CHAPITRE VII
Les portes solsticiales(*)

Nous avons dit, dans notre dernier article(**), que les deux portes zodiacales, qui sont respectivement l’entrée et la sortie de la « caverne cosmique », et que certaines traditions désignent comme la « porte des hommes » et la « porte des dieux », doivent correspondre aux deux solstices ; il nous faut maintenant préciser que la première correspond au solstice d’été, c’est-à-dire au signe du Cancer, et la seconde au solstice d’hiver, c’est-à-dire au signe du Capricorne. Pour en comprendre la raison, il faut se référer à la division du cycle annuel en deux moitiés, l’une « ascendante » et l’autre « descendante » : la première est la période de la marche du Soleil vers le Nord (uttarâyana), allant du solstice d’hiver au solstice d’été ; la seconde est celle de la marche du Soleil vers le Sud (dakshinâyana), allant du solstice d’été au solstice d’hiver(1). Dans la tradition hindoue, la phase « ascendante » est mise en rapport avec le dêva-yâna, et la phase « descendante » avec le pitri-yâna(2), ce qui coïncide exactement avec les désignations des deux portes que nous venons de rappeler : la « porte des hommes » est celle qui donne accès au pitri-yâna, et la « porte des dieux » est celle qui donne accès au dêva-yâna ; elles doivent donc se situer respectivement au début des deux phases correspondantes, c’est-à-dire que la première doit bien être au solstice d’été et la seconde au solstice d’hiver. Seulement, dans ce cas, il s’agit proprement, non d’une entrée et d’une sortie, mais de deux sorties différentes : cela tient à ce que le point de vue est autre que celui qui se rapporte d’une façon spéciale au rôle initiatique de la caverne, tout en se conciliant d’ailleurs parfaitement avec celui-ci. En effet, la « caverne cosmique » est ici considérée comme le lieu de manifestation de l’être : après s’y être manifesté dans un certain état, tel que l’état humain par exemple, cet être, suivant le degré spirituel auquel il sera parvenu, en sortira par l’une ou l’autre des deux portes ; dans un cas, celui du pitri-yâna, il devra revenir à un autre état de manifestation, ce qui sera représenté naturellement par une rentrée dans la « caverne cosmique » ainsi envisagée ; au contraire, dans l’autre cas, celui du dêva-yâna, il n’y a plus de retour au monde manifesté. Ainsi, l’une des deux portes est à la fois une entrée et une sortie, tandis que l’autre est une sortie définitive ; mais, en ce qui concerne l’initiation, c’est précisément cette sortie définitive qui est le but final, de sorte que l’être, qui est entré par la « porte des hommes », doit, s’il a effectivement atteint ce but, sortir par la « porte des dieux »(3).

Nous avons expliqué précédemment que l’axe solsticial du Zodiaque, relativement vertical par rapport à l’axe équinoxial, doit être regardé comme la projection, dans le cycle solaire annuel, de l’axe polaire Nord-Sud ; suivant la correspondance du symbolisme temporel avec le symbolisme spatial des points cardinaux, le solstice d’hiver est en quelque sorte le pôle Nord de l’année, et le solstice d’été son pôle Sud, tandis que les deux équinoxes de printemps et d’automne correspondent de même respectivement à l’Est et à l’Ouest(4). Cependant, dans le symbolisme vêdique, la porte du dêva-loka est située au Nord-Est, et celle du pitri-loka au Sud-Ouest ; mais ceci doit être considéré seulement comme une indication plus explicite du sens suivant lequel s’effectue la marche du cycle annuel. En effet, conformément à la correspondance que nous venons de mentionner, la période « ascendante » se déroule en allant du Nord à l’Est, puis de l’Est au Sud ; de même, la période « descendante » se déroule en allant du Sud à l’Ouest, puis de l’Ouest au Nord(5) ; on pourrait donc dire, avec plus de précision encore, que la « porte des dieux » est située au Nord et tournée vers l’Est, qui est toujours regardé comme le côté de la lumière et de la vie, et que la « porte des hommes » est située au Sud et tournée vers l’Ouest, qui est pareillement regardé comme le côté de l’ombre et de la mort ; et ainsi sont exactement déterminées « les deux voies permanentes, l’une claire, l’autre obscure, du monde manifesté ; par l’une il n’est pas de retour (du non-manifesté au manifesté) ; par l’autre on revient en arrière (dans la manifestation) »(6).

Il reste pourtant encore à résoudre une apparence de contradiction, qui est celle-ci : le Nord est désigné comme le point le plus haut (uttara), et c’est d’ailleurs vers ce point qu’est dirigée la marche ascendante du Soleil, tandis que sa marche descendante est dirigée vers le Sud, qui apparaît ainsi comme le point le plus bas ; mais, d’autre part, le solstice d’hiver, qui correspond au Nord dans l’année, marquant le début du mouvement ascendant, est en un certain sens le point le plus bas, et le solstice d’été, qui correspond au Sud, et où se termine ce mouvement ascendant, est sous le même rapport le point le plus haut, à partir duquel commencera ensuite le mouvement descendant, qui s’achèvera au solstice d’hiver. La solution de cette difficulté réside dans la distinction qu’il y a lieu de faire entre l’ordre « céleste », auquel appartient la marche du Soleil, et l’ordre « terrestre », auquel appartient au contraire la succession des saisons ; selon la loi générale de l’analogie, ces deux ordres doivent, dans leur corrélation même, être inverses l’un de l’autre, de telle sorte que ce qui est le plus haut suivant l’un devient le plus bas suivant l’autre, et réciproquement ; et c’est ainsi que, selon la parole hermétique de la Table d’Émeraude, « ce qui est en haut (dans l’ordre céleste) est comme ce qui est en bas (dans l’ordre terrestre) », ou encore que, selon la parole évangélique, « les premiers (dans l’ordre principiel) sont les derniers (dans l’ordre manifesté) »(7). Il n’en est d’ailleurs pas moins vrai que, en ce qui concerne les « influences » attachées à ces points, c’est toujours le Nord qui demeure « bénéfique », qu’on le considère comme le point vers lequel se dirige la marche ascendante du Soleil dans le ciel, ou, par rapport au monde terrestre, comme l’entrée du dêva-loka ; et, de même, le Sud demeure toujours « maléfique », qu’on le considère comme le point vers lequel se dirige la marche descendante du Soleil dans le ciel, ou, par rapport au monde terrestre, comme l’entrée du pitri-loka(8). Il faut ajouter que le monde terrestre peut être regardé comme représentant ici, par transposition, tout l’ensemble du « cosmos » et qu’alors le ciel représentera, suivant la même transposition, le domaine « extra-cosmique » ; à ce point de vue, c’est à l’ordre « spirituel », entendu dans son acception la plus élevée, que devra s’appliquer la considération du « sens inverse » par rapport, non seulement à l’ordre sensible, mais à l’ordre cosmique tout entier(9).