CHAPITRE XII
L’idée du Centre
dans les traditions antiques(*)

À la fin d’un de nos derniers articles (mars 1926)(**), nous faisions allusion au « Centre du Monde » et aux divers symboles qui le représentent ; il nous faut revenir sur cette idée du Centre, qui a la plus grande importance dans toutes les traditions antiques, et indiquer quelques-unes des principales significations qui s’y attachent. Pour les modernes, en effet, cette idée n’évoque plus immédiatement tout ce qu’y voyaient les anciens ; là comme en tout ce qui touche au symbolisme, bien des choses ont été oubliées, et certaines façons de penser semblent devenues totalement étrangères à la grande majorité de nos contemporains ; il convient donc d’y insister d’autant plus que l’incompréhension est plus générale et plus complète à cet égard.

Le Centre est, avant tout, l’origine, le point de départ de toutes choses ; c’est le point principiel, sans forme et sans dimensions, donc indivisible, et, par suite, la seule image qui puisse être donnée de l’Unité primordiale. De lui, par son irradiation, toutes choses sont produites, de même que l’Unité produit tous les nombres, sans que son essence en soit d’ailleurs modifiée ou affectée en aucune façon. Il y a ici un parallélisme complet entre deux modes d’expression : le symbolisme géométrique et le symbolisme numérique, de telle sorte qu’on peut les employer indifféremment et qu’on passe même de l’un à l’autre de la façon la plus naturelle. Il ne faut pas oublier, du reste, que, dans un cas aussi bien que dans l’autre, c’est toujours de symbolisme qu’il s’agit : l’unité arithmétique n’est pas l’Unité métaphysique, elle n’en est qu’une figure, mais une figure dans laquelle il n’y a rien d’arbitraire, car il existe entre l’une et l’autre une relation analogique réelle, et c’est cette relation qui permet de transposer l’idée de l’Unité au delà du domaine de la quantité, dans l’ordre transcendantal. Il en est de même de l’idée du Centre ; celle-ci aussi est susceptible d’une semblable transposition, par laquelle elle se dépouille de son caractère spatial, qui n’est plus évoqué qu’à titre de symbole : le point central, c’est le Principe, c’est l’Être pur ; et l’espace, qu’il emplit de son rayonnement, et qui n’est que par ce rayonnement même (le Fiat Lux de la Genèse), sans lequel cet espace ne serait que « privation » et néant, c’est le Monde au sens le plus étendu de ce mot, l’ensemble de tous les êtres et de tous les états d’existence qui constituent la manifestation universelle.

Fig. 1
Fig. 2

La représentation la plus simple de l’idée que nous venons de formuler, c’est le point au centre du cercle (fig. 1) : le point est l’emblème du Principe, le cercle est celui du Monde. Il est impossible d’assigner à l’emploi de cette figuration une origine quelconque dans le temps, car on la rencontre fréquemment sur des objets préhistoriques ; sans doute faut-il y voir un des signes qui se rattachent directement à la Tradition primordiale. Parfois, le point est entouré de plusieurs cercles concentriques, qui semblent représenter les différents états ou degrés de l’existence manifestée, se disposant hiérarchiquement selon leur plus ou moins grand éloignement du Principe primordial. Le point au centre du cercle a été pris aussi, et probablement dès une époque fort ancienne, comme une figure du soleil, parce que celui-ci est véritablement, dans l’ordre physique, le Centre ou le « Cœur du Monde », ainsi que nous l’avons expliqué récemment (avril 1926) ; et cette figure est demeurée jusqu’à nos jours comme signe astrologique et astronomique usuel du soleil. C’est peut-être pour cette raison que la plupart des archéologues, partout où ils rencontrent ce symbole, prétendent lui assigner une signification exclusivement « solaire », alors qu’il a en réalité un sens bien autrement vaste et profond ; ils oublient, ou ils ignorent, que le soleil, au point de vue de toutes les traditions antiques, n’est lui-même qu’un symbole, celui du véritable « Centre du Monde », qui est le Principe Divin.

Le rapport qui existe entre le centre et la circonférence, ou entre ce qu’ils représentent respectivement, est déjà indiqué assez clairement par le fait que la circonférence ne saurait exister sans son centre, tandis que celui-ci est absolument indépendant de celle-là. Ce rapport peut être marqué d’une façon plus nette encore et plus explicite, par des rayons issus du centre et aboutissant à la circonférence ; ces rayons peuvent évidemment être figurés en nombre variable, puisqu’ils sont réellement en multitude indéfinie comme les points de la circonférence qui en sont les extrémités ; mais, en fait, on a toujours choisi, pour les figurations de ce genre, des nombres qui ont par eux-mêmes une valeur symbolique particulière. Ici, la forme la plus simple est celle qui présente seulement quatre rayons divisant la circonférence en parties égales, c’est-à-dire deux diamètres rectangulaires formant une croix à l’intérieur de cette circonférence (fig. 2). Cette nouvelle figure a la même signification générale que la première, mais il s’y attache en outre certaines significations secondaires qui viennent la compléter : la circonférence, si on se la représente comme parcourue dans un certain sens, est l’image d’un cycle de manifestation, tel que ces cycles cosmiques dont la doctrine hindoue, notamment, donne une théorie extrêmement développée. Les divisions déterminées sur la circonférence par les extrémités des branches de la croix correspondent alors aux différentes périodes ou phases en lesquelles se partage le cycle ; et une telle division peut être envisagée, pour ainsi dire, à des échelles diverses, suivant qu’il s’agira de cycles plus ou moins étendus : on aura ainsi, par exemple, et pour nous en tenir au seul ordre de l’existence terrestre, les quatre moments principaux de la journée, les quatre phases de la lunaison, les quatre saisons de l’année, et aussi, suivant la conception que nous trouvons aussi bien dans les traditions de l’Inde et de l’Amérique centrale que dans celles de l’antiquité gréco-latine, les quatre âges de l’humanité. Nous ne faisons ici qu’indiquer sommairement ces considérations, pour donner une idée d’ensemble de ce qu’exprime le symbole dont il s’agit ; elles sont d’ailleurs reliées plus directement à ce que nous aurons à dire par la suite.

Fig. 3
Fig. 4

Parmi les figures qui comportent un plus grand nombre de rayons, nous devons mentionner spécialement les roues ou « rouelles », qui en ont le plus habituellement six ou huit (fig. 3 et 4). La « rouelle » celtique, qui s’est perpétuée à travers presque tout le moyen âge, se présente sous l’une et l’autre de ces deux formes ; ces mêmes figures, et surtout la seconde, se rencontrent très souvent dans les pays orientaux, notamment en Chaldée et en Assyrie, dans l’Inde (où la roue est appelée chakra) et au Thibet. Nous avons montré précédemment (novembre 1925) l’étroite parenté de la roue à six rayons avec le Chrisme, qui n’en diffère en somme qu’en ce que la circonférence à laquelle appartiennent les extrémités des rayons n’y est pas tracée d’ordinaire ; et nous disions alors que la roue, au lieu d’être simplement un signe « solaire » comme on l’enseigne communément à notre époque, est avant tout un symbole du Monde, ce qu’on pourra maintenant comprendre sans difficulté. Dans le langage symbolique de l’Inde, on parle constamment de la « roue des choses » ou de la « roue de vie », ce qui correspond nettement à cette signification ; il y est aussi question de la « roue de la Loi », expression que le Bouddhisme a empruntée, comme bien d’autres, aux doctrines antérieures, et qui, originairement tout au moins, se réfère surtout aux théories cycliques. Il faut encore ajouter que le Zodiaque est représenté aussi sous la forme d’une roue, à douze rayons naturellement, et que d’ailleurs le nom qui lui est donné en sanscrit signifie littéralement « roue des signes » ; on pourrait aussi le traduire par « roue des nombres », suivant le sens premier du mot râshi qui sert à désigner les signes du Zodiaque(1).

Dans l’article auquel nous faisions allusion tout à l’heure (novembre 1925), nous avons noté la connexion qui existe entre la roue et divers symboles floraux ; nous aurions même pu, pour certains cas tout au moins, parler d’une véritable équivalence(2). Si l’on considère une fleur symbolique telle que le lotus, le lis ou la rose(3), son épanouissement représente, entre autres choses (car ce sont là des symboles à significations multiples), et par une similitude très compréhensible, le développement de la manifestation ; cet épanouissement est d’ailleurs un rayonnement autour du centre, car, ici encore, il s’agit de figures « centrées », et c’est ce qui justifie leur assimilation avec la roue(4). Dans la tradition hindoue, le Monde est parfois représenté sous la forme d’un lotus au centre duquel s’élève le Mêru, la montagne sacrée qui symbolise le Pôle.

Mais revenons aux significations du Centre, car, jusqu’ici, nous n’avons en somme exposé que la première de toutes, celle qui en fait l’image du Principe ; nous allons en trouver une autre dans le fait que le Centre est proprement le « milieu », le point équidistant de tous les points de la circonférence, et qui partage tout diamètre en deux parties égales. Dans ce qui précède, le Centre était considéré en quelque sorte avant la circonférence, qui n’a de réalité que par son rayonnement ; maintenant, il est envisagé par rapport à la circonférence réalisée, c’est-à-dire qu’il s’agit de l’action du Principe au sein de la création. Le milieu entre les extrêmes représentés par des points opposés de la circonférence, c’est le lieu où les tendances contraires, aboutissant à ces extrêmes, se neutralisent pour ainsi dire et sont en parfait équilibre. Certaines écoles d’ésotérisme musulman, qui attribuent à la croix une valeur symbolique de la plus grande importance, appellent « station divine » (maqâmul-ilahi) le centre de cette croix, qu’elles désignent comme le lieu où s’unifient tous les contraires, où se résolvent toutes les oppositions. L’idée qui s’exprime plus particulièrement ici, c’est donc l’idée d’équilibre, et cette idée ne fait qu’un avec celle d’harmonie ; ce ne sont pas deux idées différentes, mais seulement deux aspects d’une même idée. Il est encore un troisième aspect de celle-ci, plus spécialement lié au point de vue moral (bien que susceptible de recevoir aussi d’autres significations), et c’est l’idée de justice ; on peut, par là, rattacher à ce que nous disons ici la conception platonicienne suivant laquelle la vertu consiste dans un juste milieu entre deux extrêmes. À un point de vue beaucoup plus universel, les traditions extrême-orientales parlent sans cesse de l’« Invariable Milieu », qui est le point où se manifeste l’« Activité du Ciel » ; et, suivant la doctrine hindoue, au centre de tout être, comme de tout état de l’existence cosmique, réside un reflet du Principe suprême.

L’équilibre lui-même, d’ailleurs, n’est à vrai dire que le reflet, dans l’ordre de la manifestation, de l’immutabilité absolue du Principe ; pour envisager les choses sous ce nouveau rapport, il faut regarder la circonférence comme étant en mouvement autour de son centre, qui seul ne participe pas à ce mouvement. Le nom même de la roue (rota) évoque immédiatement l’idée de rotation ; et cette rotation est la figure du changement continuel auquel sont soumises toutes choses manifestées ; dans un tel mouvement, il n’y a qu’un point unique qui demeure fixe et immuable, et ce point est le Centre. Ceci nous ramène aux conceptions cycliques dont nous avons dit quelques mots précédemment : le parcours d’un cycle quelconque, ou la rotation de la circonférence, est la succession, soit sous le mode temporel, soit sous tout autre mode ; la fixité du centre est l’image de l’éternité, où toutes choses sont présentes en parfaite simultanéité. La circonférence ne peut tourner qu’autour d’un centre fixe ; de même, le changement, qui ne se suffit pas à lui-même, suppose nécessairement un principe qui est en dehors du changement : c’est le « moteur immobile » d’Aristote (voir notre article de décembre 1925), qui est encore représenté par le Centre. Le Principe immuable est donc en même temps, et par là même que tout ce qui existe, tout ce qui change ou se meut, n’a de réalité que par lui et dépend totalement de lui, il est, disons-nous, ce qui donne au mouvement son impulsion première, et aussi ce qui ensuite le gouverne et le dirige, ce qui lui donne sa loi, la conservation de l’ordre du Monde n’étant en quelque sorte qu’un prolongement de l’acte créateur. Il est, suivant une expression hindoue, l’« ordonnateur interne » (antar-yâmî), car il dirige toutes choses de l’intérieur, résidant lui-même au point le plus intérieur de tous, qui est le Centre.

Au lieu de la rotation d’une circonférence autour de son centre, on peut aussi envisager celle d’une sphère autour d’un axe fixe ; la signification symbolique en est exactement la même. C’est pourquoi les représentations de l’« Axe du Monde », dont nous avons déjà parlé (voir décembre 1925 et mars 1926), sont si nombreuses et si importantes dans toutes les traditions anciennes ; et le sens général en est au fond le même que celui des figures du « Centre du Monde », sauf peut-être en ce qu’elles évoquent plus directement le rôle du Principe immuable à l’égard de la manifestation universelle que les autres rapports sous lesquels le Centre peut être également considéré. Lorsque la sphère, terrestre ou céleste, accomplit sa révolution autour de son axe, il y a sur cette sphère deux points qui demeurent fixes : ce sont les pôles, qui sont les extrémités de l’axe, ou ses points de rencontre avec la surface de la sphère ; et c’est pourquoi l’idée du Pôle est encore un équivalent de l’idée du Centre. Le symbolisme qui se rapporte au Pôle, et qui revêt parfois des formes très complexes, se retrouve aussi dans toutes les traditions, et il y tient même une place considérable ; si la plupart des savants modernes ne s’en sont pas aperçus, c’est là encore une preuve que la vraie compréhension des symboles leur fait entièrement défaut.

Fig. 5
Fig. 6

Une des figures les plus frappantes dans lesquelles se résument les idées que nous venons d’exposer est celle du swastika (fig. 5 et 6), qui est essentiellement le « signe du Pôle »(5) ; nous pensons d’ailleurs que, dans l’Europe moderne, on n’en a jamais fait connaître jusqu’ici la vraie signification. On a vainement cherché à expliquer ce symbole par les théories les plus fantaisistes ; on a été jusqu’à y voir le schéma d’un instrument primitif destiné à la production du feu ; à la vérité, s’il a bien parfois un certain rapport avec le feu, c’est pour de tout autres raisons. Le plus souvent, on en fait un signe « solaire », ce qu’il n’a pu devenir qu’accidentellement et d’une façon assez détournée ; nous pourrions répéter ici ce que nous disions plus haut à propos de la roue et du point au centre du cercle. Ceux qui ont été le plus près de la vérité sont ceux qui ont regardé le swastika comme un symbole du mouvement, mais cette interprétation est encore insuffisante, car il ne s’agit pas d’un mouvement quelconque, mais d’un mouvement de rotation qui s’accomplit autour d’un centre ou d’un axe immuable ; et c’est précisément le point fixe qui est l’élément essentiel auquel se rapporte directement le symbole en question. Les autres significations que comporte la même figure sont toutes dérivées de celle-là : le Centre imprime à toutes choses le mouvement, et, comme le mouvement représente la vie, le swastika devient par là un symbole de la vie, ou, plus exactement, du rôle vivifiant du Principe par rapport à l’ordre cosmique.

Si nous comparons le swastika à la figure de la croix inscrite dans la circonférence (fig. 2), nous pouvons nous rendre compte que ce sont là, au fond, deux symboles équivalents ; mais la rotation, au lieu d’être représentée par le tracé de la circonférence, est seulement indiquée dans le swastika par les lignes ajoutées aux extrémités des branches de la croix et formant avec celles-ci des angles droits ; ces lignes sont des tangentes à la circonférence, qui marquent la direction du mouvement aux points correspondants. Comme la circonférence représente le Monde, le fait qu’elle est pour ainsi dire sous-entendue indique très nettement que le swastika n’est pas une figure du Monde, mais bien de l’action du Principe à l’égard du Monde(6).

Si l’on rapporte le swastika à la rotation d’une sphère telle que la sphère céleste autour de son axe, il faut le supposer tracé dans le plan équatorial, et alors le point central sera la projection de l’axe sur ce plan qui lui est perpendiculaire. Quant au sens de la rotation indiquée par la figure, l’importance n’en est que secondaire ; en fait, on trouve l’une et l’autre des deux formes que nous avons reproduites ci-dessus(7), et cela sans qu’il faille y voir toujours une intention d’établir entre elles une opposition quelconque(8). Nous savons bien que, dans certains pays et à certaines époques, il a pu se produire des schismes dont les partisans ont volontairement donné à la figure une orientation contraire à celle qui était en usage dans le milieu dont ils se séparaient, pour affirmer leur antagonisme par une manifestation extérieure ; mais cela ne touche en rien à la signification essentielle du symbole, qui demeure la même dans tous les cas.

Le swastika est loin d’être un symbole exclusivement oriental comme on le croit parfois ; en réalité, il est un de ceux qui sont le plus généralement répandus, et on le rencontre à peu près partout, de l’Extrême-Orient à l’Extrême-Occident, car il existe jusque chez certains peuples indigènes de l’Amérique du Nord. À l’époque actuelle, il s’est conservé surtout dans l’Inde et dans l’Asie centrale et orientale, et il n’y a probablement que dans ces régions qu’on sache encore ce qu’il signifie ; mais pourtant, en Europe même, il n’a pas entièrement disparu(9). En Lithuanie et en Courlande, les paysans tracent encore ce signe dans leurs maisons ; sans doute n’en connaissent-ils plus le sens et n’y voient-ils qu’une sorte de talisman protecteur ; mais ce qui est peut-être le plus curieux, c’est qu’ils lui donnent son nom sanscrit de swastika(10). Dans l’antiquité, nous trouvons ce signe, en particulier, chez les Celtes et dans la Grèce préhéllénique(11) ; et, en Occident encore, comme M. Charbonneau-Lassay l’a dit récemment ici (mars 1926, pp. 302-303), il fut anciennement un des emblèmes du Christ, et il demeura même en usage comme tel jusque vers la fin du moyen âge. Comme le point au centre du cercle et comme la roue, ce signe remonte incontestablement aux époques préhistoriques ; et, pour notre part, nous y voyons encore, sans aucune hésitation, un des vestiges de la Tradition primordiale.

Nous n’avons pas encore fini d’indiquer toutes les significations du Centre : s’il est d’abord un point de départ, il est aussi un point d’aboutissement ; tout est issu de lui, et tout doit finalement y revenir. Puisque toutes choses n’existent que par le Principe et ne sauraient subsister sans lui, il doit y avoir entre elles et lui un lien permanent, figuré par les rayons joignant au centre tous les points de la circonférence ; mais ces rayons peuvent être parcourus en deux sens opposés : d’abord du centre à la circonférence, et ensuite de la circonférence en retour vers le centre. Il y a là comme deux phases complémentaires, dont la première est représentée par un mouvement centrifuge et la seconde par un mouvement centripète ; ces deux phases peuvent être comparées à celles de la respiration, suivant un symbolisme auquel se réfèrent souvent les doctrines hindoues ; et, d’autre part, il s’y trouve aussi une analogie non moins remarquable avec la fonction physiologique du cœur. En effet, le sang part du cœur, se répand dans tout l’organisme qu’il vivifie, puis revient au cœur ; le rôle de celui-ci comme centre organique est donc vraiment complet et correspond entièrement à l’idée que nous devons, d’une façon générale, nous faire du Centre dans la plénitude de sa signification.

Tous les êtres, dépendant de leur Principe en tout ce qu’ils sont, doivent, consciemment ou inconsciemment, aspirer à retourner vers lui ; cette tendance au retour vers le Centre a aussi, dans toutes les traditions, sa représentation symbolique. Nous voulons parler de l’orientation rituelle, qui est proprement la direction vers un centre spirituel, image terrestre et sensible du véritable « Centre du Monde » ; l’orientation des églises chrétiennes n’en est au fond qu’un cas particulier et se rapporte essentiellement à la même idée, qui est commune à toutes les religions. Dans l’Islam, cette orientation (qibla) est comme la matérialisation, si l’on peut s’exprimer ainsi, de l’intention (niyya) par laquelle toutes les puissances de l’être doivent être dirigées vers le Principe Divin(12) ; et l’on pourrait facilement trouver bien d’autres exemples. Il y aurait beaucoup à dire sur cette question ; sans doute aurons-nous quelques occasions d’y revenir dans la suite de ces études, et c’est pourquoi nous nous contentons, pour le moment, d’indiquer plus brièvement le dernier aspect du symbolisme du Centre.

En résumé, le Centre est à la fois le principe et la fin de toutes choses ; il est, suivant un symbolisme bien connu, l’alpha et l’oméga. Mieux encore, il est le principe, le milieu et la fin ; et ces trois aspects sont représentés par les trois éléments du monosyllabe Aum, auquel M. Charbonneau-Lassay faisait allusion dernièrement en tant qu’emblème du Christ (mars 1926, p. 303), et dont l’association au swastika, parmi les signes du monastère des Carmes de Loudun, nous semble particulièrement significative. En effet, ce symbole, beaucoup plus complet que l’alpha et l’oméga, et susceptible de sens qui pourraient donner lieu à des développements presque indéfinis, est, par une des concordances les plus étonnantes que l’on puisse rencontrer, commun à l’antique tradition hindoue et à l’ésotérisme chrétien du moyen âge ; et, dans l’un et l’autre cas, il est également, et par excellence, un symbole du Verbe, qui est bien réellement le véritable « Centre du Monde ».