Avril 1936
- Sri Ramana Maharshi. — Truth
Revealed (Sad-Vidyâ).
Sri Ramanasramam, Tiruvannamalai, South India.
Nous avons signalé, il y a quelques mois(*), la traduction de cinq hymnes du « Maharshi » ; nous avons ici celle d’une œuvre portant plus directement sur les principes doctrinaux, et condensant, sous la forme d’une brève série d’aphorismes, l’enseignement essentiel concernant la « Réalité Suprême », ou la « Conscience Absolue » qui doit être réalisée comme le « Soi ».
- Kavyakanta Ganapati Muni. — Sri
Ramana Gita.
Sri Ramanasramam, Tiruvannamalai, South India.
Cet autre petit livre contient une série d’entretiens du « Maharshi » avec quelques-uns de ses disciples, parmi lesquels l’auteur lui-même, sur diverses questions touchant à la réalisation spirituelle et aux moyens d’y parvenir ; nous signalerons spécialement les chapitres concernant hridaya-vidyâ, le « contrôle du mental », les rapports de jnâna et siddha, et l’état du jîvanmukta. Tout cela, qui ne saurait être résumé, peut, comme le contenu du précédent volume, fournir d’excellents points de départ pour la méditation.
- Mrs Rhys Davids. — The
Birth of Indian Psychology and its development in Buddhism.
Luzac and Co., London.
Il nous paraît fort douteux, même après avoir lu ce livre, qu’il ait jamais existé quelque chose qu’on puisse appeler une « psychologie indienne », ou, en d’autres termes, que le point de vue « psychologique », tel que l’entendent les Occidentaux modernes, ait jamais été envisagé dans l’Inde. L’auteur reconnaît que l’étude de l’être humain y a toujours été faite en procédant de l’intérieur à l’extérieur, et non pas dans le sens inverse comme en Occident ; mais c’est précisément pour cela que la psychologie, qui se borne à analyser indéfiniment quelques modifications superficielles de l’être, ne pouvait y être l’objet du moindre intérêt. C’est seulement dans le Bouddhisme, et sans doute comme conséquence de sa tendance à nier ou tout au moins à ignorer les principes transcendants, que l’on rencontre des considérations qui pourraient se prêter, dans une certaine mesure, à être interprétées en termes de psychologie ; mais encore ne faudrait-il pas, même là, pousser les rapprochements trop loin. Quant à vouloir trouver de la psychologie jusque dans les Upanishads, c’est là faire preuve d’une parfaite incompréhension, qui ne se manifeste d’ailleurs que trop clairement par d’incroyables confusions de langage : l’« âme », l’« esprit », le « moi », le « soi », l’« homme », tous ces termes sont, à chaque instant, employés indistinctement et comme s’ils désignaient une seule et même chose ! Il est à peine besoin de dire qu’on voit ici s’affirmer constamment le parti pris, commun à tous les orientalistes, de tout réduire à une « pensée » purement humaine, qui aurait commencé par une sorte d’état d’« enfance », et qui aurait ensuite « évolué » progressivement ; entre un tel point de vue et celui de la tradition, il n’y a évidemment aucun terrain d’entente possible… La soi-disant « méthode historique » est d’ailleurs, en fait, bien loin d’exclure les hypothèses plus ou moins fantaisistes : c’est ainsi que Mrs Rhys Davids a imaginé, sous le nom de Sakya, quelque chose qu’elle croit avoir été le Bouddhisme originel, et qu’elle pense pouvoir reconstituer en éliminant purement et simplement, comme des adjonctions « tardives », tout ce qui ne s’accorde pas avec la conception qu’elle se fait des débuts de ce qu’elle appelle une world-religion, et, en premier lieu, tout ce qui lui paraît présenter un caractère « monastique » ; ce qu’un pareil procédé peut prouver en réalité, c’est seulement qu’elle-même est affectée d’un violent préjugé « anti-monastique » ! Nous n’en finirions d’ailleurs pas si nous voulions relever, dans ses interprétations, les traces de ses propres préférences religieuses ou philosophiques ; mais, comme elle est bien persuadée que quiconque ne les partage pas est par là même dépourvu de tout « esprit critique », cela ne servirait assurément à rien… Quoi qu’il en soit, après la lecture d’un ouvrage de ce genre, nous sommes certainement beaucoup mieux renseignés sur ce que pense l’auteur que sur ce qu’ont vraiment pu penser ceux qu’il s’est proposé d’étudier « historiquement » ; et cela du moins n’est pas sans offrir un certain intérêt « psychologique » !
- Rudolf Steiner. — Mythes et Mystères égyptiens.
Association de la Science spirituelle, Paris.
Dans cette série de douze conférences faites à Leipzig en 1908, l’auteur se défend, avec une curieuse insistance, de vouloir expliquer les symboles ; il ne veut y voir que l’expression de ce qu’il appelle des « faits spirituels », par quoi il entend des événements qui sont censés s’être passés, au cours de telle ou telle période de l’histoire de l’humanité, dans le domaine psychique, voire même simplement « éthérique », car, comme nous avons eu déjà à le faire remarquer à propos d’un autre volume(**), sa conception du « spirituel » est plus que vague… Nous retrouvons là une fois de plus, sur les « races » et les « sous-races » humaines, quelques-unes des histoires fantastiques que nous ne connaissons que trop ; ce que nous trouvons toujours le plus étonnant là-dedans, c’est qu’on puisse faire accepter comme « enseignements rosicruciens » des assertions dont la plupart, en dépit de quelques modifications de détail, sont visiblement dérivées en droite ligne de la Doctrine Secrète de Mme Blavatsky !
- Guido Cavalluci. — L’Intelligenza
come forza rivoluzionaria.
Biblioteca del Secola Fascista, Libreria Angelo Signorelli, Roma.
Il est curieux de constater que le mot « révolutionnaire » a pris actuellement, en Italie, un sens presque diamétralement opposé à celui qu’il avait toujours eu et qu’il a encore partout ailleurs, à tel point que certains vont jusqu’à l’appliquer à des idées de restauration traditionnelle ; si l’on n’en était averti, on comprendrait assurément fort mal un titre comme celui du présent livre. Ce que celui-ci contient d’intéressant à notre point de vue, ce n’est pas, bien entendu, ce qui touche plus ou moins à la politique ou à l’« administration », mais ce qui se rapporte à des questions de principe ; et, tout d’abord, nous y trouvons une fort bonne critique de la conception moderne de l’« intellectuel », qui n’a certes rien de commun avec la véritable intellectualité. À cette conception toute profane, rationaliste et démocratique, s’oppose celle du « sage » antique, revêtu d’un caractère sacré au sens rigoureux de ce mot, et dont la place, dans l’organisation sociale, doit être proprement au « centre » ; l’auteur le déclare expressément, mais peut-être n’en dégage-t-il pas assez nettement la conséquence, à savoir que le « sage », de là, exerce son influence par une sorte d’« action de présence », sans avoir aucunement à se mêler aux activités plus ou moins extérieures. Quoi qu’il en soit, c’est bien ce rôle et ce caractère du « sage » qu’il s’agirait de rétablir effectivement ; mais, malheureusement, quand on en vient à envisager l’application possible, il y a une étrange disproportion entre ce résultat et les moyens proposés pour y parvenir : on risque fort, nous semble-t-il, de retomber en fait dans le domaine de la pseudo-intellectualité, en descendant jusqu’à prendre en considération la « culture » universitaire, qui en est bien le type le plus accompli ; ou bien si l’on veut réellement assurer aux seuls représentants de l’intellectualité véritable, ou, ce qui est la même chose, de la spiritualité pure, leur place au sommet de la hiérarchie, n’est-il pas à craindre que cette place reste vide ? L’auteur reconnaît qu’elle l’est présentement, et il pose à ce propos le problème de l’« élite » spirituelle, mais d’une façon qui ne montre que trop combien il est difficile de le résoudre dans les conditions actuelles : comme on le comprendra sans peine par les considérations que nous avons exposées récemment(***), la formation de l’« élite » ne saurait être une simple affaire d’« éducation », celle-ci fût-elle « intégrale » ; et d’autre part, en supposant cette « élite » constituée, nous ne la voyons pas bien se groupant dans une « académie », ou dans toute autre institution s’affichant pareillement aux yeux du public ; avec de telles vues, nous voilà, hélas ! bien loin du « centre » qui régit toutes choses invisiblement…
- Bhikshu Wai-Tao and Dwight
Goddard. — Laotzu’s Tao and Wu-Wei, a new translation.
Dwight Goddard, Santa Barbara, California ; Luzac and Co, London.
Ce volume contient une traduction du Tao-te-king dont le principal défaut, à ce qu’il nous semble, est de revêtir trop souvent une teinte sentimentale qui est fort éloignée de l’esprit du Taoïsme ; peut-être est-il dû pour une part aux tendances « bouddhisantes » de ses auteurs, du moins si l’on en juge d’après leur introduction. Vient ensuite une traduction du Wu-Wei d’Henry Borel, dont nous avons parlé ici autrefois(****), par M. E. Reynolds. Enfin, le livre se termine par une esquisse historique du Taoïsme, par le Dr Kiang Kang-Hu, faite malheureusement d’un point de vue bien extérieur : parler de « philosophie » et de « religion », c’est méconnaître complètement l’essence initiatique du Taoïsme, soit en tant que doctrine purement métaphysique, soit même dans les applications diverses qui en sont dérivées dans l’ordre des sciences traditionnelles.
- Gabriel Trarieux d’Egmont. — Prométhée ou le Mystère de
l’Homme.
Édition Adyar, Paris.
Ceux qui, n’ayant pas le temps ou le courage de lire la Doctrine Secrète de Mme Blavatsky, voudraient cependant s’en faire une idée, pourront en trouver dans ce livre un aperçu assez fidèle, tout au moins en ce qui concerne l’histoire des races humaines ; on sait assez ce que nous pensons de ces conceptions fantastiques, si éloignées de véritables enseignements traditionnels, et nous n’entendons pas y revenir. La principale originalité de l’auteur est d’avoir donné en quelque sorte pour centre à toute cette histoire le mythe grec de Prométhée, interprété naturellement, à cet effet, d’une façon assez particulière et plutôt contestable. En outre, il fait preuve d’un certain « éclectisme », qui consiste à accueillir à l’occasion des idées empruntées à d’autres sources, mais surtout aux diverses variétés de l’occultisme et autres contrefaçons modernes de la tradition. Enfin, il croit fermement aux « Maîtres » de la Société Théosophique ; s’il y a quelque chose de réel là-dedans, ce n’est certes pas ce qu’il pense, et nous craignons qu’il ne se méprenne fort sur leur véritable situation par rapport à ces « pouvoirs ténébreux » qu’il mentionne à plusieurs reprises : la « pseudo-initiation » ne sert que trop bien, à l’extérieur, les fins que visent les représentants de la « contre-initiation », pour que, de celle-ci à celle-là, il ne se produise pas parfois quelques infiltrations…