« Houzé Napoleone !
« Vivat il nostro F/ il G/
Napoleone ! »(*)

Nous lisons dans la Bastille, numéro 505 :

Dans deux numéros antérieurs de la Bastille, on a remarqué la reproduction d’une étude très fouillée, donnée par M. de la Rive, dans la France Antimaçonnique, sur « l’Initiation Maçonnique du F/ Bonaparte ».

Dans le même ordre d’idées, une brochure – entièrement inédite, ou du moins nous le croyons – est tombée entre nos mains grâce à de très dévoués et très savants amis de la cause antimaçonnique.

La brochure en question porte aux pages paires un texte italien et aux pages impaires sa traduction française dont voici le titre :

Extrait des premiers travaux de la Grande Loge Générale de l’Ordre Royal de la Franc-Maçonerie (sic) Ecoss/ au Rit Ancien et Accepté sous la dénomination de G/ O/ en Italie. — De l’Imprimerie du G/ O/ d’Italie – 5805.

Nous reviendrons sur ce document de premier ordre ; mais dès aujourd’hui nous en donnons ces lignes essentielles :

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… Il a été adressé au G/ Arch/ de l’U/ l’invocation la plus religieuse sur la consécration de ce Temple mystérieux, implorant de sa toute-puissance qu’il répande sur nous, comme sur toute la Grande Famille Maçonique, le feu sacré du génie de la bienfaisante humanité.

Après cette fervente prière, l’Orateur a proposé au Président de tirer un triple houzé en faveur de Sa Majesté l’Empereur et Roi, comme F/ et Protecteur de notre Ordre : « Grâces t’en soient rendues, a-t-il dit, par les plus hauts de nos nombres mystérieux. Oh, NAPOLÉON ! ta philosophie nous garantit le tollérantisme (sic) de notre religion divine et naturelle ; cette pensée sublime par qui (sic) tu rends au peuple Maçon son antique existence, te méritera sa reconnoissance dans son Culte sacré, il faira (sic) des vœux à l’Être Suprême pour qu’il conserve à jamais à la G/ Famille une tête aussi précieuse. Nous osons mettre à tes pieds les hommages de cet Atelier naissant, puisque c’est par toi que l’élite des Ouvriers dispersés vient avec confiance reprendre ses utiles travaux, ils voient en toi le Père et l’Ami des Maçons, chacun de nous est pénétré de tes hauts bienfaits, et c’est en nous rendant dignes de toi, que tu trouveras en nous des sujets fidèles, qui seront toujours prêts à un dévouement sans bornes pour ton Auguste Personne. »

Le plus vif enthousiasme a régné sur les Colonnes, et chacun des Membres se sont livrés (sic) pendant quelques instants aux acclamations les plus vives de houzé NAPOLÉON, vivat notre F/ le G/ NAPOLÉON !

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En regard de ces dernières lignes, est le texte italien d’où nous détachons ces mots :

…Alle più espressive acclamazioni di houzé NAPOLEONE, vivat il nostro F/ il G/ NAPOLEONE !

Le « triple houzé en faveur de Sa Majesté l’Empereur et Roi, comme Fr/ et Protecteur de notre Ordre », ainsi que le « vivat notre Fr/ le G(rand) / Napoléon » sont suffisamment explicites. Il n’y a donc pas à en douter : aux yeux des FF/ de la « Maçonerie Écossaise », en 1805, Napoléon Ier était Franc-Maçon.

On sait avec quelle servilité les FF/ de France – domestiqués en apparence dans les Loges tant civiles que militaires du Grand-Orient – ont couvert l’Empereur d’adulations. Mais on sait aussi que ni l’affiliation maçonnique de Napoléon, ni le véritable culte dont il fut l’objet dans les Loges françaises n’ont empêché les Sociétés secrètes supérieures au vulgum pecus des Maçons de combattre et d’abattre le vainqueur de l’Europe, le jour où sa puissance devint un obstacle aux visées profondes des vrais chefs du Monde occulte, les vrais Initiés, comme les appelle Benjamin Fabre dans son livre sensationnel : Eques a capite galeato(1).

Louis Dasté.

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Nous joindrons à cet article les renseignements que nous trouvons dans les Acta Latomorum du F/ Thory sur le Grand-Orient d’Italie, dont il est ici question, et sur la Maçonnerie Écossaise en Italie pendant la période napoléonienne :

« 1804. – C’est dans le cours de cette année qu’on établit à Naples un Grand-Orient attaché à la division militaire de l’armée (sic) d’Italie. Le général Lechi fut nommé Grand-Maître. » (Tome Ier, p. 223.)

« 1805. – 5 mars. – Organisation, à Milan, d’un Suprême Conseil du 33e degré, en vertu d’une patente délivrée par M. le comte de Grasse-Tilly, Grand Commandeur ad vitam du Suprême Conseil du 33e degré en Amérique, et MM. les Grands Inspecteurs Généraux Pyron, Renier et Vidal.

« 20 juin. – Fondation du Grand-Orient d’Italie, sous le régime du Rite Ancien et Accepté, à la résidence de Milan, par le Suprême Conseil du 33e degré d’Italie.

« Il existait dans le royaume de Naples, ainsi qu’on l’a vu page 223, un autre Grand-Orient appelé de la division militaire du royaume d’Italie, dont M. le général de division Lechi était le Grand-Maître, et M. Balathier, Député Grand-Maître. Le 22 juin, ce corps se réunit au Grand-Orient de Milan.

« Le prince Eugène (de Beauharnais) accepte la dignité de Grand-Maître des Loges italiennes et celle de Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil du 33e degré. » (PP. 228-229.)

« 1808. – 8 juillet. – Affiliation et correspondance accordées par le Grand-Orient de France au Grand-Orient d’Italie. » (P. 237.)

« Le Grand-Orient d’Italie fait frapper une médaille pour consacrer, par un monument, son affiliation avec le Grand-Orient de France. » (P. 240.)

« 1809. – 11 juin. – Fondation, à Naples, d’un Suprême Conseil du 33e degré.

« S. M. le prince Joachim (Murat) grand-duc de Berg, ayant été proclamé roi de Naples le 1er août 1808, consent à l’établissement d’un Grand-Orient pour ses États, et daigne accepter le titre de Grand-Maître de toutes les Loges de cette partie de l’Italie.

« 24 juin. – Installation de ce Grand-Orient. » (PP. 243-244.)

« 1811. – 3 mai. – Concordat entre le Suprême Conseil du 33e degré, à Naples, et le Grand-Orient de ce royaume, relatif aux attributions de ces deux autorités. Suivant les conventions arrêtées, le Grand-Orient gouverne et constitue les Loges et Chapitres jusqu’au 18e degré ; le Suprême Conseil administre le Rite Ancien pour tous les degrés supérieurs. » (P. 250.)

« 1812. – Octobre. – S. M. le Roi de Naples accepte le titre de Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil du 33e degré à Naples. » (P. 254.)

On voit qu’il y eut à cette époque deux Grands-Orients Écossais d’Italie, siégeant l’un à Milan et l’autre à Naples ; c’est au premier que se rapporte le document cité par notre confrère. Les noms des deux Grands-Maîtres montrent bien quelle était alors la sympathie des FF/ de ce Rite à l’égard de « S. M. l’Empereur et Roi » et des membres de sa famille.

Il est donc assez vraisemblable, comme nous l’avions déjà dit, que Napoléon fut affilié au Rite Écossais Ancien et Accepté, et ce qui est certain, en tout cas, c’est qu’il en fut officiellement le « Protecteur » ; mais, bien entendu, ce point acquis laisse subsister tout entière la question des autres affiliations du F/ Bonaparte, antérieures à 1804, c’est-à-dire à la fois à son avènement à l’Empire (18 mai) et à la fondation du Suprême Conseil du 33e degré pour la France (22 septembre).

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À propos de ce dernier corps, nous rappellerons que le F/ prince Cambacérès en fut élu Souverain Grand Commandeur le 1er juillet 1806, et fut installé à cette dignité le 13 août suivant, en présence des députés de tous les grands corps maçonniques français et étrangers (Acta Latomorum, Tome Ier, p. 231).

Le même F/ Cambacérès, Grand-Maître Adjoint du Grand-Orient de France depuis le 13 décembre 1805 (ibid., p. 225), fut en outre nommé, le 25 octobre 1806, Grand-Maître d’honneur du Rite de Hérédom (Ordre Royal d’Écosse) en France (p. 232), et, le 4 mars 1807, Grand-Maître de la Mère-Loge du Rite Écossais Philosophique ; il fut frappé une médaille commémorative de ce dernier événement (pp. 233-234). Le 8 mars 1808, il accepta les fonctions de Grand-Maître du Rite Primitif (celui de l’Eques a Capite Galeato), sous le titre de « Protecteur » (p. 239) ; nous avons vu d’autre part qu’il accepta de même, en 1809, la dignité de Grand-Maître National du Rite des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte (Régime Écossais Rectifié : voir 27e année, no 33, p. 388), et nous aurons encore à revenir sur ce point.

Signalons enfin que « le 13 février 1812, le Suprême Conseil du 33e degré arrêta qu’il serait frappé une médaille pour éterniser (sic) le souvenir de l’acceptation, par le prince Cambacérès, de la dignité de premier Souverain Grand Commandeur du Rite Écossais Ancien et Accepté : une épreuve en or de cette médaille lui fut présentée le 14 septembre » (p. 252). Ce même Rite devait, on le sait, se montrer moins bonapartiste à l’époque où il aurait pour Souverain Grand Commandeur le légitimiste F/ Viennet !