Avril 1938

Éditions de la Main de Bronze, Le Puy.

Ce volume est, comme le dit l’auteur, « à la fois une page d’histoire locale et une contribution à l’histoire de la Franc-Maçonnerie en France » ; il est d’ailleurs presque exclusivement « documentaire », si bien que ce n’est guère que dans la conclusion que se laisse deviner une certaine tendance antimaçonnique. En fait, les documents qui y sont publiés n’apportent rien d’imprévu ou de spécialement important ; ce n’est pourtant pas à dire qu’ils soient sans intérêt, car ils font connaître tout au moins quelques personnages assez curieux à divers égards. L’auteur se fait une idée un peu trop simple des origines de la Maçonnerie : les constructeurs du moyen âge constituaient tout autre chose qu’une vulgaire association « de protection et d’entr’aide mutuelle » ; en outre, il y eut de tout temps des Maçons « acceptés », qui n’étaient nullement de « faux Maçons », ni des personnages ayant à dissimuler une activité politique quelconque ; la prépondérance acquise par ces éléments non professionnels dans quelques Loges rendit possible la dégénérescence « spéculative », mais leur existence même n’était point un fait nouveau ni anormal. D’autre part, nous devons relever au moins une erreur de détail : une « Loge chapitrale » n’est pas une Loge « dont les membres peuvent arriver au grade de Rose-Croix », ce que peut tout Maçon, mais une Loge sur laquelle, suivant un mode d’organisation d’ailleurs spécial au Grand-Orient de France, est « souché » un Chapitre de Rose-Croix, où peuvent être reçus aussi des membres d’autres Loges ; en un autre endroit, la dénomination de « Souverain Chapitre » se trouve, sans doute du fait d’une abréviation mal déchiffrée, transformée en « sous-chapitre » ! Nous ferons aussi une remarque d’ordre général, à propos de l’expression de « sociétés de pensée » que nous avons rencontrée au cours du livre, et qui, depuis quelques années, semble fort à la mode chez certains historiens plus ou moins « tendancieux » : nous n’avons jamais pu arriver à savoir ce que cela peut bien signifier au juste, et il est d’ailleurs bien certain qu’il n’a jamais rien existé qui s’intitule authentiquement ainsi ; à considérer l’expression en elle-même, elle pourrait à la rigueur s’appliquer, si l’on veut, à quelque chose de purement « académique » et profane ; mais, en tout cas, elle ne peut aucunement convenir à une organisation initiatique, dont, à défaut même de toute autre considération, le seul caractère rituélique devrait suffire à montrer le ridicule d’une semblable appellation.

Marrimpouey Jeune, Pau.

L’auteur de cette brochure essaie d’expliquer quelques-unes des prédictions de Nostradamus, et surtout celles où il croit voir des allusions aux événements actuels : guerres d’Éthiopie, de Chine, d’Espagne, ainsi qu’à la Société des Nations et aux Soviets. La façon dont il traduit beaucoup de mots obscurs est assurément très discutable, mais en somme, dans l’ensemble, son interprétation n’est ni plus ni moins plausible que bien d’autres qui ont déjà été proposées ; au fond, ce qu’il y a de plus curieux dans tout cela, à notre avis, c’est de constater à quel point les commentaires de ce genre se multiplient depuis quelque temps…

Éditions La Bourdonnais, Paris.

Encore un livre consacré aux prédictions variées qui sont si fort à la mode en ce moment, et dont la diffusion, pour des raisons auxquelles nous avons déjà fait allusion assez souvent, nous paraît malheureusement loin d’être inoffensive ; son auteur est d’ailleurs, très probablement, de ceux qui se lancent inconsidérément dans toutes ces histoires douteuses, sans rien soupçonner de leurs « dessous » fort ténébreux, si même ils ne se refusent de parti pris à les admettre ; ils n’en contribuent pas moins pour cela à propager et à entretenir un état d’esprit assez inquiétant, surtout dans une époque de déséquilibre comme celle où nous vivons… Quoi qu’il en soit, le livre débute assez mal, car son premier chapitre évoque une fois de plus les trop fameuses « prophéties de la Grande Pyramide », sur lesquelles nous avons eu déjà l’occasion de nous expliquer précédemment(*). De prophéties véritables, parmi tout ce dont il est question dans la suite, il n’y a naturellement que celles qui sont tirées de la Bible, des Évangiles, de l’Apocalypse, et aussi du Vishnu-Purâna ; mais encore faudrait-il savoir comment il convient de les interpréter en réalité, et ce n’est pas si facile ; c’est surtout quand on entreprend de les faire correspondre à des dates précises que la fantaisie risque fort de s’en mêler. Quant au reste, ce ne sont en somme que des prédictions plus ou moins suspectes, souvent par leur origine même, par les circonstances de leur publication, et plus encore par les commentaires dont elles ont été entourées ; un fait particulièrement remarquable à cet égard, c’est la place considérable que tient là-dedans la hantise du « Grand Monarque », dont nous avons pu constater, en de multiples occurrences, la connexion constante avec toute sorte d’autres choses d’un caractère plutôt fâcheux. Puisque l’occasion s’en présente, nous dirons que, à la vérité, nous ne pensons pas qu’il ne s’agisse que d’une « invention » pure et simple ; il y a là, bien plutôt, quelque chose qui se rapporte effectivement à certains événements devant se produire vers la fin de la période cyclique actuelle, mais qui a été entièrement déformé par une « perspective » spécifiquement occidentale, et parfois même beaucoup plus étroitement « locale » encore, puisque la plupart des « voyants » et de leurs interprètes tiennent absolument à faire de ce « Grand Monarque » un roi de France, ce qui revient, en somme, à ne lui assigner dans l’histoire future qu’un rôle bien restreint et purement « épisodique » ; les prophéties authentiques visent des événements d’une tout autre ampleur… Le volume se termine par un appendice assez curieux : c’est une sorte de « recensement », si l’on peut dire, de tous les « prétendants » possibles au trône de France, et leur nombre est vraiment une chose incroyable ; on a d’ailleurs l’impression que certaines de ces généalogies royales ont dû être « brouillées » intentionnellement, tout comme le fut en dernier lieu l’affaire de la « survivance » de Louis XVII, qui, elle aussi, se trouve, ainsi que nous le faisions remarquer dernièrement encore(**), invariablement associée aux plus troubles énigmes du monde contemporain ; il faudrait assurément bien de la naïveté pour ne voir, dans certains enchaînements de faits, rien de plus que de simples « coïncidences » !

Fernand Sorlot, Paris.

Cet ouvrage posthume de l’abbé Paul Boulin (le « Pierre Colmet » de la R. I. S. S., dont nos lecteurs se souviennent sans doute) se rapporte à un sujet qui est en partie le même que celui du précédent livre, mais il le fait apparaître sous un jour bien différent : il s’agit là, en effet, d’une véritable « démolition » des prétendues « prophéties » concernant les Papes, et dont les principales sont attribuées à Joachim de Flore, à Anselme de Marsico, à saint Malachie et à un « moine de Padoue » anonyme. L’auteur va peut-être même quelquefois un peu trop loin dans ce sens : ainsi, il traite bien légèrement les Centuries de Nostradamus, où l’on sent pourtant, sous un amas d’obscurités voulues, un écho très net de certaines sciences traditionnelles, même si elles ne sont que d’ordre inférieur ; mais, si nous devons faire des réserves sur ce point, nous lui abandonnons très volontiers, par contre, ce qu’il appelle les « divagations des commentateurs » (au nombre desquels s’est trouvé, notons-le en passant, son propre prédécesseur à la R. I. S. S.). Il est difficile aussi d’admettre que certaines « prophéties » suspectes aient été fabriquées uniquement, ou même principalement, pour favoriser tel ou tel candidat à une élection pontificale, et qu’elles ne reflètent que d’assez basses intrigues politiques, comme celles auxquelles donna lieu la rivalité des cardinaux appartenant aux deux familles Colonna et Orsini ; tout cela a pu jouer le rôle de causes occasionnelles, si l’on veut, mais il a dû y avoir autre chose derrière de semblables contingences ; au fond, l’auteur ne l’aurait peut-être pas nié, et d’ailleurs il n’a pas eu la prétention de tout élucider, ce qui serait assurément bien difficile. Au surplus, le mouvement des « spirituels » franciscains, qu’il voit aussi mêlé à tout cela, n’est pas quelque chose dont le caractère et l’histoire soient parfaitement clairs ; il semblerait que des « courants » divers, les uns orthodoxes et les autres déviés, s’y soient trouvés en lutte à certains moments, d’où des incohérences au moins apparentes. En tout cas, ce qui paraît le plus sûr là-dedans, c’est l’intention « satirique » de beaucoup de ces prédictions, probablement faites après coup, et des figures qui les accompagnent ; quant au caractère « occultiste » (?) que l’auteur attribue à certaines d’entre elles, ce point appelle encore une remarque : ce n’est pas le symbolisme alchimique ou astrologique qui est inquiétant, mais seulement l’usage, ou plutôt l’abus, que certains ont pu en faire, plus vraisemblablement, du reste, à l’époque de la Renaissance que pendant le moyen âge. Il est d’ailleurs vraiment singulier que, en Occident, des données authentiquement traditionnelles en elles-mêmes aient si souvent donné lieu à des déformations « sectaires », qui impliquent tout au moins une fâcheuse confusion entre des domaines entièrement différents ; et cela encore n’est certes pas fait pour simplifier la tâche de ceux qui veulent s’attacher à démêler certaines énigmes historiques ! Il y a encore, dans cet ouvrage, à côté de l’étude proprement dite des « prophéties », bien d’autres choses qui sont loin d’être dépourvues d’intérêt, par exemple, les curieux souvenirs de l’auteur sur l’abbé Rigaux, curé d’Argœuves, commentateur enthousiaste de Nostradamus, et qui avait été le confident de Mélanie, la bergère de la Salette, « dont les oracles sentaient malheureusement le fagot » ; cet étrange personnage, qui avait en sa possession, parmi beaucoup d’autres raretés de ce genre qu’il avait patiemment rassemblées, un manuscrit des pseudo-prophéties de Joachim de Flore et d’Anselme de Marsico qu’il expliquait à sa façon, a laissé des disciples aux yeux desquels il fait figure d’« inspiré » ; ici, il apparaît, beaucoup moins avantageusement, comme un de ces « suggestionnés », moins rares qu’on ne le croirait, chez qui la naïveté et la ruse se mélangent en des proportions assez difficiles à déterminer exactement. L’auteur se montre encore plus dur pour d’autres défenseurs du « Secret de la Salette », surtout pour Léon Bloy et ses « convertis », et pour tous « les rêveurs de lune, des “Esclaves de Marie” aux anciens “Anges” de l’École Thomiste antimoderne, aujourd’hui rangés sous les drapeaux des étranges “prétoriens” du Pontificat tout chevronnés de longues campagnes contre l’orthodoxie »… Déjà, La Cravate Blanche, dont la publication ne précéda que de très peu la mort de « Roger Duguet », nous avait donné l’impression que celui-ci, était, à la fin, revenu de bien des illusions et las d’avoir été dupé par des gens qui, après s’être longtemps servis de lui, l’en avaient fort mal récompensé ; cette œuvre posthume, qu’il présente lui-même comme un « suprême témoignage au delà duquel rien ne lui importe plus », ne peut que confirmer et renforcer encore cette impression ; sachons-lui gré d’avoir voulu ainsi, avant de disparaître, contribuer à dévoiler certains « dessous » auxquels il s’était souvent trouvé mêlé de bien près !