Décembre 1936
- Ananda K. Coomaraswamy and
Duggirala Gopalakrishnayya. — The Mirror of Gesture, being the Abhinaya
Darpana of Nandikeshwara.
Translated into English, with introduction and illustrations. E. Weyhe, New-York.
Ce livre est la traduction d’un ancien traité hindou sur l’art du théâtre et de la danse (l’un et l’autre sont désignés, en sanscrit, par le même mot nâtya) ; il s’agit ici, bien entendu, d’un art strictement traditionnel, dont l’origine est rapportée à Brahmâ lui-même et au début du Trêta-Yuga. Tout y a une signification précise, et, par conséquent, rien ne saurait être abandonné à la fantaisie individuelle ; les gestes (surtout les mudrâs ou signes formés par la position des mains) constituent un véritable langage hiératique, qu’on retrouve d’ailleurs dans toute l’iconographie hindoue. Aussi ce traité doit-il, dans l’intention de ses traducteurs, être considéré avant tout comme « une illustration des principes généraux d’un art de la communication par gestes, et de tout art traditionnel et normal » ; d’ailleurs, « la division moderne de la vie en compartiments étanches et indépendants est une véritable aberration, et les arts traditionnels d’un peuple ne sont pas une sorte d’excroissance, mais font partie intégrante de sa vie ». À la fin du volume se trouvent de très belles planches reproduisant des exemples empruntés à la sculpture et à la peinture, ainsi que la figuration d’un certain nombre d’attitudes et de mudrâs, qui facilite grandement l’intelligence du texte.
- Ananda K. Coomaraswamy and
A. Graham Carey. — Patron and Artist, Pre-Renaissance and Modern.
Wheaton College Press, Norton, Massachusetts.
Ce livre est la réunion de deux conférences, dans la première desquelles M. Ananda K. Coomaraswamy expose The normal view of Art, c’est-à-dire la conception traditionnelle, telle qu’elle exista jusqu’à la Renaissance, en tant qu’elle s’oppose à la conception anormale des modernes. Suivant la vue traditionnelle, l’art implique essentiellement une connaissance, loin d’être simplement affaire de sentiment : l’œuvre d’art ne peut être vraiment « belle » que si elle est adaptée à l’usage auquel elle est destinée, et, quelle qu’elle soit d’ailleurs, c’est seulement à cette condition qu’elle peut atteindre la perfection dans son ordre ; et l’artiste ne doit point chercher à être « original », mais à être « vrai ». Nous citerons, comme tout spécialement intéressant à notre point de vue, ce passage concernant les initiations de métier : « L’objet de toutes les initiations est, par la transmission d’une impulsion spirituelle, de stimuler dans l’individu le développement de ses propres possibilités latentes. L’enseignement initiatique rattache l’activité caractéristique de l’individu, manifestée extérieurement dans sa vocation, à un ordre universel, intérieurement intelligible ; l’artisan initié travaille, non plus simplement à la surface des choses, mais en accord conscient avec un modèle cosmique qu’il s’attache à réaliser. Un tel enseignement s’appuie sur la vocation et en même temps réagit sur elle, lui donnant une signification plus profonde que celle qui peut s’attacher au simple talent ; la vocation devient le type d’une activité ayant des prolongements et des correspondances dans tous les domaines, non seulement matériels, mais aussi intellectuels, et même en Dieu, qui, en tant que Son acte est conçu comme une création per artem, est l’exemplaire de tout ouvrier humain. De cette façon, la tradition affirme que les œuvres d’art sont des imitations, non pas d’autres choses, mais de formes conçues dans l’esprit de l’artiste et qui, à leur tour, doivent être, dans la mesure où ses pouvoirs le permettent, à la ressemblance des raisons éternelles. » — Le sujet de la conférence de M. Graham Carey est Liberty and Discipline in the four artistic essentials ; ces quatre choses essentielles sont le but que se propose l’activité artistique, la matière sur laquelle elle s’exerce, les outils ou instruments qu’elle emploie, et enfin l’idée ou l’image à laquelle elle se conforme (on peut remarquer que ceci correspond aux quatre « causes » d’Aristote). La thèse de l’auteur est que, suivant la conception traditionnelle, l’artiste était soumis à des règles strictes quant aux trois premiers points, mais libre à l’égard du quatrième, tandis que, en ce qui concerne l’art moderne, la situation a été exactement renversée. Il examine en détail quelques tentatives qui lui paraissent susceptibles de favoriser un retour à l’ordre normal ; et, en terminant, il insiste sur le fait que l’intention artistique, procédant du désir de donner, est à l’opposé de l’intention commerciale, qui procède du désir d’acquérir, si bien que toute « commercialisation » est contraire à l’esprit même de l’art.
- André Duboscq. — Unité de l’Asie.
Éditions Unitas, Paris.
Bien que ce petit livre ait un caractère surtout politique dans sa plus grande partie, il contient un aveu qu’il n’est pas sans intérêt d’enregistrer : l’auteur, en effet, reconnaît assez nettement que la « spiritualité » se trouve du côté oriental et qu’elle fait défaut au monde occidental actuel ; il est vrai qu’il n’en persiste pas moins à se solidariser visiblement avec ce monde dépourvu de spiritualité, ce qui est encore un exemple des contradictions dont est coutumière la mentalité contemporaine ! Si, d’autre part, il trouve de l’« intellectualité » en Europe, paraissant ainsi vouloir l’opposer à la « spiritualité », c’est qu’il est vraiment bien peu difficile sur la qualité de ce qu’il appelle « intellectuel » ; quand donc arrivera-t-on à comprendre que l’intellectualité véritable n’a rien de commun avec la basse rationalité appliquée à la réalisation de fins purement matérielles ? Quant à l’affirmation que « l’Asie est une », elle nous paraît quelque peu exagérée ; ce qui est vrai, c’est que les diverses civilisations orientales sont comparables entre elles par la présence de principes d’ordre spirituel, alors qu’il n’y a rien de tel dans le cas de la civilisation occidentale moderne ; mais, de là à une unité réalisée en fait et pouvant se manifester jusque dans les domaines les plus extérieurs, comme l’est celui de la politique, il y a assez loin… Vouloir inclure la Russie dans la prétendue « unité de l’Asie » est encore bien plus contraire à toute réalité, car, ici, on ne retrouve rien de la spiritualité orientale ; et nous nous étonnons qu’on puisse avoir l’idée de s’appuyer, pour soutenir une pareille thèse, sur les déclarations de certain « parti eurasien » que personne, même parmi les Russes, n’a jamais pris au sérieux. Il est vrai que, par ailleurs, l’auteur accepte aussi à la lettre les assertions par trop « intéressées » de quelques écrivains japonais, sans parler de celles de « défenseurs de l’Occident » tels que M. Henri Massis ; tout cela n’est pas entièrement cohérent et ne témoigne pas d’un jugement parfaitement sûr. Les critiques adressées à la façon maladroite dont la Société des Nations est intervenue dans certains conflits orientaux sont apparemment plus justes (et encore est-il bien certain qu’il ne s’agisse là que de simple maladresse ?) ; mais ceci nous entraînerait sur un terrain qui n’est plus du tout le nôtre…
- Sir Charles Marston. — La Bible a dit vrai.
Version française de Luce Clarence. (Librairie Plon, Paris).
Ce livre contient avant tout, s’il est permis de s’exprimer ainsi, une excellente critique de la « critique » biblique, faisant parfaitement ressortir tout ce qu’il y a de partial dans ses méthodes et d’erroné dans ses conclusions. Il semble d’ailleurs que la position de cette « critique », qui se croyait si sûre d’elle-même, soit aujourd’hui sérieusement compromise aux yeux de beaucoup, car toutes les découvertes archéologiques récentes ne font que lui apporter des démentis ; peut-être est-ce la première fois que de telles découvertes servent enfin à quelque chose dont la portée dépasse celle de la simple érudition… Il va sans dire, d’ailleurs, que ceux qui savent vraiment ce qu’est la tradition n’ont jamais eu nul besoin de ce genre de preuves ; mais on doit reconnaître que, se basant sur des faits en quelque sorte « matériels » et tangibles, elles sont particulièrement propres à toucher l’esprit moderne, qui n’est sensible qu’aux choses de cet ordre. Nous noterons spécialement que les résultats acquis vont directement à l’encontre de toutes les théories « évolutionnistes », et qu’ils montrent le « monothéisme » aux origines mêmes, et non point comme l’aboutissement d’une longue élaboration à partir d’un soi-disant « animisme » primitif. Un autre point intéressant est la preuve de l’existence de l’écriture alphabétique à l’époque de Moïse et même antérieurement ; et des textes presque contemporains de celui-ci décrivent des rites semblables à ceux du Pentateuque, que les « critiques » prétendaient être d’institution « tardive » ; enfin, de nombreux faits historiques rapportés dans la Bible, et dont l’authenticité était contestée, se trouvent dès maintenant entièrement confirmés. Bien entendu, il reste encore, à côté de cela, beaucoup de points plus ou moins douteux ; et ce qui nous paraît à craindre, c’est qu’on ne veuille aller trop loin dans le sens d’un « littéralisme » étroit et exclusif qui, quoi qu’on en puisse dire, n’a absolument rien de traditionnel au vrai sens de ce mot. Il est contestable qu’on puisse parler de « chronologie biblique » quand on remonte au delà de Moïse ; l’époque d’Abraham pourrait bien être plus reculée qu’on ne le suppose ; et, pour ce qui est du Déluge, la date qu’on veut lui assigner obligerait à en réduire l’importance à celle d’une catastrophe locale et très secondaire, comparable aux déluges de Deucalion et d’Ogygès. Il faudrait aussi, quand il s’agit des origines de l’humanité, se méfier de l’obsession du Caucase et de la Mésopotamie, qui, elle non plus, n’a rien de traditionnel, et qui est née uniquement d’interprétations formulées lorsque certaines choses n’étaient déjà plus comprises dans leur véritable sens. Nous ne pouvons guère nous arrêter ici sur certains points plus particuliers ; signalons cependant ceci : comment, tout en reconnaissant que « Melchisédek a été tenu pour un personnage très mystérieux » dans toute la tradition, peut-on s’efforcer d’en faire tout simplement le roi d’une petite ville quelconque, qui d’ailleurs ne s’appelait pas Salem, mais Jébus ? Et encore, si l’on veut situer le pays de Madian au delà du golfe d’Akabah, que fait-on de la tradition suivant laquelle l’emplacement du Buisson ardent se trouve dans la crypte du monastère de Sainte-Catherine, au pied même du Sinaï ? Mais, bien entendu, tout cela ne diminue en rien la valeur des découvertes réellement importantes, qui iront sans doute encore en se multipliant, d’autant plus que leur début ne remonte en somme qu’à une dizaine d’années ; et nous ne pouvons que conseiller la lecture de cet exposé clair et consciencieux à tous ceux qui souhaitent de trouver des arguments contre la « critique » destructive et antitraditionnelle. Nous sommes seulement obligé, pour terminer, de formuler une « mise en garde » à un autre point de vue : l’auteur semble compter sur la « métapsychique » moderne pour expliquer ou tout au moins pour faire admettre les miracles, le don de prophétie, et en général les rapports avec ce qu’il appelle assez malencontreusement l’« Invisible » (un mot dont les occultistes de toute catégorie n’ont que trop usé et abusé) ; il n’est d’ailleurs pas seul dans ce cas, et nous avons constaté récemment d’autres exemples d’une semblable tendance ; c’est là une fâcheuse illusion, et il y a même de ce côté un danger d’autant plus grand qu’on en a moins conscience ; il ne faudrait pas oublier que les « ruses diaboliques » prennent toutes les formes, suivant les circonstances, et témoignent de ressources presque inépuisables !
- Gabriel Trarieux d’Egmont. — Le Thyrse et la Croix.
Éditions Adyar, Paris.
Nous retrouvons ici l’étonnante confiance dans les « sources » théosophistes et occultistes que nous avons déjà notée, il y a quelque temps, dans un autre ouvrage du même auteur(*) ; il s’y ajoute encore, cette fois, des enseignements « rosicruciens » dus à un « guide » anonyme qui ne laisse pas de nous être passablement suspect, pour les raisons que nous exposons d’autre part à propos du « pseudo-rosicrucianisme » moderne(**). Il résulte de tout cela, notamment en ce qui concerne le « Mystère du Christ », quelque chose qui, naturellement, ressemble beaucoup aux théories « messianiques » des théosophistes, mais encore aggravé en quelque sorte par le mélange des autres éléments que nous venons de mentionner ; certains passages donnent une impression vraiment inquiétante… Quant à l’histoire de l’ésotérisme chrétien, telle qu’elle est présentée ici, elle tend à confondre constamment cet ésotérisme avec l’« hérésie » et avec les « sectes » ; nous nous sommes assez souvent attaché précisément à dissiper cette confusion pour n’avoir pas à insister de nouveau sur tout ce qu’il y a d’erroné dans une pareille façon d’envisager les choses. Bien entendu, quand on en vient aux temps actuels, on retrouve encore les interventions de la « Grande Loge Blanche », l’avènement de l’« ère du Verseau », et autres choses qui ne nous sont que trop connues ; aussi, quand l’auteur parle « des Pouvoirs ténébreux qui nous mènent et de leurs perspicaces méthodes », ne peut-on qu’exprimer très sincèrement le regret qu’il soit si loin de faire preuve d’une perspicacité égale à la leur et de discerner leur action partout où elle s’exerce véritablement ! — Nous ne voulons pas relever certaines erreurs de références, mais il en est pourtant une qui nous touche d’un peu trop près pour que nous n’en disions rien : Mgr R. H. Benson a écrit un livre intitulé : Le Maître du Monde, et non pas Le Roi du Monde ; comme d’ailleurs c’est de l’Antéchrist qu’il s’agit là, et comme ce dont nous parlons dans notre propre livre sur Le Roi du Monde est d’un caractère tout opposé, une semblable méprise est extrêmement fâcheuse ; jusqu’ici, il ne s’était encore trouvé que les gens de la R. I. S. S. pour confondre, beaucoup moins involontairement du reste, le « Roi du Monde » avec le « Prince de ce Monde » !
- Alfred Sage. — Une Science de l’Ordre est cachée dans le
Monde des Nombres.
Librairie Émile Nourry, Paris.
L’auteur s’est proposé, dit-il, de présenter « une science nouvelle, très simple et très utile », et, assurément, la notion de l’ordre ne fait que trop défaut, à notre époque, dans tous les domaines ; mais, en fait, nous trouvons surtout dans son livre des considérations à base d’arithmétique ordinaire, les unes presque enfantines, d’autres compliquées par une terminologie inaccoutumée, et quelques-unes même contestables, impliquant certaines méprises sur la nature de la correspondance qui existe entre l’arithmétique et la géométrie. Il est exact que « la quantité est beaucoup plus générale que le nombre », mais c’est parce que celui-ci n’est en réalité qu’un de ses modes, alors que l’auteur semble l’entendre tout autrement. Il y a aussi des vues un peu étranges sur « l’Absolu qui se pose par rapport au relatif », et qui se définit comme « l’Unité de l’Ordre et de la Vie en soi » ; cela n’a certes rien à voir avec l’Absolu métaphysique ; admettons que c’est de la philosophie, ce qui permet de dire à peu près tout ce qu’on veut… Ce qui est assez étonnant encore, c’est qu’on puisse écrire tout un volume sur l’ordre sans prononcer une seule fois le mot de « hiérarchie » ; est-ce parti pris ou simple distraction ? Quoi qu’il en soit, et bien que l’auteur indique quelques applications, notamment à la musique et à la chimie (et, à propos de musique, il transforme curieusement le « mode mixte » en « mode myste », ce qui fait l’effet d’un assez mauvais jeu de mots), il ne ressort de tout cela rien de bien net ni de bien satisfaisant au fond, et nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il faudrait tout autre chose pour remettre effectivement un peu d’ordre dans l’esprit de nos contemporains…