CHAPITRE XI
Les différentes conditions d’Âtmâआत्मा dans l’être humain

Nous aborderons maintenant l’étude des différentes conditions de l’être individuel, résidant dans la forme vivante, laquelle, comme nous l’avons expliqué plus haut, comprend, d’une part, la forme subtile (sûkshma-sharîraसूक्ष्म शरीर ou linga-sharîraलिङ्ग शरीर), et, d’autre part, la forme grossière ou corporelle (sthûla-sharîraस्थूल शरीर). Lorsque nous parlons de ces conditions, nous n’entendons nullement par là la condition spéciale qui, suivant ce que nous avons déjà dit, est propre à chaque individu et le distingue de tous les autres, ni l’ensemble de conditions limitatives qui définit chaque état d’existence envisagé en particulier ; ce dont il s’agit ici, ce sont exclusivement les divers états ou, si l’on veut, les diverses modalités dont est susceptible, d’une façon tout à fait générale, un même être individuel quel qu’il soit. Ces modalités peuvent toujours, dans leur ensemble, être rapportées à l’état grossier et à l’état subtil, le premier étant borné à la seule modalité corporelle, et le second comprenant tout le reste de l’individualité (il n’est pas question ici des autres états individuels, puisque c’est l’état humain qui est envisagé spécialement). Ce qui est au delà de ces deux états n’appartient plus à l’individu comme tel : nous voulons parler de ce qu’on pourrait appeler l’état « causal », c’est-à-dire de celui qui correspond au kârana-sharîraकारण शरीर, et qui, par conséquent, est d’ordre universel et informel. Avec cet état « causal », d’ailleurs, si nous ne sommes plus dans le domaine de l’existence individuelle, nous sommes encore dans celui de l’Être ; il faut donc considérer en outre, au delà de l’Être, un quatrième état principiel, absolument inconditionné. Métaphysiquement, tous ces états, même ceux qui appartiennent proprement à l’individu, sont rapportés à Âtmâआत्मा, c’est-à-dire à la personnalité, parce que c’est celle-ci qui constitue seule la réalité profonde de l’être, et parce que tout état de cet être serait purement illusoire si l’on prétendait l’en séparer. Les états de l’être, quels qu’ils soient, ne représentent rien d’autre que des possibilités d’Âtmâआत्मा ; c’est pourquoi on peut parler des diverses conditions où se trouve l’être comme étant véritablement les conditions d’Âtmâआत्मा, quoiqu’il doive être bien entendu qu’Âtmâआत्मा, en soi, n’en est point affecté et ne cesse aucunement pour cela d’être inconditionné, de même qu’il ne devient jamais manifesté, tout en étant le principe essentiel et transcendant de la manifestation sous tous ses modes.

Laissant momentanément de côté le quatrième état, sur lequel nous reviendrons par la suite, nous dirons que les trois premiers sont : l’état de veille, qui correspond à la manifestation grossière ; l’état de rêve, qui correspond à la manifestation subtile ; le sommeil profond, qui est l’état « causal » et informel. À ces trois états, on en ajoute parfois un autre, celui de la mort, et même un autre encore, l’évanouissement extatique, considéré comme intermédiaire (sandhyâसंध्या)(1) entre le sommeil profond et la mort, de même que le rêve l’est entre la veille et le sommeil profond(2). Cependant, ces deux derniers états, en général, ne sont pas énumérés à part, car ils ne sont pas essentiellement distincts de celui du sommeil profond, état extra-individuel en réalité, comme nous l’avons expliqué tout à l’heure, et où l’être rentre également dans la non-manifestation, ou tout au moins dans l’informel, « l’âme vivante (jîvâtmâजीवात्मा) se retirant au sein de l’Esprit Universel (Âtmâआत्मा) par la voie qui conduit au centre même de l’être, là où est le séjour de Brahmaब्रह्म »(3).

Pour la description détaillée de ces états, nous n’avons qu’à nous reporter au texte de la Mândûkya Upanishad, dont nous avons déjà cité plus haut le début, à l’exception cependant d’une phrase, la première de toutes, qui est celle-ci : « Om, cette syllabe (aksharaअक्षार)(4) est tout ce qui est ; son explication suit. » Le monosyllabe sacré Om, dans lequel s’exprime l’essence du Vêdaवेद(5), est considéré ici comme le symbole idéographique d’Âtmâआत्मा ; et, de même que cette syllabe, composée de trois caractères (mâtrâsमात्रा, ces caractères étant a, u et mम्, dont les deux premiers se contractent en o)(6), a quatre éléments, dont le quatrième, qui n’est autre que le monosyllabe lui-même envisagé synthétiquement sous son aspect principiel, est « non-exprimé » par un caractère (amâtraअमात्र), étant antérieur à toute distinction dans l’« indissoluble » (aksharaअक्षार), de même Âtmâआत्मा a quatre conditions (pâdasपाद), dont la quatrième n’est en vérité aucune condition spéciale, mais est Âtmâआत्मा envisagé en Soi-même, d’une façon absolument transcendante et indépendamment de toute condition, et qui, comme tel, n’est susceptible d’aucune représentation. Nous allons maintenant exposer successivement ce qui est dit, dans le texte auquel nous nous référons, de chacune de ces quatre conditions d’Âtmâआत्मा, en partant du dernier degré de la manifestation et en remontant jusqu’à l’état suprême, total et inconditionné.