée directrice. De même quand, ainsi que je l’ai vu, d’Artagnan se présente, inutile de voir (sic) qu’il s’agit d’un fervent d’Alexandre Dumas. » Nous n’avons à cela que deux corrections à faire : d’une part, il faut remplacer le « cerveau » par le « subconscient » (ces « néo-spiritualistes » parlent quelquefois comme de purs matérialistes) ; d’autre part, comme les « croyants catholiques » proprement dits sont plutôt rares dans les groupes spirites, tandis que les « communications » du Christ ou des saints ne le sont pas du tout, il faudrait parler seulement d’une influence d’idées catholiques, subsistant à l’état « subconscient » chez ceux mêmes qui s’en croient le plus complètement « affranchis » ; la nuance est assez importante. Papus poursuit en ces termes : « Quand Victor Hugo vient faire des vers de treize pieds ou donner des conseils culinaires, quand Mme de Girardin vient déclarer sa flamme posthume à un médium américain(6), il y a quatre-vingt-dix chances sur cent pour qu’il s’agisse là d’une erreur d’interprétation. Le point de départ de l’idée impulsive doit être cherché tout près »(7). Nous dirons plus nettement : dans ces cas et dans tous les autres sans exception, il y a toujours une erreur d’interprétation de la part des spirites ; mais ces cas sont peut-être ceux où l’on peut découvrir le plus facilement l’origine véritable des « communications », pour peu qu’on se livre à une petite enquête sur les lectures, les goûts et les préoccupations habituelles des assistants. Bien entendu, les « communications » les plus extraordinaires par leur contenu ou par leur provenance supposée ne sont pas celles que les spirites accueillent avec le moins de respect et d’empressement ; ces gens sont complètement aveuglés par leurs idées préconçues, et leur crédulité semble n’avoir pas de bornes, tandis que leur intelligence et leur discernement en ont de fort resserrées ; nous parlons de la masse, car il y a des degrés dans l’aveuglement. Le fait d’accepter les théories spirites peut être une preuve de sottise ou seulement d’ignorance ; ceux qui sont dans le premier cas sont incurables, et on ne peut que les plaindre ; quant à ceux qui se trouvent dans le second cas, il n’en est peut-être pas de même, et on peut chercher à leur faire comprendre leur erreur, à moins qu’elle ne soit tellement enracinée en eux qu’elle leur ait imprimé une déformation mentale irrémédiable.