CHAPITRE XXII
L’Anthroposophie de Rudolf Steiner
Les théosophistes n’ont vraiment pas eu à se louer de leurs rapports avec les soi-disant Rosicruciens allemands : nous avons parlé précédemment des démêlés de Mme Blavatsky avec le Dr Franz Hartmann ; nous venons de voir comment, au début de 1913 et à propos de l’affaire Alcyone, Rudolf Steiner, secrétaire général de la section allemande de la Société Théosophique, se sépara entièrement de Mme Besant(1). Pour se venger, celle-ci, prenant prétexte de ce que Steiner (né en 1861 à Kraljevic, en Hongrie) appartient à une famille catholique (et non juive comme certains l’ont prétendu), l’accusa d’être un Jésuite(2) ; si cela était vrai, il faudrait reconnaître qu’elle avait mis quelque temps à s’en apercevoir, car Steiner faisait partie de sa Société depuis une quinzaine d’années, et que sa « clairvoyance » ne lui avait guère servi en la circonstance. Cette accusation toute gratuite de « jésuitisme » est presque aussi courante que celle de « magie noire » dans les milieux « néo-spiritualistes », et elle ne mérite certes pas qu’on s’y arrête ; il y a des occultistes pour qui la crainte des Jésuites ou de leurs émissaires plus ou moins déguisés est devenue une véritable obsession(A). D’autre part, certains auteurs, et parmi eux Mme Blavatsky (qui avait peut-être emprunté cette idée à l’écrivain maçonnique J.-M. Ragon), n’ont pas hésité à attribuer aux Jésuites la fondation du grade de Rose-Croix dans la Maçonnerie écossaise ; d’autres prétendent que les Jésuites s’introduisirent au xviiie siècle dans diverses organisations rosicruciennes et les détournèrent de leur but primitif ; d’autres encore, allant plus loin, veulent identifier les Rose-Croix du xviie siècle eux-mêmes avec les Jésuites : autant de fantaisies pseudo-historiques qui ne résistent pas au moindre examen, et que nous ne mentionnons que pour montrer que, sous ce rapport, Mme Besant n’a rien inventé ; voyant se dresser devant elle un adversaire qui était d’origine catholique et se recommandait d’une école rosicrucienne (d’ailleurs imprécise et peut-être inexistante), elle ne pouvait manquer de le dénoncer comme un Jésuite(3). Quelques-uns ont cru que cette querelle entre Steiner et Mme Besant n’avait été qu’une simple comédie(4) ; bien qu’il faille toujours se méfier des apparences, nous ne pensons pas qu’il en soit ainsi, et, à notre avis, il y eut là au contraire une scission véritable, qui, outre l’affaire qui en fut l’occasion avouée, et sans parler de la question de rivalité personnelle, peut bien avoir eu aussi quelques motifs politiques ; sans doute, de part et d’autre, on s’est toujours défendu de faire de la politique, mais nous verrons plus loin que la Société Théosophique n’en a pas moins servi fidèlement les intérêts de l’impérialisme britannique, dont ses adhérents allemands étaient sans doute fort peu disposés à faire le jeu, étant allemands avant d’être théosophistes.
Nous avons dit que Steiner donna à sa nouvelle organisation le nom de « Société Anthroposophique », avec une intention manifeste de concurrence à l’égard de la Société Théosophique, aussi bien que pour caractériser sa conception propre, qui fait en effet de l’homme le centre de ce qu’il appelle la « science spirituelle ». Il faut ajouter, du reste, que le mot d’« anthroposophie » n’est pas, comme on pourrait le croire, un néologisme imaginé par Steiner, car un ouvrage du Rosicrucien Eugenius Philalethes ou Thomas Vaughan, qui date de 1650, a pour titre Anthroposophia Magica. La Société Anthroposophique a pris pour devise : « La Sagesse n’est que dans la Vérité », par imitation de celle de la Société Théosophique : « Il n’y a pas de religion plus haute que la Vérité » ; cette dernière n’est d’ailleurs qu’une traduction fort défectueuse de la devise des Mahârâjas de Bénarès(5). Voici les principes sur lesquels la nouvelle organisation déclare se fonder, d’après une brochure de propagande qui fut publiée à l’époque même de sa création : « Pour se former une vie satisfaisante et saine, la nature humaine a besoin de connaître et de cultiver sa propre essence suprasensible et l’essence suprasensible du monde extérieur à l’homme. Les investigations naturelles de la science moderne ne peuvent pas conduire à un tel but, bien qu’appelées à rendre d’inestimables services dans les limites de leur tâche et de leur domaine. La Société Anthroposophique va poursuivre ce but par l’encouragement des recherches sérieuses et vraies dirigées vers le suprasensible, et par l’entretien de l’influence que ces recherches exercent sur la conduite de la vie humaine. Une investigation vraie de l’esprit, et l’état d’âme qui en résulte, doivent donner à la Société Anthroposophique son caractère, dont l’expression peut se résumer dans les principes directeurs suivants : 1o Une collaboration fraternelle peut s’établir au sein de la Société entre tous les hommes acceptant comme base de cette collaboration affectueuse un fonds spirituel commun à toutes les âmes, quelle que soit la diversité de leur foi, de leur nationalité, de leur rang, de leur sexe, etc. 2o L’investigation des réalités suprasensibles cachées derrière toutes les perceptions de nos sens s’unira au souci de propager une science spirituelle véritable. 3o Le troisième objet de ces études sera la pénétration du noyau de vérité que renferment les multiples conceptions de la vie et de l’univers chez les différents peuples à travers les âges »(6). On retrouve là des tendances qui sont tout à fait analogues à celles de la Société Théosophique : d’une part, l’idée de « fraternité universelle » et le « moralisme » qui s’y rattache plus ou moins étroitement, car « la Société Anthroposophique s’orientera vers un idéal de coopération humaine… et n’atteindra son but spirituel que si ses membres se consacrent à un idéal de vie qui peut servir d’idéal universel à la conduite de la vie humaine »(7) ; d’autre part, l’annonce d’« une méthode d’investigation spirituelle qui sait pénétrer dans les mondes suprasensibles »(8), et qui consiste évidemment dans un développement de la « clairvoyance » ou de quelque autre faculté similaire, quelque soit le nom sous lequel on la désignera(9).
Naturellement, la Société Anthroposophique se défend de vouloir constituer une religion, et même de se rattacher à n’importe quelle croyance particulière : « Rien ne doit rester plus étranger aux efforts de la Société qu’une activité favorable ou hostile à une orientation religieuse quelle qu’elle soit, car son but est l’investigation spirituelle, et non pas la propagation d’une foi quelconque ; aussi toute propagande religieuse sort-elle de ses attributions »(10). Assurément, cela n’est que logique de la part de gens qui ont précisément reproché à Mme Besant d’avoir forfait aux principes théosophiques en se livrant à une « propagande religieuse » ; mais ce qu’il faut tout particulièrement noter à cet égard, c’est qu’on aurait le plus grand tort de croire que les doctrines du Dr Steiner se présentent avec un caractère spécifiquement chrétien : « L’investigateur spirituel qui contemple les plus nobles créations du génie humain au cours de son développement, ou qui approfondit les conceptions philosophiques ou les dogmes de tous les peuples et de tous les temps, ne s’attachera pas à la valeur même de ces dogmes ou de ces idées ; il les considérera comme une expression de l’effort humain, tendu vers la solution des grands problèmes spirituels intéressant l’humanité. Aussi une désignation empruntée à une confession particulière ne saurait-elle énoncer le caractère fondamental de la Société. » Ainsi, les religions sont mises ici sur le même rang que les simples conceptions philosophiques et traitées comme des faits purement humains, ce qui est bien un point de vue « anthroposophique », ou même « anthropologique » ; mais poursuivons : « Si, par exemple, l’impulsion imprimée à l’évolution humaine par la personnalité du Christ est étudiée au cours des investigations de la science spirituelle, cette étude ne procédera pas des données d’une confession religieuse. Le résultat obtenu pourra être accueilli par le croyant d’une confession quelconque, au même titre qu’un fidèle de la religion hindoue ou du Bouddhisme se familiariserait avec l’astronomie de Copernic, qui ne fait pas davantage partie de ses documents religieux. Cette impulsion attribuée au Christ est le résultat exclusif d’investigations (sic) ; elle est présentée de façon à pouvoir être admise par les croyants de toute religion, et non pas seulement par les fidèles chrétiens à l’exclusion des autres »(11). La comparaison avec l’astronomie de Copernic est vraiment une trouvaille admirable ; sans doute, il ne s’agit là que d’une exposition tout extérieure, où il n’est aucunement fait mention du Rosicrucianisme, et où, par une discrétion plutôt excessive, le nom de Steiner ne figure même pas, puisqu’on y dit seulement que la Société Anthroposophique a à sa tête un « Comité fondateur » composé du Dr Karl Unger, de Mlle Marie von Sivers(B) et de M. Michel Bauer, et ayant son siège provisoire à Berlin. Pour connaître un peu le fond de la pensée de Steiner, c’est plutôt à ses ouvrages qu’il faut s’adresser, et l’on voit alors que, si sa doctrine peut, sous un certain aspect, être regardée comme une sorte de « Christianisme ésotérique », c’est encore dans un sens qui ne diffère pas très sensiblement de ce qu’on rencontre sous ce nom chez les autres théosophistes ; en voici un exemple : « Le disciple, par la force de son initiation, se trouve initié au mystère auguste qui est uni au nom du Christ. Le Christ se montre à lui comme le grand idéal terrestre. Lorsque l’intuition a ainsi reconnu le Christ dans le monde spirituel, le disciple comprend le fait historique qui s’est passé sur la terre au cours de la période gréco-latine, et comment le Grand Être Solaire que nous appelons le Christ est alors intervenu dans l’évolution. C’est pour le disciple une expérience personnelle que la connaissance de ce fait »(12). Ici, il n’est pas question du « Bodhisattwa », car la façade simili-orientale du théosophisme a disparu ; mais le « Grand Être Solaire » dont il s’agit est vraisemblablement identique au Logos de notre système, tel que Mme Blavatsky le conçut d’après ce qu’elle crut comprendre du néo-platonisme, et tel que le conçoivent encore ses successeurs(13), qui en font le chef suprême des sept Logoï planétaires, et, par eux, de « la hiérarchie des puissants Adeptes qui s’élève jusqu’à la Divinité elle-même »(14) en vertu de ce rattachement. Steiner diffère donc de Mme Besant en ce qu’il voit dans le Christ la manifestation d’un principe plus élevé, à moins que ce ne soit simplement une manifestation plus directe du même principe, par la suppression d’un certain nombre d’entités intermédiaires (deux exactement), car il y a toujours moyen de concilier de pareilles divergences quand on veut bien y apporter un peu de bonne volonté de part et d’autre, et d’ailleurs elles n’ont jamais été mises en avant pour motiver la rupture.
À propos de l’ouvrage de Steiner auquel nous avons emprunté la citation précédente, il convient de faire une remarque assez curieuse : ce livre, intitulé La Science Occulte, fut publié à Leipzig en 1910 ; or, l’année précédente, il avait paru à Seattle (Washington) un autre ouvrage ayant pour titre The Rosicrucian Cosmo-Conception, par Max Heindel, dans lequel étaient exposées des théories tout à fait semblables dans leur ensemble. On pourrait donc, au premier abord, penser que Steiner, qui ne donne aucune explication de l’identité de ses affirmations avec celles de Heindel, a fait des emprunts à celui-ci ; mais, d’autre part, comme Heindel a dédié son livre à Steiner lui-même, il est permis de supposer qu’il a au contraire tiré ses idées des enseignements de ce dernier avant qu’ils n’aient été rendus publics, à moins pourtant que tous deux n’aient simplement puisé à une source commune. En tout cas, la différence la plus appréciable qu’il y ait entre eux (toute question de forme mise à part), c’est que Heindel n’hésite pas à attribuer nettement ses conceptions à la tradition rosicrucienne, tandis que Steiner se contente le plus souvent de parler au nom de la « science occulte », d’une façon extrêmement générale et vague, ce qui, du reste, est peut-être plus prudent. En effet, il n’est pas bien difficile de s’apercevoir que la plus grande partie des enseignements de Heindel, aussi bien que de ceux de Steiner, est tirée directement de la Doctrine Secrète, avec quelques modifications qui ne portent guère que sur les détails, mais en écartant avec soin tous les termes d’apparence orientale ; aussi ces conceptions n’ont-elles que fort peu de rapports avec le Rosicrucianisme authentique, et même ce qui y est présenté plus spécialement comme « terminologie rosicrucienne », ce sont presque toujours des expressions inventées par Mme Blavatsky. À un autre point de vue aussi, il y a, dans la réserve que garde Steiner, la preuve d’une certaine habileté, car on a toujours dit que les vrais Rose-Croix ne se proclamaient jamais tels, mais tenaient au contraire cette qualité cachée ; c’est sans doute une des raisons pour lesquelles Steiner évite de dire expressément, dans ses publications, qu’il se rattache au Rosicrucianisme, ce qui n’empêche qu’il le donne du moins à entendre et qu’il serait sûrement fort affligé qu’on ne le crût point. Nous ajouterons qu’il a dû se produire assez rapidement une scission entre Steiner et Heindel, car la dédicace de The Rosicrucian Cosmo-Conception a disparu dans les éditions plus récentes, et Heindel, qui a constitué de son côté une « Rosicrucian Fellowship » ayant son siège à Oceanside (Californie)(C), a écrit dans un autre ouvrage, publié en 1916, que le premier messager qui avait été choisi et instruit par les Frères de la Rose-Croix pour répandre leurs enseignements échoua dans certaines épreuves, de sorte qu’il fallut en chercher un second, qui n’est autre que Heindel lui-même(15) ; et, bien que le premier ne soit pas nommé, il est certain que c’est de Steiner qu’il s’agit.
En ce qui concerne l’organisation de la Société Anthroposophique, voici quelques renseignements que nous trouvons dans la brochure dont nous avons déjà cité des extraits : « Le travail de la Société s’organisera par groupes libres pouvant se former de façon indépendante dans tous les pays ou en tous lieux. Ces groupes pourront rester séparés ou se réunir, former des sociétés entre eux ou des associations plus libres, s’inspirant uniquement des conditions dictées par les circonstances de leur milieu. La Société Anthroposophique, dans ses visées réelles, n’est nullement une société au sens s’attachant d’habitude à ce mot ; le lien unissant les membres ne consiste pas en une organisation issue d’un règlement ou en tout autre cadre extérieur. » Il y a dans cette dernière phrase une idée qui pourrait être intéressante, d’autant plus que, effectivement, les vrais Rose-Croix n’ont jamais constitué de sociétés ; mais, si le mot de « société » est impropre, pourquoi donc s’en servir, et cela dans le titre même de l’organisation dont il s’agit ? « Seule, la culture de la science spirituelle au sens idéal consacré par l’exposé qui précède, confère au titre de membre sa physionomie intégrale et véritable. Ce titre, toutefois, entraîne certains droits comme, par exemple, l’accès de certains écrits de science spirituelle réservés aux seuls membres(16), et d’autres prérogatives de ce genre… Au point de vue extérieur, le lien de la Société Anthroposophique ne différera ainsi en rien de ce qu’il serait, par exemple, au sein d’une société anthropologique ou d’une autre similaire »(17). Cela suppose évidemment qu’il existe, « au point de vue intérieur », un lien d’une autre nature, mais sur lequel on ne s’explique pas ; nous devons donc retrouver ici l’équivalent de la division de la Société Théosophique en « section exotérique » et « section ésotérique ». En effet, les enseignements que l’on dit être réservés aux membres ne sont pas donnés à tous ceux-ci indistinctement, ou du moins ils ne le sont qu’en partie ; il y a, dans la Société Anthroposophique, une autre organisation déjà formée antérieurement par Steiner, et qui en constitue maintenant le « cercle intérieur » ; cette organisation, sur laquelle aucune information n’est donnée publiquement, s’affirme rosicrucienne, et on y emploie, pour la réception des membres, des formes d’initiation tout à fait analogues à celles qui sont en usage dans la Maçonnerie(18), trop analogues même, car il y a là encore une raison, parmi bien d’autres, de douter de l’authenticité de ce Rosicrucianisme. Nous ne pouvons que rappeler à ce propos ce que nous avons dit précédemment : la plupart des groupements actuels qui se parent de cette étiquette ne peuvent revendiquer qu’une filiation toute fantaisiste, ou, tout au plus, un simple rattachement théorique ; c’est là, si l’on veut, un Rosicrucianisme d’intention, mais nous ne pensons pas qu’on puisse y voir autre chose, à moins que l’on ne prétende que l’emploi de certains symboles, indépendamment de toute autre considération et même du sens qu’on y attache, est suffisant pour constituer un lien effectif(19). Bien entendu, nous en dirons autant, à plus forte raison, pour ce qui est d’un rattachement supposé aux mystères antiques, dont il est fréquemment question dans les ouvrages de Steiner(20)(D) ; nous verrons que l’idée de la « restauration des mystères » existe aussi chez Mme Besant et ses adhérents ; mais il ne peut s’agir en tout cela que d’essais de reconstitution pour lesquels on compte s’appuyer surtout sur l’« intuition » ou sur la « clairvoyance », et qui, par suite, seront toujours extrêmement sujets à caution.
Quoi qu’il en soit, on peut maintenant voir comment, dans la Société Anthroposophique, la très large autonomie qui est promise aux divers groupes extérieurs ne compromet pas l’unité de direction : il suffira qu’il y ait, dans chacun de ces groupes, et même sans qu’ils soient nécessairement à leur tête, des « initiés » de l’organisation intérieure, qui se chargeront de transmettre, non pas précisément des ordres, mais plutôt des suggestions ; c’est généralement ainsi que les choses se passent dans les associations de ce genre. D’ailleurs, la Société Théosophique comprend aussi des sections ou des sociétés nationales qui possèdent l’autonomie administrative, et cela n’empêche pas la direction centrale d’exercer en fait un pouvoir presque absolu ; là aussi, c’est l’existence de la « section ésotérique », avec le serment d’obéissance qu’on fait prêter à ses membres, qui en fournit la possibilité. L’indépendance apparente est bien faite pour séduire ceux qui ne savent pas qu’elle n’est qu’illusoire, et c’est sans doute ce qui permit à la Société Anthroposophique de recueillir, dès son début, des adhésions plus ou moins nombreuses dans presque tous les pays ; elle en eut même quelques-unes en Angleterre, et elle en eut aussi en France, où nous nommerons seulement, comme ses représentants les plus connus, M. Édouard Schuré, dont nous avons eu déjà l’occasion de parler (et qui, après avoir quitté la Société Théosophique dès 1886, y était rentré en 1907), M. Eugène Lévy, Mme Alice Bellecroix et M. Jules Sauerwein, rédacteur au Matin et traducteur des ouvrages de Steiner.
D’un autre côté, Steiner voulut réaliser une idée très analogue à celle du monastère théosophique de Franz Hartmann : il fit construire à Dornach, près de Bâle(E), un temple « où les fervents de la science de l’esprit pourraient s’assembler, s’instruire et s’édifier dans un lieu préparé pour eux ». La description en est trop curieuse pour que nous n’en reproduisions pas quelques extraits : « L’édifice reflète bien la doctrine exposée par M. Steiner dans un grand nombre d’ouvrages et de conférences. Deux vastes coupoles s’élèvent sur la colline dominant un cirque boisé, couronné de vieilles ruines… Une des coupoles, plus grande que l’autre, symbolise l’Univers avec ses harmonies et les stades successifs de son évolution. Comme le nombre sept est celui qui, en occultisme, représente le déroulement des choses dans le temps, cette coupole est supportée par sept immenses colonnes de chaque côté. Les colonnes sont en forme de pentagrammes, constituées par des triangles qui s’emboîtent les uns dans les autres. Au-dessus de chaque colonne, un chapiteau orné représente une des formes planétaires de notre monde… La petite coupole est, pour ainsi dire, engagée dans la grande dont elle est issue. Sous cette coupole règne le nombre douze, celui de l’espace. Douze colonnes symbolisent les douze influences zodiacales, qui descendent sur le “microcosme” ou monde de l’être humain, tandis que, tout autour de l’édifice, des vitraux, dessinés par M. Steiner lui-même, peignent sous des couleurs sensibles les étapes du progrès de l’âme… M. Rudolf Steiner pense qu’un édifice où l’on doit étudier les forces de la nature doit, dans toutes ses parties, exprimer l’effort incessant, la métamorphose constante qui marquent le progrès de l’Univers »(20). Pour subvenir aux frais de la construction, qui devaient s’élever à trois millions, il avait été constitué une association immobilière appelée « Société de Saint-Jean » (Johannes-bau-Verein), par allusion aux anciennes confréries de Maçons opératifs. Le temple devait être achevé vers la fin de 1914, mais la guerre eut pour effet d’interrompre les travaux ou tout au moins de les retarder, et ce n’est qu’en 1920, croyons-nous, que l’édifice put enfin être inauguré(F) ; il contient, entre autres choses, un théâtre où l’on doit jouer les « drames ésotériques » de MM. Steiner et Schuré(21). Ajoutons que le Dr Steiner exerce une influence de plus en plus grande sur ses disciples, et que ceux-ci, qui étaient déjà plus de quatre mille en 1914, et parmi lesquels il y a beaucoup de femmes, ont pour lui une admiration et une vénération égales à celles que les théosophistes « orthodoxes », si l’on peut employer ce mot en pareil cas, professent à l’égard de Mme Besant(G).