Janvier 1939

Éditions Niclaus, Paris.

Ce livre, qui date exactement d’un siècle, était depuis longtemps devenu à peu près introuvable ; la réédition qui vient d’en être faite est d’autant plus opportune qu’il est demeuré jusqu’à maintenant, en français tout au moins, le seul ouvrage traitant spécialement du symbolisme des couleurs. Son intérêt ne réside d’ailleurs pas uniquement dans les considérations de détail et l’abondante documentation qu’il renferme sur ce sujet ; ce qui est peut-être plus important encore, c’est qu’il se présente comme l’application d’une idée fondamentale dont la portée, ainsi que le font remarquer les éditeurs dans leur avant-propos, dépasse de beaucoup le cadre indiqué par le titre, et qui est « l’idée d’une Révélation primitive et parfaite déposée dans le berceau de l’humanité et qui aurait donné naissance à toutes les doctrines traditionnelles qui ont alimenté sa vie spirituelle au cours des âges ». C’est ce que Portal lui-même affirme de la façon la plus nette dans sa conclusion : « Un grand fait, dit-il, domine les recherches que je soumets au monde savant : l’unité de religion parmi les hommes, et comme preuve, la signification des couleurs symboliques, la même chez tous les peuples et à toutes les époques ». D’autre part, considérant que toute doctrine, en s’éloignant de la perfection originelle, ne peut qu’aller en se dégradant et en se matérialisant de plus en plus, il distingue comme trois étapes successives dans cette dégradation, et il y fait correspondre, dans la signification des symboles, trois degrés qui constituent respectivement ce qu’il appelle la « langue divine », la « langue sacrée » et la « langue profane ». La première, d’après la définition qu’il en donne tout d’abord, semble être pour lui réellement primitive et antérieure à la distinction du sacerdoce et de la royauté ; la seconde « prend naissance dans les sanctuaires », à la suite de la constitution du sacerdoce proprement dit ; enfin, la dernière n’est plus que l’« expression matérielle des symboles », en connexion avec la dégénérescence « idolâtrique » due à l’incompréhension du vulgaire. Il y a toutefois quelque flottement dans l’application qu’il fait de ces principes : il semble parfois que ce soit plutôt ce qu’il rapporte à la première « langue » qui ait un caractère vraiment « sacerdotal », tandis qu’il fait rentrer dans la seconde bien des choses dont le caractère pourrait par contre être dit « royal », notamment tout ce qui concerne le blason ; et, d’autre part, tout ce qu’il qualifie de « profane » ne l’est pas strictement et ne répond pas à la définition précédente ; la distinction n’en est pas moins valable en elle-même, et il pourrait y avoir intérêt, pour quelqu’un qui voudrait faire une nouvelle étude sur le même sujet, à la reprendre d’une façon plus rigoureuse. Un autre point qui est particulièrement digne d’être noté, c’est que l’auteur a reconnu et exprimé formellement le fait que les symboles présentent en général deux significations contraires ; c’est ce qu’il appelle la « règle des oppositions », et il en montre de nombreux exemples dans l’usage qui a été fait des différentes couleurs qu’il étudie successivement. Quant aux réserves qu’il y aurait lieu de faire sur certaines de ses interprétations, elles tiennent surtout, au fond, à deux raisons principales : l’une est une information insuffisante ou inexacte sur les doctrines orientales, fort excusable d’ailleurs à l’époque où le livre a été écrit ; l’autre est une influence swedenborgienne assez fortement marquée, et, en matière de symbolisme comme à bien d’autres égards, Swedenborg est loin d’être un guide parfaitement sûr. Malgré ces défauts, un tel ouvrage, redisons-le encore, n’en est pas moins du plus grand intérêt, et même indispensable à tous ceux qui, à un titre quelconque, s’intéressent au sujet qu’il traite, puisqu’il n’en existe aucun autre qui puisse le remplacer.

Éditions « La Paix », Paris.

Cette brochure, qui ne représente d’ailleurs qu’un fragment d’un travail plus étendu, se rapporte à une question dont nous avons eu déjà l’occasion de parler, il y a quelque temps (no d’avril 1938, comptes rendus de revues), à propos d’un article d’un autre auteur paru dans le Mercure de France ; nous n’avons donc pas besoin de redire ici toutes les raisons qui rendent inadmissible l’hypothèse d’une initiation rosicrucienne de Descartes. L’auteur de la présente étude n’est d’ailleurs pas aussi affirmatif que certains autres ; parfois, il parle même seulement d’une « ambiance rosicrucienne » qui existait en Allemagne à cette époque et par laquelle Descartes aurait pu être influencé à un certain moment, celui même où il eut son fameux songe ; réduite à ces proportions, la chose est assurément beaucoup moins invraisemblable, surtout si l’on ajoute que cette influence n’aurait été en somme que passagère, donc très superficielle. Cependant, cela n’expliquerait pas que les différentes phases du songe correspondent aux épreuves initiatiques, car ce sont là des choses qui ne peuvent pas se découvrir par la simple imagination, sauf dans les rêveries des occultistes ; mais une telle correspondance existe-t-elle bien réellement ? En dépit de toute l’ingéniosité dont l’auteur fait preuve dans ses interprétations, nous devons dire qu’elle n’est pas très frappante, et qu’elle présente même une fâcheuse lacune, car, avec la meilleure volonté du monde, on ne voit vraiment pas bien en quoi la présentation d’un melon peut tenir lieu de l’épreuve de l’eau… Il est bien peu probable, d’autre part, que ce songe ne soit qu’une fiction, ce qui au fond serait plus intéressant, car cela montrerait tout au moins chez Descartes une intention symbolique consciente, si imparfaitement qu’il l’ait exprimée ; en ce cas, il aurait pu tenter sous cette forme une description déguisée d’épreuves initiatiques ; mais encore de quelle initiation s’agirait-il alors ? Tout ce qu’il serait possible d’admettre à la rigueur, c’est qu’il ait été reçu, comme le fut plus tard Leibnitz, dans quelque organisation d’inspiration plus ou moins lointainement rosicrucienne, dont il se serait d’ailleurs retiré par la suite (et la rupture, s’il en était ainsi, aurait même dû avoir un caractère plutôt violent, à en juger par le ton de la dédicace de « Polybius le Cosmopolite ») ; encore faudrait-il qu’une telle organisation eût été déjà bien dégénérée pour admettre ainsi à la légère des candidats aussi peu « qualifiés »… Mais, tout bien examiné, et pour les raisons que nous avons déjà exposées, nous continuons à penser que Descartes, qu’il est d’ailleurs vraiment par trop paradoxal de vouloir défendre de l’imputation de « rationalisme », ne connut sans doute, en fait d’idées rosicruciennes, que ce qui pouvait en circuler alors dans le monde profane, et que, si certaines influences s’exercèrent sur lui d’une autre façon, consciemment ou plus probablement inconsciemment, la source dont elles émanaient était en réalité tout autre chose qu’une initiation authentique et légitime ; la place même que tient sa philosophie dans l’histoire de la déviation moderne n’est-elle pas un indice amplement suffisant pour justifier un tel soupçon ?