CHAPITRE XXI
Détermination des éléments
de la représentation de l’être

Par ce que nous venons d’exposer, nous avons poussé jusqu’à ses extrêmes limites concevables, ou plutôt imaginables (puisque c’est toujours d’une représentation d’ordre sensible qu’il s’agit), l’universalisation de notre symbole géométrique, en y introduisant graduellement, en plusieurs phases successives, ou, pour parler plus exactement, envisagées successivement au cours de notre étude, une indétermination de plus en plus grande, correspondant à ce que nous avons appelé des puissances de plus en plus élevées de l’indéfini, mais toutefois sans sortir de l’étendue à trois dimensions. Après en être arrivé à ce point, il nous va falloir refaire en quelque sorte le même chemin en sens inverse, pour rendre à la figure la détermination de tous ses éléments, détermination sans laquelle, tout en existant tout entière à l’état virtuel, elle ne peut être tracée effectivement ; mais cette détermination, qui, à notre point de départ, était seulement envisagée pour ainsi dire synthétiquement, comme une pure possibilité, deviendra maintenant réelle, car nous pourrons marquer la signification précise de chacun des éléments constitutifs du symbole crucial par lequel elle est caractérisée.

Tout d’abord, nous envisagerons, non l’universalité des êtres, mais un seul être dans sa totalité ; nous supposerons que l’axe vertical soit déterminé, et ensuite que soit également déterminé le plan passant par cet axe et contenant les points extrêmes des modalités de chaque état ; nous reviendrons ainsi au système vertical ayant pour base plane la spirale horizontale considérée dans une seule position, système que nous avions déjà décrit précédemment. Ici, les directions des trois axes de coordonnées sont déterminées, mais l’axe vertical seul est effectivement déterminé en position ; l’un des deux axes horizontaux sera situé dans le plan vertical dont nous venons de parler, et l’autre lui sera naturellement perpendiculaire ; mais le plan horizontal qui contiendra ces deux droites rectangulaires reste encore indéterminé. Si nous déterminions ce plan, nous déterminerions aussi par là même le centre de l’étendue, c’est-à-dire l’origine du système de coordonnées auquel cette étendue est rapportée, puisque ce point n’est autre que l’intersection du plan horizontal de coordonnées avec l’axe vertical ; tous les éléments de la figure seraient alors effectivement déterminés, ce qui permettrait de tracer la croix à trois dimensions, mesurant l’étendue dans sa totalité.

Nous devons encore rappeler que nous avions eu à considérer, pour constituer le système représentatif de l’être total, d’abord une spirale horizontale, et ensuite une hélice cylindrique verticale. Si nous considérons isolément une spire quelconque d’une telle hélice, nous pourrons, en négligeant la différence élémentaire de niveau entre ses extrémités, la regarder comme une circonférence tracée dans un plan horizontal ; on pourra de même prendre pour une circonférence chaque spire de l’autre courbe, la spirale horizontale, si l’on néglige la variation élémentaire du rayon entre ses extrémités. Par suite, toute circonférence tracée dans un plan horizontal et ayant pour centre le centre même de ce plan, c’est-à-dire son intersection avec l’axe vertical, pourra inversement, et avec les mêmes approximations, être envisagée comme une spire appartenant à la fois à une hélice verticale et à une spirale horizontale(1) ; il résulte de là que la courbe que nous représentons comme une circonférence n’est en réalité, rigoureusement parlant, ni fermée ni plane.

Une telle circonférence représentera une modalité quelconque d’un état d’être également quelconque, envisagée suivant la direction de l’axe vertical, qui se projettera lui-même horizontalement en un point, centre de la circonférence. D’autre part, si l’on envisageait celle-ci suivant la direction de l’un ou de l’autre des deux axes horizontaux, elle se projetterait en un segment, symétrique par rapport à l’axe vertical, d’une droite horizontale formant avec ce dernier une croix à deux dimensions, cette droite horizontale étant la trace, sur le plan vertical de projection, du plan dans lequel est située la circonférence considérée.

En ce qui concerne la signification de la circonférence avec le point central, celui-ci étant la trace de l’axe vertical sur un plan horizontal, nous ferons remarquer que, suivant un symbolisme tout à fait général, le centre et la circonférence représentent le point de départ et l’aboutissement d’un mode quelconque de manifestation(2) ; ils correspondent donc respectivement à ce que sont, dans l’Universel, l’« essence » et la « substance » (Purusha et Prakriti dans la doctrine hindoue), ou encore l’Être en soi et sa possibilité, et ils figurent, pour tout mode de manifestation, l’expression plus ou moins particularisée de ces deux principes envisagés comme complémentaires, actif et passif l’un par rapport à l’autre. Ceci achève de justifier ce que nous avons dit précédemment sur la relation existant entre les divers aspects du symbolisme de la croix, car nous pouvons déduire de là que, dans notre représentation géométrique, le plan horizontal (que l’on suppose fixe en tant que plan de coordonnées, et qui peut d’ailleurs occuper une position quelconque, n’étant déterminé qu’en direction) jouera un rôle passif par rapport à l’axe vertical, ce qui revient à dire que l’état d’être correspondant se réalisera dans son développement intégral sous l’influence active du principe qui est représenté par l’axe(3) ; ceci pourra être mieux compris par la suite, mais il importait de l’indiquer dès maintenant.