CHAPITRE VII
Cologne ou Strasbourg ?(*)
La question qui a été envisagée dans le numéro d’octobre dernier du Voile d’Isis doit, à ce qu’il nous semble, être divisée en deux : une question d’ordre historique et une question d’ordre symbolique ; et la divergence signalée ne porte, en somme, que sur le premier de ces deux points de vue. D’ailleurs, la contradiction n’est peut-être qu’apparente : si la cathédrale de Strasbourg est bien le centre officiel d’un certain rite compagnonnique, celle de Cologne ne serait-elle pas de même le centre d’un autre rite ? Et n’y aurait-il pas, précisément pour cette raison, deux chartes maçonniques distinctes, l’une datée de Strasbourg et l’autre de Cologne, ce qui pourrait avoir donné lieu à une confusion ? Ce serait à vérifier, et il faudrait savoir aussi si ces deux chartes portent la même date ou des dates différentes. La chose est intéressante surtout au point de vue historique ; celui-ci n’est pas pour nous le plus important, mais il n’est pas sans valeur non plus, parce qu’il est lié d’une certaine façon au point de vue symbolique lui-même : ce n’est pas arbitrairement, en effet, que tel ou tel lieu a été choisi comme centre par des organisations comme celles dont il s’agit.
Quoi qu’il en soit, nous sommes tout à fait d’accord avec M. Albert Bernet, lorsqu’il dit que le « point sensible » doit exister dans toutes les cathédrales qui ont été construites suivant les règles véritables de l’art, et aussi lorsqu’il déclare qu’« il faut surtout en user au point de vue symbolique ». Il y a, à ce sujet, un rapprochement curieux à faire : Wronski affirmait qu’il y a dans tout corps un point tel que, s’il est atteint, le corps tout entier est par là même désagrégé aussitôt, volatilisé en quelque sorte, toutes ses molécules étant dissociées ; et il prétendait avoir trouvé le moyen de déterminer par le calcul la position de ce centre de cohésion. N’est-ce pas là, surtout si on l’envisage symboliquement comme nous pensons qu’on doit le faire, la même chose exactement que le « point sensible » des cathédrales ?
La question, sous sa forme la plus générale, est celle de ce qu’on pourrait appeler le « nœud vital » existant dans tout composé, comme point de jonction de ses éléments constitutifs. La cathédrale construite selon les règles forme un véritable ensemble organique, et c’est pourquoi elle a, elle aussi, un « nœud vital ». Le problème qui se rapporte à ce point est le même que celui qu’exprimait, dans l’antiquité, le fameux symbole du « nœud gordien » ; mais, assurément, les maçons modernes seraient bien surpris si on leur disait que leur épée peut jouer rituellement, à cet égard, le même rôle que celle d’Alexandre…
On peut dire encore que la solution effective du problème en question se rattache au « pouvoir des clefs » (potestas ligandi et solvendi) entendu dans sa signification hermétique, ou, ce qui revient au même, qu’elle correspond à la seconde phase du coagula, solve des alchimistes. Il ne faut pas oublier que, comme nous le faisions remarquer dans l’article de Regnabit auquel se réfère M. Paul Redonnel(**), Janus, qui était chez les Romains le dieu de l’initiation aux Mystères, était en même temps le patron des Collegia fabrorum, des corporations d’artisans qui se sont continuées à travers tout le moyen âge et, par le compagnonnage, jusque dans les temps modernes ; mais bien peu nombreux sans doute sont ceux qui, aujourd’hui, comprennent encore quelque chose du symbolisme profond de la « Loge de Saint Jean ».