CHAPITRE VI
La sortie de la caverne(*)

La sortie finale de la caverne initiatique, considérée comme représentant la « sortie du cosmos », semble, d’après ce que nous avons dit précédemment(**), devoir s’effectuer normalement par une ouverture située dans la voûte, et à son zénith même ; nous rappelons que cette porte supérieure, qui est parfois désignée traditionnellement comme le « moyeu solaire » et aussi comme l’« œil cosmique », correspond, dans l’être humain, au Brahma-randhra et à la couronne de la tête. Cependant, malgré les références au symbolisme solaire qui se rencontrent en pareil cas, on pourrait dire que cette position « axiale » et « zénithale » se rapporte plus directement, et sans doute aussi plus primitivement, à un symbolisme polaire : ce point est celui où, suivant certains rituels « opératifs », est suspendu le « fil à plomb du Grand Architecte », qui marque la direction de l’« Axe du Monde », et il est alors identifié à l’étoile polaire elle-même(1). Il y a lieu de remarquer aussi que, pour que la sortie puisse s’effectuer ainsi, il faut qu’une pierre de la voûte soit enlevée en cet endroit même ; et cette pierre, par là même qu’elle occupe le sommet, a dans la structure architecturale un caractère spécial et même unique, car elle est naturellement une « clef de voûte » ; cette observation n’est pas sans importance, bien que ce ne soit pas ici le lieu d’y insister davantage(2).

En fait, il paraît assez rare que ce que nous venons de dire soit observé littéralement dans les rituels initiatiques, bien qu’on puisse cependant en trouver quelques exemples(3) ; cette rareté peut d’ailleurs s’expliquer, au moins en partie, par certaines difficultés d’ordre pratique, et aussi par le besoin d’éviter une confusion qui risque de se produire en pareil cas(4). En effet, si la caverne n’a pas d’autre issue que celle-là, elle devra servir à l’entrée comme à la sortie, ce qui n’est pas conforme à son symbolisme ; logiquement, l’entrée devrait plutôt se trouver en un point opposé à celui-là suivant l’axe, c’est-à-dire dans le sol, au centre même de la caverne, où l’on parviendrait par une voie souterraine. Seulement, d’un autre côté, un tel mode d’entrée ne conviendrait pas pour les « grands mystères », car il ne correspond proprement qu’au stade initial, qui alors est franchi depuis longtemps déjà ; il faudrait donc plutôt supposer que le récipiendaire, entré par cette voie souterraine pour recevoir l’initiation aux « petits mystères », demeure ensuite dans la caverne jusqu’au moment de sa « troisième naissance » où il en sort définitivement par l’ouverture supérieure ; cela est admissible théoriquement, mais n’est évidemment pas susceptible d’être mis en pratique d’une façon effective(5).

Il existe en réalité une autre solution, qui implique des considérations où le symbolisme solaire prend cette fois la place prépondérante, bien que les traces du symbolisme polaire y restent encore assez nettement apparentes ; il y a là, en somme, une sorte de combinaison et presque de fusion entre ces deux modalités, ainsi que nous l’indiquions à la fin de notre précédent article. Ce qu’il importe essentiellement de remarquer à cet égard est ceci : l’axe vertical, en tant que joignant les deux pôles, est évidemment un axe Nord-Sud ; dans le passage du symbolisme polaire au symbolisme solaire, cet axe devra être en quelque sorte projeté sur le plan zodiacal, mais de façon à conserver une certaine correspondance, on pourrait même dire une équivalence aussi exacte qu’il est possible, avec l’axe polaire primitif(6). Or, dans le cycle annuel, les solstices d’hiver et d’été sont les deux points qui correspondent respectivement au Nord et au Sud dans l’ordre spatial, de même que les équinoxes de printemps et d’automne correspondent à l’Orient et à l’Occident ; l’axe qui remplira la condition voulue est donc celui qui joint les deux points solsticiaux ; et l’on peut dire que cet axe solsticial jouera alors le rôle d’un axe relativement vertical, ce qu’il est en effet par rapport à l’axe équinoxial(7). Les solstices sont véritablement ce qu’on peut appeler les pôles de l’année ; et ces pôles du monde temporel, s’il est permis de s’exprimer ainsi, se substituent ici, en vertu d’une correspondance réelle et nullement arbitraire, aux pôles du monde spatial ; ils sont d’ailleurs naturellement en relation directe avec la marche du soleil, dont les pôles au sens propre et ordinaire de ce mot sont, au contraire, entièrement indépendants ; et ainsi se trouvent reliées l’une à l’autre, aussi clairement que possible, les deux modalités symboliques dont nous avons parlé.

Cela étant, la caverne « cosmique » pourra avoir deux portes « zodiacales », opposées suivant l’axe que nous venons d’envisager, donc correspondant respectivement aux deux points solsticiaux, et dont l’une servira d’entrée et l’autre de sortie ; effectivement, la notion de ces deux « portes solsticiales » se trouve de façon explicite dans la plupart des traditions, et il y est même généralement attaché une importance symbolique considérable. La porte d’entrée est parfois désignée comme la « porte des hommes », ceux-ci pouvant dans ce cas être des initiés aux « petits mystères » tout aussi bien que de simples profanes, puisqu’ils n’ont pas encore dépassé l’état humain ; et la porte de sortie est alors désignée, par opposition, comme la « porte des dieux », c’est-à-dire celle par laquelle passent seulement les êtres qui ont accès aux états supra-individuels. Il ne reste plus qu’à déterminer auquel des deux solstices correspond chacune de ces deux portes ; mais cette question, pour recevoir les développements qu’elle comporte, mérite encore d’être traitée à part, et nous l’examinerons plus spécialement dans un prochain article(***).