L’Initiation Maçonnique
du F/ Bonaparte(*)(1)
[Tableau.]
Les principaux documents maçonniques représentant Bonaparte en F/ M/ sont assez rares. Ils proviennent, en partie, du F/ Kiener, et consistent dans un tableau allégorique sous forme de carte-lettre publié par les soins du G/ / de France et citant :
3 – Berceau Historique des Mystères de la Franc-Maçonnerie ou des Souverains ou Chefs d’États affiliés à la Maçonnerie (Nous avons jadis étudié soigneusement ce tableau dans La France Antimaçonnique). Bonaparte est transporté par un aigle et enlevé au ciel des FF/. Il est en costume de général, botté, éperonné, tenant l’aigle par le cou. Cet aigle soutient dans ses serres une équerre, une règle et une clé qui nous paraît réellement suspecte.
Le F/ Kiener, précité, nous a laissé deux petits tableaux qui ornent le musée de la France Antimaçonnique.
L’un d’eux intitulé les CINQ ONCLES, reproduit dans une sorte de Croix de la Légion d’honneur.
Cette croix est portée, symboliquement, dans les serres d’un aigle avec cette légende : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 1792. Au centre, le F/ Kiener a ménagé, dans ces deux croix, une étoile flamboyante à cinq branches, agrémentée de la lettre capitale et rituélique G, entourée par les quatre initiales traditionnelles J/ B/ M/ B/.
1 – Napoléon Bonaparte (Ier Consul et Empereur), Protecteur de l’Ordre des F/ M/, né le 15 août 1769.
2 – Joseph-Napoléon Bonaparte (Ex-Roi d’Espagne), Grand-Maître de l’Ordre des F/ M/, né le 7 janvier 1768.
3 – Louis-Napoléon Bonaparte (Ex-Roi d’Hollande), né le 1er septembre 1784.
4 – Jérôme-Napoléon Bonaparte (Ex-Roi de Westphalie), né le 15 décembre 1784.
5 – Lucien-Napoléon Bonaparte (Président du Conseil des Cinq-Cents), né en 1775.
Joseph Kiener, R/ C/, Éditeur, Place Maubert, 41.
Le second tableau reproduit aussi dans une Croix de la Légion d’honneur et sous le titre les CINQ NEVEUX ; il est également soutenu par un aigle, avec la devise : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 1848.
1 – François-Charles Joseph (fils de Napoléon). Né le 20 mars 1811.
2 – Napoléon Bonaparte (fils de Jérôme). Né le 9 septembre 1822.
3 – Charles-Louis Napoléon Bonaparte (fils de Louis). Né le 20 avril 1808.
4 – Lucien Murat (fils de Joachin Murat). Né en 1803.
5 – Pierre Bonaparte (fils de Lucien). Né le 11 octobre 1815.
Les vitrines des Collections des reliques napoléoniennes rassemblées par le Prince Victor Napoléon et la Princesse Clémentine, à Bruxelles, renferment des cordons et un tablier de maîtres et un autre tablier portant les initiales S/ B/ Nous trouvons vraiment étrange que ces princes aient réuni dans ces vitrines des oripeaux franc-maçonniques qu’on ne se vante pas de conserver dans sa famille.
Bonaparte croyant consolider son trône impérial, se rendit au camp de Boulogne, pour distribuer à l’armée la Croix de la Légion d’honneur. Au centre du camp fut placé le siège antique du Roi Dagobert, qui servit de trône à l’Empereur. Les décorations qui devaient être distribuées aux Légionnaires avaient été placées dans le casque de Duguesclin (au milieu des accessoires recueillis au Musée du Grand-Orient, on voit un casque de Rose-Croix, casque servant, pendant les tenues de R/ C/, de casque de bienfaisance, de proposition, etc.).
Nous avons jadis reproduit (25e année, no 6, p. 65), un article de L’Acacia intitulé : La visite de Bonaparte à l’O/ de Nancy, qui ne laissait aucun doute sur la qualité maçonnique de Napoléon Ier.
Une nouvelle preuve nous est fournie par les documents que M. Benjamin Fabre vient de publier dans son très intéressant ouvrage sur Franciscus, Eques a Capite Galeato. Voici ce qu’il dit à ce sujet (p. 250) :
« Il est sûr que Bonaparte était Maçon. Pyron, un vrai chef de la Maçonnerie, l’affirme ou plutôt le rappelle, en passant. Il ne prétend annoncer rien de bien nouveau, rien surtout qui puisse surprendre L’Eques a Capite Galeato, son correspondant. L’Empereur avait été autrefois admis dans un Régime Écossais. En quel lieu et quand ? Bonaparte aurait été initié à Malte, après la prise de cette île. L’historien Clavel a recueilli cette tradition. Et donc les Frères du Régime Écossais étaient les Frères de sa Majesté l’Empereur. »
Voici le passage de la lettre du F/ Pyron à laquelle il est fait allusion ici, et qui se trouve reproduite un peu plus loin (pp. 256-257) :
« Le Grand-Orient chercha à sortir de sa léthargie, nomma un Grand-Maître, des Grands-Officiers d’honneur ; nous en fîmes autant. Il prit des nôtres ; nous prîmes des siens. Et nos batteries étaient en présence, lorsque Sa Majesté l’Empereur et Roy, membre de notre Rit, désira la réunion de ces deux Rits en un seul corps maçonnique. »
Ce projet d’unification des divers Rites, sous les auspices du Grand-Orient, devait être repris plus tard par le F/ Napoléon III, lorsqu’il voulut imposer le maréchal Magnan comme Grand-Maître à la Maçonnerie française toute entière, ce qui provoqua la protestation bien connue du F/ Viennet, Grand Commandeur du Suprême Conseil Écossais.
Mais revenons à l’initiation de Napoléon Ier. Le F/ Clavel, dans son Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie (p. 242), dit que « l’Empereur avait été reçu Maçon à Malte, lors du séjour qu’il fit dans cette île en se rendant en Égypte. » Il raconte ensuite (pp. 244-245) l’histoire de la visite que Napoléon fit incognito à la Loge du faubourg Saint-Marcel. Cette histoire a été déjà rappelée par la France Antimaçonnique à propos de l’article précédemment cité.
La date de l’initiation de Napoléon, ou plutôt du Général Bonaparte, est précisée par le F/ J. T. Lawrence, Past Assistant Grand Chaplain de la Grande Loge d’Angleterre, qui, dans un ouvrage intitulé By-Ways of Freemasonry (p. 171) cite, parmi les souverains ayant appartenu à la Maçonnerie, « Napoléon Bonaparte, initié à Malte en juin 1798. »
Cependant, d’après l’article de L’Acacia, la visite à l’O/ de Nancy « fut faite le 3 décembre 1797 » ; cette contradiction apparente s’explique si l’on admet que Bonaparte, qui alors « n’était que Maître », reçut à Malte, l’année suivante, les hauts grades d’un Régime Écossais. Les FF/ Clavel et Lawrence paraissent donc avoir fait une confusion, et cette question reste à résoudre : où Bonaparte avait-il reçu les grades symboliques ? Peut-être est-ce dans une Loge militaire, mais nous n’avons rien trouvé qui permette de l’affirmer.
Quoi qu’il en soit, signalons encore un autre document qui se trouve dans le Miroir de la Vérité, dédié à tous les Maçons, publié en 1800 par le F/ Abraham(2). Ce volume se termine par deux pièces de vers du F/ Boisson-Quency(3).
La première (pp. 372-379) porte le titre suivant : « Veni, Vidi, Vici : Ode au T/ C/ et T/ R/ F/ Bonaparte, Premier Consul, sur le passage du Mont Saint-Bernard et la bataille de Marengo. »
La seconde (pp. 380-386) est un « poème sur les exploits militaires, les vertus sociales et maçonniques (sic) du T/ C/ et T/ R/ F/ Moreau, Général en chef, membre de la R/ L/ de la Parfaite Union, à l’O/ de Rennes. »
Le rapprochement de ces deux noms est assez singulier, lorsqu’on pense au rôle que devait jouer, à peine quatre ans plus tard, ce même F/ Moreau dans le complot formé contre le F/ Bonaparte par le chef royaliste George Cadoudal(4).
Maintenant, quel est le Régime Écossais (de hauts grades) auquel Bonaparte fut affilié, vraisemblablement, durant son séjour à Malte ? Le F/ Hiram (Ch.-M. Limousin), dans son Résumé de l’Histoire de la Franc-Maçonnerie (p. 359) dit que Napoléon semble avoir été le chargé d’affaires de la Stricte Observance ; mais La France Antimaçonnique a reproduit (25e année, no 40, pp. 434-437), un article de L’Acacia, relatif à La L/ Le Centre des Amis (G/ O/ D/ F/), et dans lequel le F/ É. de Ribaucourt s’élève contre cette affirmation et semble donner à entendre que le Rite auquel appartenait Bonaparte n’était autre que le Régime Écossais Rectifié.
Les Directoires de ce Régime étaient depuis longtemps en relations étroites avec le Grand-Orient de France, comme le montrent ces indications données par Thory dans ses Acta Latomorum :
« 13 avril 1776. – Traité d’union entre les commissaires respectifs du Grand-Orient et des Directoires Écossais établis (en 1774) selon le régime de la Maçonnerie Réformée de Dresde (datant de 1755), à Lyon, Bordeaux et Strasbourg.
« 31 mai. – Ce traité est adopté et sanctionné dans une assemblée extraordinaire. » (Tome Ier, p. 119.)
« 6 mars 1781. – Le Directoire Écossais de Septimanie, séant à Montpellier, ayant formé, le 22 janvier précédent, une demande d’aggrégation (sic) au G/ O/ conforme au traité fait avec les Directoires Écossais en 1776, on arrête que ce même concordat sera commun aux Directoires impétrants. » (Ibid. p. 147.)
Napoléon, en favorisant le Grand-Orient, n’aurait donc fait que suivre la politique adoptée par le Régime Écossais Rectifié ; mais il se peut qu’il ait été aussi affilié, par la suite, au Rite Écossais Ancien et Accepté, apporté d’Amérique en France par le F/ de Grasse-Tilly, en 1804, car c’est sans doute de celui-ci que le F/ Pyron, 33e, secrétaire de la Grande Loge Générale Écossaise, parle dans sa lettre. L’attitude de Napoléon était assurément contraire aux intérêts de ce dernier Rite, aussi bien qu’à ceux du Rite Écossais Philosophique (dont la Mère-Loge avait été fondée en 1776) ; mais ne serait-ce pas précisément parce que ces organisations faisaient concurrence au Régime Écossais Rectifié ? En envisageant la question sous cet aspect, on parviendrait peut-être à éclaircir un peu ce curieux point d’histoire.
A. C. de la Rive.