CHAPITRE XXXII
Les sept rayons et l’arc-en-ciel(*)

Nous avons déjà parlé ici(**) du symbolisme des « sept rayons » du Soleil ; on pourrait se demander si ces « sept rayons » n’ont pas quelque rapport avec ce que l’on désigne ordinairement comme les « sept couleurs de l’arc-en-ciel », car celles-ci représentent littéralement les différentes radiations dont se compose la lumière solaire. Il y a bien un rapport en effet, mais, en même temps, ces soi-disant « sept couleurs » sont un exemple typique de la façon dont une donnée traditionnelle authentique peut être parfois déformée par l’incompréhension commune. Cette déformation, dans un cas comme celui-là, est d’ailleurs assez facilement explicable : on sait qu’il doit y avoir là un septénaire, mais, un de ses termes ne pouvant être trouvé, on lui en substitue un autre qui n’a en réalité aucune raison d’être ; le septénaire semble être ainsi reconstitué, mais il l’est de telle sorte que son symbolisme est entièrement faussé. Si maintenant l’on demande pourquoi un des termes du véritable septénaire échappe ainsi au vulgaire, la réponse est facile aussi : c’est que ce terme est celui qui correspond au « septième rayon », c’est-à-dire au rayon « central » ou « axial », qui passe « à travers le Soleil », et que celui-ci, n’étant pas un rayon comme les autres, n’est pas susceptible d’être représenté comme eux(1) ; il a donc par là même, et aussi en raison de tout l’ensemble de ses connexions symboliques et proprement initiatiques, un caractère particulièrement mystérieux ; et, à ce point de vue, on pourrait dire que la substitution dont il s’agit a pour effet de dissimuler le mystère aux yeux des profanes ; peu importe d’ailleurs en cela que son origine ait été intentionnelle ou qu’elle n’ait été due qu’à une méprise involontaire, ce qui serait sans doute assez difficile à déterminer exactement(2).

En fait, l’arc-en-ciel n’a pas sept couleurs, mais six seulement ; et il n’est pas nécessaire de réfléchir bien longuement pour s’en rendre compte, car il suffit pour cela de faire appel aux notions les plus élémentaires de la physique : il y a trois couleurs fondamentales, le bleu, le jaune, et le rouge, et il y a les trois couleurs complémentaires de celles-là, c’est-à-dire respectivement l’orangé, le violet et le vert, soit en tout six couleurs. Il y a aussi, naturellement, une indéfinité de nuances intermédiaires entre ces couleurs, la transition de l’une à l’autre s’opérant en réalité d’une façon continue et insensible ; mais il n’y a évidemment aucune raison valable d’ajouter l’une quelconque de ces nuances à la liste des couleurs, ou alors on pourrait tout aussi bien en considérer ainsi une multitude, et, dans ces conditions, la limitation même du nombre des couleurs à sept devient au fond incompréhensible ; nous ne savons si quelques adversaires du symbolisme ont jamais fait cette remarque, mais, en ce cas, il serait bien étonnant qu’ils n’en aient pas profité pour qualifier ce nombre d’« arbitraire ». L’indigo, qu’on a coutume d’énumérer parmi les couleurs de l’arc-en-ciel, n’est en réalité rien de plus qu’une simple nuance intermédiaire entre le violet et le bleu(3), et il n’y a pas plus de raison pour le regarder comme une couleur distincte qu’il n’y en aurait pour envisager de même toute autre nuance telle que, par exemple, un bleu vert ou un vert jaune ; en outre, l’introduction de cette nuance dans l’énumération des couleurs détruit complètement l’harmonie de la répartition de celles-ci, qui, si l’on s’en rapporte au contraire à la notion correcte, s’effectue régulièrement suivant un schéma géométrique très simple, et en même temps très significatif au point de vue symbolique. En effet, on peut placer les trois couleurs fondamentales aux trois sommets d’un triangle, et les trois couleurs complémentaires à ceux d’un second triangle inverse du premier, de telle façon que chaque couleur fondamentale et sa complémentaire se trouvent placées en des points diamétralement opposés ; et l’on voit que la figure ainsi formée n’est autre que celle du « sceau de Salomon ». Si l’on trace le cercle dans lequel est inscrit le double triangle, chacune des couleurs complémentaires y occupera le point situé au milieu de l’arc compris entre ceux où sont placées les deux couleurs fondamentales par la combinaison desquelles elle est produite (celles-ci étant, bien entendu, les deux couleurs fondamentales autres que celle dont la couleur considérée est la complémentaire) ; les nuances intermédiaires correspondront naturellement à tous les autres points de la circonférence(4), mais, dans le double triangle qui est ici l’essentiel, il n’y a évidemment place que pour six couleurs(5). Ces considérations pourraient même paraître trop simples pour qu’il soit utile de tant y insister ; mais, à vrai dire, il faut bien souvent rappeler des choses de ce genre pour rectifier les idées communément admises, car ce qui devrait être le plus immédiatement apparent est précisément ce que la plupart des gens ne savent pas voir ; le « bon sens » véritable est bien différent du « sens commun » avec lequel on a la fâcheuse habitude de le confondre, et il est assurément fort loin d’être, comme l’a prétendu Descartes, « la chose du monde la mieux partagée » !

Pour résoudre la question du septième terme qui doit réellement s’ajouter aux six couleurs pour compléter le septénaire, il faut nous reporter à la représentation géométrique des « sept rayons », telle que nous l’avons expliquée en une autre occasion, par les six directions de l’espace, formant la croix à trois dimensions, et le centre lui-même d’où ces directions sont issues. Il importe de noter tout d’abord les étroites similitudes de cette représentation avec celle dont nous venons de parler en ce qui concerne les couleurs : comme celles-ci, les six directions y sont opposées deux à deux, suivant trois lignes droites qui, s’étendant de part et d’autre du centre, correspondent aux trois dimensions de l’espace ; et, si l’on veut en donner une représentation plane, on ne peut évidemment les figurer que par trois diamètres formant la roue à six rayons (schéma général du « Chrisme » et des divers autres symboles équivalents) ; or, ces diamètres sont ceux qui joignent les sommets opposés des deux triangles du « sceau de Salomon », de sorte que les deux représentations n’en font qu’une en réalité(6). Il résulte de là que le septième terme devra, par rapport aux six couleurs, jouer le même rôle que le centre par rapport aux six directions ; et, en fait, il se placera aussi au centre du schéma, c’est-à-dire au point où les oppositions apparentes, qui ne sont réellement que des complémentarismes, se résolvent dans l’unité. Cela revient à dire que ce septième terme n’est pas plus une couleur que le centre n’est une direction, mais que, comme le centre est le principe dont procède tout l’espace avec ses six directions, il doit aussi être le principe dont les six couleurs sont dérivées et dans lequel elles sont contenues synthétiquement. Ce ne peut donc être que le blanc, qui est effectivement « incolore », comme le point est « sans dimensions » ; il n’apparaît pas dans l’arc-en-ciel, pas plus que le « septième rayon » n’apparaît dans une représentation géométrique ; mais toutes les couleurs ne sont que le produit d’une différenciation de la lumière blanche, de même que les directions de l’espace ne sont que le développement des possibilités contenues dans le point primordial.

Le véritable septénaire est donc formé ici par la lumière blanche et les six couleurs en lesquelles elle se différencie ; et il va de soi que le septième terme est en réalité le premier puisqu’il est le principe de tous les autres, qui sans lui ne pourraient avoir aucune existence ; mais il est aussi le dernier en ce sens que tous rentrent finalement en lui : la réunion de toutes les couleurs reconstitue la lumière blanche qui leur a donné naissance. On pourrait dire que, dans un septénaire ainsi constitué, un est au centre et six à la circonférence ; en d’autres termes, un tel septénaire est formé de l’unité et du sénaire, l’unité correspondant au principe non-manifesté et le sénaire à l’ensemble de la manifestation. Nous pouvons faire un rapprochement entre ceci et le symbolisme de la « semaine » dans la Genèse hébraïque, car, là aussi, le septième terme est essentiellement différent des six autres : la création, en effet, est l’« œuvre des six jours » et non pas des sept ; et le septième jour est celui du « repos ». Ce septième terme, qu’on pourrait désigner comme le terme « sabbatique », est véritablement aussi le premier, car ce « repos » n’est pas autre chose que la rentrée du Principe créateur dans l’état initial de non-manifestation, état dont, d’ailleurs, il n’est sorti qu’en apparence, par rapport à la création et pour produire celle-ci suivant le cycle sénaire, mais dont, en soi, il n’est jamais sorti en réalité. De même que le point n’est pas affecté par le déploiement de l’espace, bien qu’il semble sortir de lui-même pour en décrire les six directions, ni la lumière blanche par l’irradiation de l’arc-en-ciel, bien qu’elle semble s’y diviser pour en former les six couleurs, de même le Principe non-manifesté, sans lequel la manifestation ne saurait être en aucune façon, tout en paraissant agir et s’exprimer dans l’« œuvre des six jours », n’est pourtant aucunement affecté par cette manifestation ; et le « septième rayon » est la « Voie » par laquelle l’être, ayant parcouru le cycle de la manifestation, revient au non-manifesté et est uni effectivement au Principe, dont cependant, dans la manifestation même, il n’a jamais été séparé qu’en mode illusoire.