Le Régime Écossais Rectifié
de 1776 à
1815(*)

Dans notre article sur L’initiation maçonnique du F/ Bonaparte, nous avons parlé du traité d’union conclu, en 1776, entre le Grand-Orient de France et les Directoires du Régime Écossais Rectifié (alors Rite de la Maçonnerie Réformée d’Allemagne), et nous avons cité à ce propos un passage des Acta Latomorum du F/ Thory (Tome Ier, p. 119). Il nous a paru intéressant, comme suite à cet article, de réunir ici les divers extraits du même ouvrage se rapportant à l’histoire générale de ce Rite au cours des années qui suivirent cet événement.

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1777. – Suisse. – À cette époque, des sectaires de toutes les espèces s’étaient emparés des Grandes-Loges d’Allemagne(1), et toutes, ou du moins la plupart, avaient dévié du but de la primitive institution : on n’y trouvait que scissions, haines, divisions ; le même esprit gagnait les Ateliers de leur constitution ; mais la Suisse sait se garantir de ces désordres. Les Frères de l’Helvétie Romande, qui travaillaient sous la constitution anglaise, se rapprochent de ceux de l’Helvétie allemande, qui s’étaient soumis à la constitution germanique. Assemblés à Zurich, ils sentent le besoin de réunir les différentes Loges suisses qui, jusqu’alors, avaient existé isolées et indépendantes, et instituent un centre national pour les diriger.

Des conférences s’établirent cette année, et les confédérés stipulèrent, en 1778, qu’en suivant sa division naturelle en deux langues, la Suisse serait maçonniquement gouvernée par deux Directoires Écossais, savoir : le Directoire Helvétique Allemand, sous la Grande-Maîtrise de M. le Docteur Lavater(2), à la résidence de Zurich, et le Directoire Helvétique Romand, sous la Grande-Maîtrise de ....... (3), à la résidence de Lausanne.

Ces Directoires prirent part aux Convents assemblés cette année dans l’Allemagne, et à celui qui se réunit à Lyon l’année suivante. (PP. 130-131.)

1778. – France. – Le Directoire Écossais de Strasbourg fonde une rente perpétuelle pour élever, instruire, entretenir et établir quatre orphelins, savoir : deux catholiques et deux luthériens. (P. 136.)

Suisse. – 17 mars. – Le Directoire Écossais Helvétique Romand publie ses Constitutions ; son Rite était purement philosophique et non pas hermétique. Les Loges de son aggrégation (sic) étaient gouvernées par des Maîtres instruits, dont le choix appartenait au Directoire. Ces Maîtres restaient en fonctions pendant trois années. (Const. du D. E. H. R., 4 vol. in-4o, Ms., T. I.) (P. 137.)

1779. – Suisse. – 1er avril. – Traité d’union entre les commissaires du Grand-Orient de Genève et ceux du Directoire Helvétique Romand. Ce traité fut ratifié le 29 mars 1780. (P. 142.)

1782. – Suisse. – Les deux Directoires Helvétiques envoient des députés au Convent de Wilhelmsbad(4). Le Docteur Lavater, Grand-Maître, est nommé pour présider la députation.

Novembre. – Le Conseil de Berne interdit l’exercice de la Franche-Maçonnerie (sic) dans les États de sa domination. Le Directoire Helvétique Romand, pour se conformer à ces défenses, prononce la dissolution de toutes les Loges du canton ; lui-même donne l’exemple de la soumission en discontinuant ses assemblées ; mais il pourvoit au maintien de ses relations extérieures en érigeant un comité de trois membres investis des pouvoirs nécessaires, et qui ne devaient signer la correspondance qu’en caractères symboliques ; il prend encore d’autres mesures pour la direction des Loges de sa constitution hors du territoire de Berne, en nommant auprès d’elles des Grands-Inspecteurs revêtus de pouvoirs suffisants. (P. 154.)

1785. – Suisse. – Janvier. – Conférence des Maçons suisses, dans la ville de Zurich, pour délibérer sur les réponses à faire aux proponenda du Convent de Paris. Ils arrêtent qu’ils ne prendront aucune part aux opérations de cette assemblée(5).

Après la fermeture du Convent de Paris, la commission intermédiaire, persuadée que l’assemblée avait été peu nombreuse parce que le lieu de la convocation (Paris) n’avait point été agréable à la plupart des personnes invitées, députe M. Tassin de l’Étang, à Lausanne, pour engager les Maçons de cette ville à donner asile au Convent des Philalèthes lors de sa reprise, la Suisse ayant paru, au plus grand nombre, le lieu le plus convenable(6).

16 juillet. – Le comité directorial délibère qu’il ne peut consentir à cette demande ; il persiste dans sa première résolution, en laissant cependant à ses membres la faculté de prendre part isolément aux nouvelles opérations du Convent, soit qu’il se rassemble en Prusse ou dans toute autre partie de l’Allemagne. (P. 168.)

1788. – Italie. – Le roi de Sardaigne donne l’ordre au Directoire Maçonnique de la Lombardie de se dissoudre ; celui-ci transfère, par acte authentique, tous ses pouvoirs à la Grande Loge Écossaise de La Sincérité, à Chambéry. (P. 181.)

1789. – Suisse. – Cette année, le Directoire Helvétique Romand fait un traité d’alliance et d’amitié avec la Grande Loge d’Angleterre.

9 juin. – Le même Directoire perd son Grand-Chancelier, enlevé par une mort subite ; il était dépositaire des archives de l’Ordre, renfermées dans trois caisses. Le magistrat, chargé de l’apposition des scellés, en sauve deux ; mais la troisième, qui contenait les papiers les plus importants, étant tombée dans les mains d’un fonctionnaire timide, le Directoire ne peut en obtenir la remise : cette circonstance occasionne une perte irréparable à la Société. On a présumé que cette portion des archives avait été brûlée(7). (P. 183.)

1790. – Savoie. – 11 janvier. – La Grande Loge Écossaise de Chambéry ayant été forcée de suspendre ses travaux par ordre du gouvernement, les Loges de sa juridiction se divisent et passent, les unes sous le régime du Grand-Orient de France, et les autres sous celui du Grand-Orient de Genève ; mais la majorité se range sous les bannières du Grand-Directoire Helvétique Romand. (P. 185.)

1793. – Suisse. – Le Directoire Helvétique Romand suspend ses travaux. Les Loges de la Lombardie agrégées à ce corps ferment leurs ateliers. Le Directoire Helvétique Allemand en fait autant. Celui-ci, dont les travaux se tenaient à Zurich, les a postérieurement repris et transportés à Bâle, sous le magister (sic) de M. Burkart, ancien landamann et successeur du Docteur Lavater. Le Directoire Helvétique Allemand professe le Régime Rectifié, selon la doctrine du Convent de Wilhelmsbad. (PP. 193-194.)

1794. – Savoie. – 20 mai. – Victor-Amédée-Marie de Savoie, roi de Sardaigne, rend un édit par lequel il supprime la Franche-Maçonnerie (sic) dans les États soumis à sa domination. (P. 195.)

1808. – France. – Juin. – Le Directoire de Bourgogne, (Régime Rectifié), dont le siège avait été précédemment transféré de Strasbourg à Besançon, nomme le prince Cambacérès à la dignité de Grand-Maître National de l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte. (P. 239.)

1809. – France. – Mars. – Le Directoire d’Auvergne (Régime Rectifié), séant à Lyon(8), nomme le prince Cambacérès Grand-Maître National du Rite des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, en France.

Mai. – Le Directoire de Septimanie, séant à Montpellier, en fait autant ; le prince accepte la dignité, et prête serment en cette qualité.

Un conseil est établi près du Grand-Maître National ; il est composé de M. Fesquet, chancelier de l’Ordre, de M. le chevalier d’Aigrefeuille(9), député de l’arrondissement de Paris, représentant le Directoire du 5e ressort (Bourgogne), de M. Lajard, représentant les Directoires des 2e et 3e ressorts (Auvergne et Septimanie), enfin de M. Monvel, secrétaire national de l’Ordre. (PP. 242-253.)

1810. – Suisse. – 15 octobre. – Fondation, à Lausanne, du Grand-Orient Helvétique Romand(10). M. le chevalier Maurice Glaise est nommé Grand-Maître National. (P. 247.)

1811. – France. – 24 juin. – Le traité signé avec le Régime Rectifié, par les commissaires respectifs du Grand-Orient de France et des Directoires Écossais, est sanctionné à la majorité de dix-huit voix contre sept. (PP. 247-248.)

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Dans le Tome II (pp. 206-220), le F/ Thory donne le texte des traités conclus, en 1776 et 1781, entre le Grand-Orient de France et les Directoires Écossais.

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Il n’est fait aucune mention, dans les Acta Latomorum, de corps du Régime Écossais Rectifié ayant existé à Malte, où aurait été initié le Général Bonaparte ; mais cela ne peut être considéré comme une preuve suffisante qu’il n’y en ait jamais eu. D’ailleurs, sur les Rites de hauts grades qui ont pu être pratiqués dans cette île vers la fin du xviiie siècle, nous ne trouvons dans cet ouvrage qu’une seule indication, qui est la suivante :

1771. – Malte. – Le nommé Kolmer, marchand jutlandais, l’un des émissaires des Clercs de la Stricte-Observance, établit à Malte, dans l’intérieur d’une Loge de Francs-Maçons, un Rite fondé sur la magie, la cabale, la divination et les évocations. Le gouvernement de l’île le fait chasser. Ce Kolmer se lia depuis, dit-on, avec Weishaupt, et l’aida à composer les Rites de l’Illuminatisme (sic). (Tome Ier, pp. 99-100.)

On sait que les Clercs de la Stricte-Observance étaient une scission de l’Ordre du même nom, formée dans l’intention de rivaliser avec celui-ci. Les Clerici prétendaient posséder seuls les secrets de l’association ; ils enseignaient, comme Kolmer, l’alchimie, la magie, la cabale, etc. (Ibid., pp. 300 et 329.)

Comme il est peu probable que le Rite établi à Malte en 1771 y ait été encore en activité en 1798, la question de l’initiation de Bonaparte dans les hauts grades reste encore à élucider définitivement ; comme pour son initiation aux grades symboliques, il est vraiment difficile d’arriver sur ce point à quelque précision.

On remarquera d’ailleurs que le F/ Thory ne fait aucune mention du Régime Écossais Rectifié de 1794 à 1808, et c’est précisément dans cet intervalle que le F/ Bonaparte dut y être admis.