CHAPITRE XL
L’arbre et le vajra(*)

Nous avons considéré, dans nos derniers articles, le schéma de l’arbre à trois branches et à trois racines, construit sur le symbole général de l’analogie et susceptible d’être envisagé dans les deux sens opposés ; nous ajouterons encore à ce sujet quelques remarques complémentaires, qui feront mieux ressortir l’étroite connexion existant entre des symboles apparemment différents de l’« Axe du Monde ». En effet, comme il est facile de s’en rendre compte d’après la figure ci-dessous, le schéma dont il s’agit est, au fond, identique à la figure du double vajra, dont les deux extrémités opposées reproduisent également le symbolisme analogique dont nous avons parlé. Dans un des précédents articles où il a été question du vajra, nous avions déjà indiqué cette similitude à propos de la triplicité qui se rencontre souvent dans le symbolisme « axial », pour représenter à la fois l’axe même, occupant naturellement la position centrale, et les deux courants cosmiques de droite et de gauche qui l’accompagnent, triplicité dont certaines figurations de l’« Arbre du Monde » sont un exemple ; nous faisions remarquer que, « dans ce cas, la double triplicité des branches et des racines rappelle même encore plus exactement celle des deux extrémités du vajra, qui, comme on le sait, sont en forme de trident ou trishûla »(1).

Cependant, on pourrait se demander si le rapprochement ainsi établi entre l’arbre et le symbole de la foudre, qui peuvent sembler à première vue être deux choses fort distinctes, est susceptible d’aller encore plus loin que le seul fait de cette signification « axiale » qui leur est manifestement commune ; la réponse à cette question se trouve dans ce que nous avons dit de la nature ignée de l’« Arbre du Monde », auquel Agni lui-même, en tant que Vanaspati, est identifié dans le symbolisme vêdique, et dont, par suite, la « colonne de feu » est un exact équivalent comme représentation de l’axe. Il est évident que la foudre est également de nature ignée ou lumineuse ; l’éclair est d’ailleurs un des symboles les plus habituels de l’« illumination », entendue au sens intellectuel ou spirituel. L’« Arbre de Lumière » dont nous avons parlé traverse et illumine tous les mondes ; d’après le passage du Zohar cité à ce propos par M. Coomaraswamy, « l’illumination commence au sommet et s’étend en ligne droite à travers le tronc tout entier » ; et cette propagation de la lumière peut facilement évoquer l’idée de l’éclair. Du reste, d’une façon générale, l’« Axe du Monde » est toujours regardé plus ou moins explicitement comme lumineux ; nous avons déjà eu l’occasion de rappeler que Platon, notamment, le décrit comme un « axe lumineux de diamant », ce qui, précisément, se rapporte encore d’une façon directe à un des aspects du vajra, puisque celui-ci a à la fois le sens de « foudre » et celui de « diamant »(2).

Il y a encore autre chose : une des désignations les plus répandues de l’arbre axial, dans les diverses traditions, est celle d’« Arbre de Vie » ; or on sait quelle relation immédiate les doctrines traditionnelles établissent entre la « Lumière » et la « Vie » ; nous n’y insisterons pas davantage, ayant déjà traité cette question ici même(3) ; nous rappellerons seulement encore, comme se rapportant immédiatement à notre sujet, le fait que la Kabbale hébraïque unit les deux notions dans le symbolisme de la « rosée de lumière » émanant de l’« Arbre de Vie ». De plus, dans d’autres passages du Zohar que M. Coomaraswamy cite également au cours de son étude sur l’« arbre inversé »(**), et où il est question de deux arbres, l’un supérieur et l’autre inférieur, donc en quelque sorte superposés, ces deux arbres sont désignés respectivement comme l’« Arbre de Vie » et l’« Arbre de Mort ». Ceci, qui rappelle d’ailleurs le rôle des deux arbres symboliques du Paradis terrestre, est encore particulièrement significatif pour compléter le rapprochement que nous avons présentement en vue, car ces significations de « vie » et de « mort » sont effectivement attachées aussi au double aspect de la foudre, représenté par les deux directions opposées du vajra, ainsi que nous l’avons expliqué en d’autres occasions(4). Comme nous l’avons dit alors, il s’agit là en réalité, au sens le plus général, du double pouvoir de production et de destruction dont la vie et la mort sont l’expression dans notre monde, et qui est en relation avec les deux phases d’« expir » et d’« aspir » de la manifestation universelle ; et la correspondance de ces deux phases est nettement indiquée aussi dans un des textes du Zohar auxquels nous venons de faire allusion, car les deux arbres y sont représentés comme montant et descendant, de façon à prendre en quelque sorte la place l’un de l’autre, suivant l’alternance du jour et de la nuit ; cela n’achève-t-il pas de rendre évidente la parfaite cohérence de tout ce symbolisme ?