CHAPITRE X
Le swastika

Une des formes les plus remarquables de ce que nous avons appelé la croix horizontale, c’est-à-dire de la croix tracée dans le plan qui représente un certain état d’existence, est la figure du swastika, qui semble bien se rattacher directement à la Tradition primordiale, car on la rencontre dans les pays les plus divers et les plus éloignés les uns des autres, et cela dès les époques les plus reculées ; loin d’être un symbole exclusivement oriental comme on le croit parfois, il est un de ceux qui sont le plus généralement répandus, de l’Extrême-Orient à l’Extrême-Occident, car il existe jusque chez certains peuples indigènes de l’Amérique(1). Il est vrai que, à l’époque actuelle, il s’est conservé surtout dans l’Inde et dans l’Asie centrale et orientale, et qu’il n’y a peut-être que dans ces régions que l’on sache encore ce qu’il signifie ; mais pourtant, en Europe même, il n’a pas entièrement disparu(2). Dans l’antiquité, nous trouvons ce signe, en particulier, chez les Celtes et dans la Grèce préhellénique(3) ; et, en Occident encore, il fut anciennement un des emblèmes du Christ, et il demeura même en usage comme tel jusque vers la fin du moyen âge(4).

Nous avons dit ailleurs que le swastika est essentiellement le « signe du Pôle »(5) ; si nous le comparons à la figure de la croix inscrite dans la circonférence, nous pouvons nous rendre compte aisément que ce sont là, au fond, deux symboles équivalents à certains égards ; mais la rotation autour du centre fixe, au lieu d’être représentée par le tracé de la circonférence, est seulement indiquée dans le swastika par les lignes ajoutées aux extrémités des branches de la croix et formant avec celles-ci des angles droits ; ces lignes sont des tangentes à la circonférence, qui marquent la direction du mouvement aux points correspondants. Comme la circonférence représente le monde manifesté, le fait qu’elle est pour ainsi dire sous-entendue indique très nettement que le swastika n’est pas une figure du monde, mais bien de l’action du Principe à l’égard du monde.

Si l’on rapporte le swastika à la rotation d’une sphère telle que la sphère céleste autour de son axe, il faut le supposer tracé dans le plan équatorial, et alors le point central sera, comme nous l’avons déjà expliqué, la projection de l’axe sur ce plan qui lui est perpendiculaire. Quant au sens de la rotation indiquée par la figure, l’importance n’en est que secondaire et n’affecte pas la signification générale du symbole ; en fait, on trouve l’une et l’autre des deux formes indiquant une rotation de droite à gauche et de gauche à droite(6), et cela sans qu’il faille y voir toujours une intention d’établir entre elles une opposition quelconque. Il est vrai que, dans certains pays et à certaines époques, il a pu se produire, par rapport à la tradition orthodoxe, des schismes dont les partisans ont volontairement donné à la figure une orientation contraire à celle qui était en usage dans le milieu dont ils se séparaient, pour affirmer leur antagonisme par une manifestation extérieure, mais cela ne touche en rien à la signification essentielle, qui demeure la même dans tous les cas. D’ailleurs, on trouve parfois les deux formes associées ; on peut alors les regarder comme représentant une même rotation vue de l’un et de l’autre des deux pôles ; ceci se rattache au symbolisme très complexe des deux hémisphères, qu’il ne nous est pas possible d’aborder ici(7).

Nous ne pouvons non plus songer à développer toutes les considérations auxquelles peut donner lieu le symbolisme du swastika, et qui, d’ailleurs, ne se rattachent pas directement au sujet propre de la présente étude ; mais il ne nous était pas possible, en raison de son importance considérable au point de vue traditionnel, de passer entièrement sous silence cette forme spéciale de la croix ; nous avons donc cru nécessaire de donner tout au moins, en ce qui le concerne, ces indications quelque peu sommaires, mais nous nous en tiendrons là pour ne pas nous engager dans de trop longues digressions.