CHAPITRE VI
Note sur l’angélologie
de l’alphabet arabe(*)

Le « Trône » divin qui entoure tous les mondes (El-Arsh El-Muhît) est représenté, comme il est facile de le comprendre, par une figure circulaire ; au centre est Er-Rûh, ainsi que nous l’expliquons par ailleurs ; et le « Trône » est soutenu par huit anges qui sont placés à la circonférence, les quatre premiers aux quatre points cardinaux, et les quatre autres aux quatre points intermédiaires. Les noms de ces huit anges sont formés par autant de groupes de lettres, prises en suivant l’ordre de leurs valeurs numériques, de telle sorte que l’ensemble de ces noms comprend la totalité des lettres de l’alphabet.

Il y a lieu de faire ici une remarque : il s’agit naturellement de l’alphabet de 28 lettres ; mais on dit que l’alphabet arabe n’avait tout d’abord que 22 lettres, correspondant exactement à celles de l’alphabet hébraïque ; de là la distinction qui est faite entre le petit Jafr, qui n’emploie que ces 22 lettres, et le grand Jafr, qui emploie les 28 en les prenant toutes avec des valeurs numériques distinctes. On peut d’ailleurs dire que les 28 (2 + 8 = 10) sont contenues dans les 22 (2 + 2 = 4) comme 10 est contenu dans 4, suivant la formule de la Tétraktys pythagoricienne : 1 + 2 + 3 + 4 = 10(1) ; et, en fait, les six lettres supplémentaires ne sont que des modifications d’autant de lettres primitives, dont elles sont formées par la simple adjonction d’un point, et auxquelles elles se ramènent immédiatement par la suppression de ce même point. Ces six lettres supplémentaires sont celles qui composent les deux derniers des huit groupes dont nous venons de parler ; il est évident que, si on ne les considérait pas comme des lettres distinctes, ces groupes se trouveraient modifiés, soit quant à leur nombre, soit quant à leur composition. Par conséquent, le passage de l’alphabet de 22 lettres à l’alphabet de 28 a dû nécessairement amener un changement dans les noms angéliques dont il s’agit, donc dans les « entités » que ces noms désignent ; mais, si étrange que cela puisse sembler à certains, il est en réalité normal qu’il en soit ainsi, car toutes les modifications des formes traditionnelles, et en particulier celles qui affectent la constitution de leurs langues sacrées, doivent avoir effectivement leurs « archétypes » dans le monde céleste.

Cela dit, la distribution des lettres et des noms est la suivante :

Aux quatre points cardinaux :

à l’Est : A B J a D(2) ;

à l’Ouest : H a W a Z ;

au Nord : H a T a Y ;

au Sud : K a L M a N.

Aux quatre points intermédiaires :

au Nord-Est : S a A F a Ç ;

au Nord-Ouest : Q a R S h a T ;

au Sud-Est : T h a K h a D h ;

au Sud-Ouest : D a Z a G h.

On remarquera que chacun de ces deux ensembles de quatre noms contient exactement la moitié de l’alphabet, soit 14 lettres, qui y sont réparties respectivement de la façon suivante :

Dans la première moitié : 4 + 3 + 3 + 4 = 14 ;

dans la seconde moitié : 4 + 4 + 3 + 3 = 14.

Les valeurs numériques des huit noms, formées de la somme de celles de leurs lettres, sont, en les prenant naturellement dans le même ordre que ci-dessus :

1 + 2 + 3 + 4 = 10 ;

5 + 6 + 7 = 18 ;

8 + 9 + 10 = 27 ;

20 + 30 + 40 + 50 = 140 ;

60 + 70 + 80 + 90 = 300 ;

100 + 200 + 300 + 400 = 1000 ;

500 + 600 + 700 = 1800 ;

800 + 900 + 1000 = 2700.

Les valeurs des trois derniers noms sont égales à celles des trois premiers multipliées par 100, ce qui est d’ailleurs évident, si l’on remarque que les trois premiers contiennent les nombres de 1 à 10 et les trois derniers les centaines de 100 à 1000 ; les uns et les autres y étant également répartis en 4 + 3 + 3.

La valeur de la première moitié de l’alphabet est la somme de celles des quatre premiers noms :

10 + 18 + 27 + 140 = 195.

De même, celle de la seconde moitié est la somme de celles des quatre derniers noms :

300 + 1000 + 1800 + 2700 = 5800.

Enfin, la valeur totale de l’alphabet entier est :

195 + 5800 = 5995.

Ce nombre 5995 est remarquable par sa symétrie : sa partie centrale est 99, nombre des noms « attributifs » d’Allah ; ses chiffres extrêmes forment 55, somme des dix premiers nombres, où le dénaire se retrouve d’ailleurs divisé en ses deux moitiés (5 + 5 = 10) ; de plus, 5 + 5 = 10 et 9 + 9 = 18 sont les valeurs numériques des deux premiers noms.

On peut mieux se rendre compte de la façon dont le nombre 5995 est obtenu en partageant l’alphabet suivant une autre division, en trois séries de neuf lettres plus une lettre isolée : la somme des neuf premiers nombres est 45, valeur numérique du nom d’Adam (1 + 4 + 40 = 45, c’est-à-dire, au point de vue de la hiérarchie ésotérique, El-Qutb El-Ghawth au centre, les quatre Awtâd aux quatre points cardinaux, et les quarante Anjâb sur la circonférence) ; celle des dizaines, de 10 à 90, est 45 × 10, et celle des centaines, de 100 à 900, 45 × 100 ; l’ensemble des sommes de ces trois séries novénaires est donc le produit de 45 par 111, le nombre « polaire » qui est celui de l’alif « développé » : 45 × 111 = 4995 ; il faut y ajouter le nombre de la dernière lettre, 1000, unité du quatrième degré qui termine l’alphabet comme l’unité du premier degré le commence, et ainsi on a finalement 5995.

Enfin, la somme des chiffres de ce nombre est 5 + 9 + 9 + 5 = 28, c’est-à-dire le nombre même des lettres de l’alphabet dont il représente la valeur totale.

On pourrait assurément développer encore beaucoup d’autres considérations en partant de ces données, mais ces quelques indications suffiront pour qu’on puisse tout au moins avoir un aperçu de certains des procédés de la science des lettres et des nombres dans la tradition islamique.