CHAPITRE VIII
L’erreur du « psychologisme »(*)

Nous avons eu bien souvent déjà à signaler les travestissements divers que, consciemment ou inconsciemment, les Occidentaux font subir aux doctrines orientales qu’ils prétendent étudier : inconsciemment, quand il ne s’agit que d’une incompréhension tout involontaire, due simplement à l’influence de certaines idées préconçues dont il leur est impossible de se débarrasser ; consciemment, au moins à quelque degré, quand il s’y ajoute la volonté, soit de déprécier ces doctrines, soit de les utiliser en vue d’une propagande quelconque. Dans ce dernier cas rentre notamment la tentative faite, depuis quelques années, pour transformer en « mysticisme » les doctrines dont il s’agit, et plus spécialement leurs aspects d’ordre ésotérique ou initiatique, bien que, naturellement, tous ceux qui acceptent cette interprétation ne se rendent pas compte des desseins auxquels elle répond en réalité. En ces tout derniers temps, nous avons remarqué la diffusion croissante d’une autre interprétation encore, qui, à vrai dire, nous semble plutôt rentrer dans la catégorie des déformations inconscientes, mais qui n’en est pas pour cela moins erronée ni peut-être moins dangereuse, et qui présente même des côtés singulièrement inquiétants : nous voulons parler de l’interprétation en termes « psychologiques », surtout quand elle est conçue suivant les théories des écoles les plus récentes, car alors il ne s’agit plus seulement d’une insuffisance manifeste, mais bien d’une véritable « subversion ».

Assurément, ce que nous pouvons appeler le « psychologisme », c’est-à-dire la tendance à tout ramener systématiquement à des explications d’ordre psychologique, n’est pas une chose toute nouvelle dans le monde occidental ; ce n’est, au fond, qu’un simple cas particulier de l’« humanisme », entendu, suivant le sens propre du mot, comme réduction de toutes choses à des éléments purement humains. Encore ce « psychologisme » implique-t-il une conception fort restreinte de l’individu humain lui-même et de ses possibilités, car la psychologie « classique » se borne à envisager quelques-unes des manifestations les plus extérieures et les plus superficielles du « mental », celles qui sont en rapport plus ou moins direct avec la modalité corporelle de l’individu. C’est là, disons-le en passant, la raison pour laquelle nous faisons toujours une différence entre les deux termes « psychologique » et « psychique », gardant à ce dernier son acception étymologique, incomparablement plus étendue, puisqu’elle peut comprendre tous les éléments subtils de l’individualité, alors qu’il n’y a qu’une portion véritablement infime de ceux-ci qui rentre dans le domaine « psychologique ». Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’étonner du caractère véritablement enfantin que revêtent le plus souvent les explications tirées de la psychologie et prétendant s’appliquer à des choses qui ne relèvent aucunement de sa compétence, comme la religion par exemple ; ce n’est d’ailleurs pas à dire qu’elles soient jamais entièrement inoffensives, car elles ont en tout cas leur place parmi les efforts faits par l’esprit antitraditionnel pour détruire la notion de toute réalité supra-humaine. Mais, aujourd’hui, il y a lieu d’envisager autre chose encore : la situation n’est plus simplement telle que nous venons de l’indiquer, mais s’est sensiblement aggravée par suite de l’invasion du « subconscient » dans la psychologie, qui, étendant son domaine en un certain sens, mais uniquement par le bas, risque de mêler à tout ce qu’elle touche les pires manifestations du psychisme le plus inférieur.

À ce propos, nous ferons une remarque d’une portée plus générale : des « traditionalistes » mal avisés se réjouissent inconsidérément de voir la science moderne, dans ses différentes branches, sortir des limites étroites où ses conceptions s’enfermaient jusqu’ici, et prendre une attitude moins grossièrement « matérialiste » que celle qu’elle avait au siècle dernier ; ils s’imaginent même volontiers que, d’une certaine façon, la science profane finira ainsi par rejoindre la science traditionnelle, ce qui, pour des raisons de principe, est chose tout à fait impossible. Ce dont ils ne s’aperçoivent pas, c’est qu’il s’agit en réalité d’une nouvelle étape dans le développement, parfaitement logique, du plan suivant lequel s’accomplit la déviation progressive du monde moderne ; le matérialisme y a joué son rôle, mais maintenant la négation pure et simple qu’il représente est devenue insuffisante ; elle a servi efficacement à interdire à l’homme l’accès des possibilités d’ordre supérieur, mais elle ne saurait déchaîner les forces inférieures qui seules peuvent mener à son dernier point l’œuvre de désordre et de dissolution. L’attitude matérialiste, par sa limitation même, ne présente encore qu’un danger également limité ; son « épaisseur », si l’on peut dire, met celui qui s’y tient à l’abri de certaines influences subtiles, et lui donne à cet égard une sorte d’immunité assez comparable à celle du mollusque qui demeure strictement enfermé dans sa coquille ; mais, si l’on fait à cette coquille, qui représente ici l’ensemble des conceptions scientifiques conventionnellement admises, une ouverture par le bas, comme nous le disions tout à l’heure à propos des tendances nouvelles de la psychologie, ces influences destructives y pénétreront aussitôt, et d’autant plus facilement que, par suite du travail négatif accompli dans la phase précédente, aucun élément d’ordre supérieur ne pourra intervenir pour s’opposer à leur action. On pourrait dire encore que la période du matérialisme ne constitue qu’une sorte de préparation théorique, tandis que celle du psychisme inférieur qui lui succède comporte une « pseudo-réalisation », dirigée au rebours d’une véritable réalisation spirituelle, et imitant par là, dans la mesure où le permet la condition du monde profane comme tel, la réalisation proprement « infernale » qui est celle de la « contre-initiation », donc étant pour celle-ci à peu près ce qu’est la partie exotérique d’une tradition par rapport à sa partie ésotérique. On pourrait aussi conclure de là, entre autres choses, que la « contre-initiation », après avoir préparé le monde en lui inculquant par suggestion toutes les idées fausses ou illusoires qui forment la mentalité spécifiquement moderne, estime le moment venu de l’appeler à une « participation » plus directe, sinon plus consciente, et de constituer ainsi une « contre-tradition » complète, pour laquelle elle serait elle-même ce qu’est l’initiation pour toute tradition véritable, à cela près, bien entendu, que la spiritualité fait ici totalement défaut ; et l’on peut bien dire que, en cela encore, le diable apparaît vraiment comme le « singe de Dieu ».

Il va de soi, d’ailleurs, que les deux phases dont nous venons de parler ne sont pas toujours rigoureusement séparées en fait, et qu’on peut actuellement constater leur coexistence dans bien des cas ; il serait en effet fort exagéré de prétendre que la science matérialiste a entièrement disparu, et, à tout le moins, elle pourra sans doute se survivre longtemps encore dans les manuels d’enseignement et dans les ouvrages de vulgarisation. Il en est ainsi notamment dans le cas de la psychologie, dont ces considérations nous ont beaucoup moins éloigné qu’on ne pourrait le croire, car c’est là qu’elles trouvent précisément une de leurs applications les plus nettes et les plus frappantes ; une certaine « psychologie de laboratoire », aboutissement du processus de limitation et de matérialisation dans lequel la psychologie « philosophico-littéraire » de l’enseignement universitaire ne représentait qu’un stade moins avancé, et qui n’est plus réellement qu’une sorte de branche accessoire de la physiologie, coexiste encore avec les théories et les méthodes nouvelles, dont les plus « représentatives », au point de vue où nous nous plaçons, sont celles qu’on connaît sous la désignation générale de « psychanalyse » ; et nous ajouterons même qu’un « psychanalyste » peut fort bien encore être matérialiste, par l’effet de son éducation antérieure et par l’ignorance où il est de la véritable nature des éléments qu’il étudie ou qu’il met en jeu ; un des caractères les plus singuliers de la science moderne n’est-il pas de ne jamais savoir exactement à quoi elle a affaire en réalité ?

Il y a certainement bien plus qu’une simple question de vocabulaire dans le fait, très significatif en lui-même, que la psychologie actuelle n’envisage jamais que le « subconscient », et non le « superconscient » qui devrait logiquement en être le corrélatif ; c’est bien là, à n’en pas douter, et même si ceux qui emploient une telle terminologie ne s’en rendent pas compte, l’expression d’une extension qui s’opère uniquement vers le bas. Certains adoptent même, comme synonyme ou équivalent de « subconscient », le terme d’« inconscient », qui, pris à la lettre, semblerait se référer à un niveau encore inférieur, mais qui, à vrai dire, correspond moins exactement à la réalité ; si ce dont il s’agit était vraiment inconscient, nous ne voyons même pas bien comment il serait possible d’en parler, et surtout en termes psychologiques. Quoi qu’il en soit, ce qui est encore digne de remarque, c’est l’étrange illusion en vertu de laquelle les psychologues en arrivent à considérer des états comme d’autant plus « profonds » qu’ils sont tout simplement plus inférieurs ; n-y a-t-il pas déjà là comme un indice de la tendance à aller à l’encontre de la spiritualité, qui seule peut être dite véritablement profonde, puisque seule elle touche au principe et au centre même de l’être ?

Remarquons aussi que, par l’appel au « subconscient », la psychologie tend de plus en plus à rejoindre la « métapsychique », en laquelle, par une coïncidence au moins bizarre, certains « traditionalistes » mettent aujourd’hui des espoirs aussi injustifiés que ceux que leur inspire la nouvelle orientation de la science ordinaire ; et, dans la même mesure, elle se rapproche inévitablement du spiritisme et des autres choses plus ou moins similaires, qui toutes s’appuient, en définitive, sur les mêmes éléments obscurs du psychisme inférieur. Si ces choses, dont l’origine et le caractère sont plus que suspects, font ainsi figure de mouvements « précurseurs » de la psychologie récente, et si celle-ci en arrive, fût-ce par un chemin détourné, à introduire les éléments en question dans le domaine courant de ce qui est admis comme science « officielle », il est bien difficile de penser que le vrai rôle de cette psychologie, dans l’état présent du monde, puisse être autre que celui que nous indiquions précédemment.

Le domaine de la psychologie ne s’étant point étendu vers le haut, le « superconscient », comme nous le disions tout à l’heure, lui demeure tout aussi complètement étranger et fermé que jamais ; et, lorsqu’il lui arrive de rencontrer quelque chose qui s’y rapporte, au lieu de reconnaître son ignorance à cet égard, elle prétend l’annexer purement et simplement en l’assimilant au « subconscient ». Nous retrouvons ici cette confusion du psychique et du spirituel sur laquelle nous avons déjà attiré l’attention, aggravée encore du fait, que c’est avec ce qu’il y a de plus bas dans le domaine psychique, qu’elle se produit ; c’est en cela que réside la « subversion » à laquelle nous faisions allusion au début, et c’est ce qui a lieu notamment, ainsi que nous l’expliquerons encore plus complètement par la suite, dans le cas de l’interprétation psychologique des doctrines orientales.

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Nous avons fait remarquer, en de précédentes occasions, que les déformations les plus grossières, parmi celles qui ont cours en Occident, par exemple celle qui veut voir dans les méthodes du Yoga une sorte de « culture physique » ou de thérapeutique d’ordre simplement physiologique, sont, par leur grossièreté même, moins dangereuses que celles qui se présentent sous des aspects plus subtils. La raison n’en est pas seulement que ces dernières risquent de séduire des esprits sur lesquels les autres ne sauraient avoir aucune prise ; cette raison existe assurément, mais il y en a une autre, d’une portée beaucoup plus générale, qui est celle même pour laquelle les conceptions matérialistes, comme nous l’avons expliqué, sont moins dangereuses que celles qui font appel au psychisme inférieur. Or il n’est pas contestable que, dans les déformations où intervient le plus bas psychisme, il faut ranger celles qui prétendent établir une comparaison et même une assimilation plus ou moins complète entre les mêmes méthodes du Yoga et les plus récentes techniques de la psychologie occidentale, nous voulons dire celles qui relèvent des diverses variétés de la « psychanalyse ».

Bien entendu, le but purement spirituel, qui seul constitue essentiellement le Yoga comme tel, et sans lequel l’emploi même de ce mot n’est plus qu’une véritable dérision, n’est pas moins totalement méconnu dans ce dernier cas que dans celui où il ne s’agit que de « culture physique » : le Yoga n’est pas plus une thérapeutique psychique qu’il n’est une thérapeutique corporelle ; ses procédés ne sont en aucune façon ni à aucun degré un traitement pour des déséquilibres quelconques ; bien loin de là, ils s’adressent au contraire exclusivement à des êtres qui, pour pouvoir réaliser le développement spirituel qui en est l’unique raison d’être, doivent être déjà, du fait de leurs seules dispositions naturelles, aussi parfaitement équilibrés que possible ; il y a là des conditions qui, comme on le comprendra sans peine, rentrent strictement dans la question des qualifications initiatiques. Il est à peine besoin d’ajouter qu’il ne s’agit pas davantage d’exercices « pédagogiques » : l’éducation profane n’a certes rien à voir avec l’initiation, ni avec la spiritualité qu’elle tendrait bien plutôt à étouffer ; et nous remarquerons seulement encore, à ce propos, l’étonnant contresens qui consiste à prendre pour une « science de la vie » ce qui n’est précisément destiné qu’à permettre à l’être de dépasser la vie, aussi bien que toutes les autres limitations de l’existence conditionnée. Ces considérations suffisent amplement à montrer tout ce qu’il y a d’erroné dans la prétention du « psychologisme » à s’annexer certaines doctrines orientales et leurs méthodes propres de « réalisation » ; mais ce n’est encore que ce que nous pourrions appeler son côté enfantin, d’une naïveté qui va parfois jusqu’à la niaiserie, mais incomparablement moins grave que le côté véritablement « satanique » sur lequel nous allons avoir à revenir maintenant d’une façon plus précise.

Ce caractère « satanique » apparaît avec une netteté toute particulière dans les interprétations psychanalytiques du symbolisme ou de ce qui est donné comme tel à tort ou à raison ; nous faisons cette restriction parce que, sur ce point comme sur tant d’autres, il y aurait, si l’on voulait entrer dans le détail, bien des distinctions à faire et bien des confusions à dissiper : ainsi, pour prendre seulement un exemple typique, un songe dans lequel s’exprime quelque inspiration « supra-humaine » est véritablement symbolique, tandis qu’un rêve ordinaire ne l’est nullement, quelles que puissent être les apparences extérieures. Il va de soi que les psychologues des écoles antérieures avaient déjà tenté bien souvent, eux aussi, d’expliquer le symbolisme à leur façon et de le ramener à la mesure de leurs propres conceptions ; en pareil cas, si c’est vraiment de symbolisme qu’il s’agit, ces explications par des éléments purement humains méconnaissent tout ce qui en constitue tout l’essentiel ; si au contraire il ne s’agit réellement que de choses humaines, ce n’est plus qu’un faux symbolisme, mais le fait même de le désigner de ce nom implique encore la même erreur sur la nature du véritable symbolisme. Ceci s’applique également aux considérations auxquelles se livrent les psychanalystes, mais avec cette différence qu’alors ce n’est plus d’humain qu’il faut parler seulement, mais aussi, pour une très large part, d’« infra-humain » ; on a donc affaire cette fois, non plus à un simple rabaissement, mais à une subversion totale ; et toute subversion, même si elle n’est due, immédiatement du moins, qu’à l’incompréhension et à l’ignorance, est toujours, en elle-même, proprement « satanique ». D’ailleurs, le caractère généralement ignoble et répugnant des interprétations psychanalytiques constitue, à cet égard, une « marque » qui ne saurait tromper ; et ce qui est encore particulièrement significatif au point de vue où nous nous plaçons, c’est que, comme nous l’avons montré dans un de nos ouvrages, cette même « marque » se retrouve précisément aussi dans certaines manifestations spirites ; il faudrait assurément beaucoup de bonne volonté pour ne voir là rien de plus qu’une simple « coïncidence ». Les psychanalystes peuvent naturellement, dans la plupart des cas, être tout aussi inconscients que les spirites de ce qu’il y a réellement sous tout cela ; mais les uns et les autres apparaissent comme également « menés » par une volonté subversive utilisant dans les deux cas des éléments du même ordre, sinon exactement identiques, volonté qui, quels que soient les êtres dans lesquels elle est incarnée, est certainement bien consciente chez ceux-ci tout au moins, et répond à des intentions sans doute fort différentes de tout ce que peuvent imaginer ceux qui ne sont que les instruments inconscients par lesquels s’exerce leur action.

Dans ces conditions, il est trop évident que l’usage principal de la psychanalyse, qui est son application thérapeutique, ne peut être qu’extrêmement dangereux pour ceux qui s’y soumettent, et même pour ceux qui l’exercent, car ces choses sont de celles qu’on ne manie jamais impunément ; il ne serait pas exagéré d’y voir un des moyens mis en œuvre pour accroître le plus possible le déséquilibre du monde moderne, et dont un autre exemple nous est fourni par l’usage similaire de la « radiesthésie », car, là encore, ce sont des éléments psychiques de même qualité qui entrent en jeu. Ceux qui pratiquent ces méthodes sont, nous n’en doutons pas, bien persuadés au contraire de la bienfaisance de leurs résultats ; mais c’est justement grâce à cette illusion que leur diffusion est rendue possible, et c’est là qu’on peut voir toute la différence qui existe entre les intentions de ces « pratiquants » et la volonté qui préside à l’œuvre dont ils ne sont que des collaborateurs aveugles. En réalité, la psychanalyse ne peut avoir pour effet que d’amener à la surface, en le rendant clairement conscient, tout le contenu de ces « bas-fonds » de l’être qui forment ce qu’on appelle le « subconscient » ; cet être, d’ailleurs, est déjà psychiquement faible par hypothèse, puisque, s’il en était autrement, il n’éprouverait aucunement le besoin de recourir à un traitement de cette sorte ; il est donc d’autant moins capable de résister à cette « submersion », et il risque fort de sombrer irrémédiablement dans ce chaos de forces ténébreuses imprudemment déchaînées ; si cependant il parvient malgré tout à y échapper, il en gardera du moins, pendant toute sa vie, une empreinte qui sera en lui comme une « souillure » ineffaçable.

Nous savons bien ce que certains pourront objecter ici en invoquant une similitude avec la « descente aux Enfers », telle qu’elle se rencontre dans les phases préliminaires du processus initiatique ; mais une telle assimilation est complètement fausse, car le but n’a rien de commun, non plus d’ailleurs que les conditions du « sujet » dans les deux cas ; on pourrait seulement parler d’une sorte de parodie profane, et cela même donne à ce dont il s’agit un caractère de « contrefaçon » assez inquiétant. La vérité est que cette prétendue « descente aux Enfers », qui n’est suivie d’aucune « remontée », est tout simplement une « chute dans le bourbier », suivant le symbolisme usité dans certains mystères antiques ; on sait que ce « bourbier » avait notamment sa figuration sur la route qui menait à Éleusis, et que ceux qui y tombaient étaient des profanes qui prétendaient à l’initiation sans être qualifiés pour la recevoir, et qui n’étaient donc victimes que de leur propre imprudence. Nous ajouterons seulement qu’il existe effectivement de tels « bourbiers » dans l’ordre macrocosmique aussi bien que dans l’ordre microcosmique ; ceci se rattache directement à la question des « ténèbres extérieures », à laquelle nous avons fait allusion récemment ; et l’on pourrait rappeler, à cet égard, certains textes évangéliques dont le sens concorde exactement avec ce que nous venons d’indiquer. Dans la « descente aux Enfers », l’être épuise définitivement certaines possibilités inférieures pour pouvoir s’élever ensuite aux états supérieurs ; dans la « chute dans le bourbier », les possibilités inférieures s’emparent au contraire de lui, le dominent et finissent par le submerger entièrement.

Nous venons de parler de « contrefaçon » ; cette impression est renforcée par d’autres constatations, comme celle de la dénaturation du symbolisme que nous avons signalée plus haut, dénaturation qui tend d’ailleurs à s’étendre à tout ce qui comporte essentiellement des éléments « supra-humains », ainsi que le montre l’attitude prise à l’égard des doctrines d’ordre métaphysique et initiatique telles que le Yoga, attitude qui nous a précisément amené à développer les présentes considérations. Ce n’est pas tout, et il y a même autre chose qui, sous ce rapport, est peut-être encore plus digne de remarque : c’est la nécessité imposée, à quiconque veut pratiquer professionnellement la psychanalyse, d’être préalablement « psychanalysé » lui-même. Cela implique avant tout la reconnaissance du fait que l’être qui a subi cette opération n’est plus jamais tel qu’il était auparavant, ou que, comme nous le disions tout à l’heure, elle lui laisse une empreinte ineffaçable, comme l’initiation, mais en quelque sorte en sens inverse, puisque, au lieu d’un développement spirituel, c’est d’un développement du psychisme inférieur qu’il s’agit ici. D’autre part, il y a là une imitation manifeste de la transmission initiatique ; mais, étant donnée la différence de nature des influences qui interviennent, et comme il y a cependant un résultat effectif qui ne permet pas de considérer la chose comme se réduisant à un simple simulacre sans aucune portée, cette transmission serait bien plutôt comparable, en réalité, à celle qui se pratique dans un domaine comme celui de la magie, pour ne pas dire plus précisément de la sorcellerie. Il y a d’ailleurs un point fort obscur, en ce qui concerne l’origine même de cette transmission : l’invention de la psychanalyse est chose toute récente ; d’où les premiers psychanalystes tiennent-ils les « pouvoirs » qu’ils communiquent à leurs disciples, et par qui eux-mêmes ont-ils bien pu être « psychanalysés » tout d’abord ? Cette question, qu’il n’est cependant que logique de poser, est probablement fort indiscrète, et il est plus que douteux qu’il y soit jamais donné une réponse satisfaisante ; mais il n’en est pas besoin pour reconnaître, dans une telle transmission psychique, une autre « marque », véritablement sinistre par les rapprochements auxquels elle donne lieu : la psychanalyse présente, par ce côté, une ressemblance plutôt terrifiante avec certains « sacrements du diable » !