CHAPITRE XVIII
Passage des coordonnées rectilignes
aux coordonnées polaires ;
continuité par rotation

Il nous faut maintenant revenir à la représentation géométrique que nous avons exposée en dernier lieu, et dont l’introduction, comme nous l’avons fait remarquer, équivaut à remplacer par des coordonnées polaires les coordonnées rectilignes et rectangulaires de notre précédente représentation « microcosmique ». Toute variation du rayon de la spirale que nous avons envisagée correspond à une variation équivalente sur l’axe traversant toutes les modalités, c’est-à-dire perpendiculaire à la direction suivant laquelle s’effectuait le développement de chaque modalité. Quant aux variations sur l’axe parallèle à cette dernière direction, elles sont remplacées par les positions différentes qu’occupe le rayon en tournant autour du pôle (centre du plan ou origine des coordonnées), c’est-à-dire par les variations de son angle de rotation, mesuré à partir d’une certaine position prise pour origine. Cette position initiale, qui sera la normale au départ de la spirale (cette courbe partant du centre tangentiellement à la position du rayon qui est perpendiculaire à celle-là), sera celle du rayon qui contient, comme nous l’avons dit, les modifications extrêmes (commencement et fin) de toutes les modalités.

Mais, dans ces modalités, il n’y a pas que le commencement et la fin qui se correspondent, et chaque modification intermédiaire ou élément quelconque d’une modalité a également sa correspondance dans toutes les autres, les modifications correspondantes étant toujours représentées par des points situés sur un même rayon issu du pôle. Si l’on prenait ce rayon, quel qu’il soit, comme normale à l’origine de la spirale, on aurait toujours la même spirale, mais la figure tout entière aurait tourné d’un certain angle. Pour représenter la parfaite continuité qui existe entre toutes les modalités, et dans la correspondance de tous leurs éléments, il faudrait supposer que la figure occupe simultanément toutes les positions possibles autour du pôle, toutes ces figures similaires s’interpénétrant, puisque chacune d’elles, dans l’ensemble de son développement indéfini, comprend également tous les points du plan. Ce n’est, à proprement parler, qu’une même figure dans une indéfinité de positions différentes, positions qui correspondent à l’indéfinité des valeurs que peut prendre l’angle de rotation, en supposant que cet angle varie d’une façon continue jusqu’à ce que le rayon, parti de la position initiale que nous avons définie, soit revenu, après une révolution complète, se superposer à cette position première.

Dans cette supposition, on aurait l’image exacte d’un mouvement vibratoire se propageant indéfiniment, en ondes concentriques, autour de son point de départ, dans un plan horizontal tel que la surface libre d’un liquide(1) ; et ce sera aussi le symbole géométrique le plus exact qu’on puisse donner de l’intégralité d’un état d’être. Si l’on voulait entrer plus avant dans les considérations d’ordre purement mathématique, qui ne nous intéressent ici qu’en tant qu’elles nous fournissent des représentations symboliques, on pourrait même montrer que la réalisation de cette intégralité correspondrait à l’intégration de l’équation différentielle exprimant la relation qui existe entre les variations concomitantes du rayon et de son angle de rotation, l’un et l’autre variant à la fois, et l’un en fonction de l’autre, d’une façon continue, c’est-à-dire de quantités infinitésimales. La constante arbitraire qui figure dans l’intégrale serait déterminée par la position du rayon prise pour origine, et cette même quantité, qui n’est fixe que pour une position déterminée de la figure, devrait varier d’une façon continue de 0 à 2 π pour toutes ses positions, de sorte que, si l’on considère celles-ci comme pouvant être simultanées (ce qui revient à supprimer la condition temporelle, qui donne à l’activité de manifestation la qualification particulière constituant le mouvement), il faut laisser la constante indéterminée entre ces deux valeurs extrêmes.

Cependant, on doit avoir bien soin de remarquer que ces représentations géométriques, quelles qu’elles soient, sont toujours plus ou moins imparfaites, comme l’est d’ailleurs nécessairement toute représentation et toute expression formelle. En effet, nous sommes naturellement obligé de les situer dans un espace particulier, dans une étendue déterminée, et l’espace, même envisagé dans toute l’extension dont il est susceptible, n’est rien de plus qu’une condition spéciale contenue dans un des degrés de l’Existence universelle, et à laquelle (d’ailleurs unie ou combinée à d’autres conditions du même ordre) sont soumis certains des domaines multiples compris dans ce degré de l’Existence, domaines dont chacun est, dans le « macrocosme », l’analogue de ce qu’est dans le « microcosme » la modalité correspondante de l’état d’être situé dans ce même degré. La représentation est forcément imparfaite, par là même qu’elle est enfermée dans des limites plus restreintes que ce qui est représenté, et, d’ailleurs, s’il en était autrement, elle serait inutile(2) ; mais, d’autre part, elle est d’autant moins imparfaite que, tout en demeurant toujours comprise dans les limites du concevable actuel, et même dans celles, beaucoup plus étroites, de l’imaginable (qui procède entièrement du sensible), elle devient cependant moins limitée, ce qui, en somme, revient à dire qu’elle fait intervenir une puissance plus élevée de l’indéfini(3). Ceci se traduit en particulier, dans les représentations spatiales, par l’adjonction d’une dimension, ainsi que nous l’avons déjà indiqué précédemment ; d’ailleurs, cette question sera encore éclaircie par la suite de notre exposé.