CHAPITRE XX
Le vortex sphérique universel

Si nous revenons au système vertical complexe que nous avons considéré en dernier lieu, nous voyons que, autour du point pris pour centre de l’étendue à trois dimensions que remplit ce système, cette étendue n’est pas « isotrope », ou, en d’autres termes, que, par suite de la détermination d’une direction particulière et en quelque sorte « privilégiée », qui est celle de l’axe du système, c’est-à-dire la direction verticale, la figure n’est pas homogène dans toutes les directions à partir de ce point. Au contraire, dans le plan horizontal, lorsque nous considérions simultanément toutes les positions de la spirale autour du centre, ce plan était envisagé ainsi d’une façon homogène et sous un aspect « isotrope » par rapport à ce centre. Pour qu’il en soit de même dans l’étendue à trois dimensions, il faut remarquer que toute droite passant par le centre pourrait être prise pour axe d’un système tel que celui dont nous venons de parler, de sorte que toute direction peut jouer le rôle de la verticale ; de même, tout plan passant par le centre étant perpendiculaire à l’une de ces droites, il en résulte que, corrélativement, toute direction de plans pourra jouer le rôle de la direction horizontale, et même celui de la direction parallèle à l’un quelconque des trois plans de coordonnées. En effet, tout plan passant par le centre peut devenir l’un de ces trois plans dans une indéfinité de systèmes de coordonnées trirectangulaires, car il contient une indéfinité de couples de droites orthogonales se coupant au centre (ces droites étant tous les rayons issus du pôle dans la figuration de la spirale), couples qui peuvent tous former deux quelconques des trois axes d’un de ces systèmes. De même que chaque point de l’étendue est centre en puissance, comme nous l’avons dit plus haut, toute droite de cette même étendue est axe en puissance, et, même lorsque le centre aura été déterminé, chaque droite passant par ce point sera encore, en puissance, l’un quelconque des trois axes. Quand on aura choisi l’axe central ou principal d’un système, il restera encore à fixer les deux autres axes dans le plan perpendiculaire au premier et passant également par le centre ; mais il faut que, comme le centre lui-même, les trois axes soient aussi déterminés pour que la croix soit tracée effectivement, c’est-à-dire pour que l’étendue tout entière puisse être réellement mesurée selon ses trois dimensions.

On peut envisager comme coexistants tous les systèmes tels que notre représentation verticale, ayant respectivement pour axes centraux toutes les droites passant par le centre, car ils sont en effet coexistants à l’état potentiel, et, d’ailleurs, cela n’empêche nullement de choisir ensuite trois axes de coordonnées déterminés, auxquels on rapportera toute l’étendue. Ici encore, tous les systèmes dont nous parlons ne sont en réalité que les différentes positions du même système, lorsque son axe prend toutes les positions possibles autour du centre, et ils s’interpénètrent pour la même raison que précédemment, c’est-à-dire parce que chacun d’eux comprend tous les points de l’étendue. On peut dire que c’est le point principiel dont nous avons parlé, indépendant de toute détermination et représentant l’être en soi, qui effectue ou réalise cette étendue, jusqu’alors toute potentielle et conçue comme une pure possibilité de développement, en remplissant le volume total, indéfini à la troisième puissance, par la complète expansion de ses virtualités dans toutes les directions. D’ailleurs, c’est précisément dans la plénitude de l’expansion que s’obtient la parfaite homogénéité, de même que, inversement, l’extrême distinction n’est réalisable que dans l’extrême universalité(1) ; au point central de l’être, il s’établit, comme nous l’avons dit plus haut, un parfait équilibre entre les termes opposés de tous les contrastes et de toutes les antinomies auxquels donnent lieu les points de vue extérieurs et particuliers.

Comme, avec la nouvelle considération de tous les systèmes coexistants, les directions de l’étendue jouent toutes le même rôle, le déploiement qui s’effectue à partir du centre peut être regardé comme sphérique, ou mieux sphéroïdal : le volume total est, ainsi que nous l’avons déjà indiqué, un sphéroïde qui s’étend indéfiniment dans tous les sens, et dont la surface ne se ferme pas, non plus que les courbes que nous avons décrites auparavant ; d’ailleurs, la spirale plane, envisagée simultanément dans toutes ses positions, n’est pas autre chose qu’une section de cette surface par un plan passant par le centre. Nous avons dit que la réalisation de l’intégralité d’un plan se traduisait par le calcul d’une intégrale simple ; ici, comme il s’agit d’un volume, et non plus d’une surface, la réalisation de la totalité de l’étendue se traduirait par le calcul d’une intégrale double(2) ; les deux constantes arbitraires qui s’introduiraient dans ce calcul pourraient être déterminées par le choix de deux axes de coordonnées, le troisième axe se trouvant fixé par là même, puisqu’il doit être perpendiculaire au plan des deux autres et passer par le centre. Nous devons encore remarquer que le déploiement de ce sphéroïde n’est, en somme, pas autre chose que la propagation indéfinie d’un mouvement vibratoire (ou ondulatoire, ces deux termes étant au fond synonymes), non plus seulement dans un plan horizontal, mais dans toute l’étendue à trois dimensions, dont le point de départ de ce mouvement peut être actuellement regardé comme le centre. Si l’on considère cette étendue comme un symbole géométrique, c’est-à-dire spatial, de la Possibilité totale (symbole nécessairement imparfait, puisque limité par sa nature même), la représentation à laquelle nous avons ainsi abouti sera la figuration, dans la mesure où elle est possible, du vortex sphérique universel suivant lequel s’écoule la réalisation de toutes choses, et que la tradition métaphysique de l’Extrême-Orient appelle Tao, c’est-à-dire la « Voie ».