Avril 1939
- R. Krishnaswami Aiyar. — Thoughts
from the Gîtâ.
The Madras Law Journal Press, Mylapore, Madras.
Il a été écrit, à notre époque, d’innombrables commentaires de la Bhagavad-Gîtâ, mais dont la plupart sont bien loin d’être conformes à l’esprit traditionnel ; il n’y a certes pas lieu de s’en étonner quand il s’agit de travaux d’orientalistes ; ce qui est plus étrange, et aussi plus fâcheux en un certain sens, c’est que beaucoup de commentaires indiens contemporains sont eux-mêmes affectés, soit d’un « modernisme » plus ou moins accentué, soit de préoccupations politiques ou sociales qui ont amené leurs auteurs à restreindre ou à déformer de façons diverses le sens du texte. C’est pour réagir contre ces tendances que ce livre a été écrit ; et notamment, contre ceux qui voudraient voir exclusivement dans la Bhagavad-Gîtâ une sorte de traité de Karma-Yoga, l’auteur montre qu’elle enseigne au contraire très nettement que les trois voies de Karma, de Bhakti et de Jnâna ne conduisent pas en réalité jusqu’au même point, que leur prédominance respective correspond plutôt à autant de degrés successifs, et que c’est par Jnâna seulement que la réalisation complète et finale peut être atteinte ; il n’y a là évidemment aucun « exclusivisme » en faveur de telle ou telle voie, mais bien plutôt, au contraire, l’affirmation que chacune d’elles a sa raison d’être et est même nécessaire, à la condition de la situer à la place qui lui appartient véritablement. Cette progression est observée de façon fort juste à travers tout l’exposé, qui est fait en un langage très clair et aussi simple que possible, nous dirions même peut-être un peu trop simple parfois, car il ne faut pas pousser trop loin la crainte d’employer des termes « techniques » quand le langage ordinaire n’en fournit pas l’équivalent, et l’indication d’un plus grand nombre de mots sanscrits aurait certainement pu contribuer aussi à augmenter la précision. Nous ne pouvons naturellement donner un aperçu de toutes les questions qui sont traitées dans le livre ; nous nous contenterons de signaler plus particulièrement ce qui se rapporte à la correspondance des différentes conceptions de la Divinité, comme d’autant de « points de vue » de plus en plus profonds, avec les divers stades du développement spirituel, car nous pensons qu’il serait difficile d’en trouver un exposé plus aisément compréhensible et plus complètement satisfaisant que celui qui est présenté ici.
- R. Krishnaswami Aiyar. — Thoughts
from the Eternal Law.
The Madras Law Journal Press, Mylapore, Madras.
Dans ce livre, conçu selon le même esprit que le précédent, il s’agit essentiellement, comme le titre l’indique, du Sanâtana Dharma ; et l’auteur, y distinguant ce qui se rapporte aux différents éléments constitutifs de l’être humain, s’attache à montrer les véritables raisons d’être des divers ordres de prescriptions qui y correspondent. Il dénonce à juste titre l’ignorance profonde dont font preuve ceux qui méconnaissent ou rejettent ces prescriptions, ou certaines d’entre elles, uniquement parce qu’ils sont incapables de les comprendre réellement, et parce qu’ils croient présomptueusement que tout ce qu’ils ne connaissent pas est sans valeur ou même inexistant ; si certains de ceux qui prétendent actuellement diriger l’Inde n’ignoraient pas à peu près tout de la tradition hindoue, ils ne s’attaqueraient pas comme ils le font à des institutions telles que celle des castes, et ils sauraient que l’« intouchabilité » a aussi des raisons qui tiennent à la nature même des êtres et qu’il n’est au pouvoir de personne de supprimer. La justification des prescriptions proprement rituelles, celle de l’usage des pratîkas ou images représentatives d’aspects divins, entre autres choses (et celles-là sont aussi parmi celles contre lesquelles s’acharnent le plus volontiers les soi-disant « réformateurs »), sont également excellentes ; il y a d’autres points sur lesquels il y aurait peut-être quelques réserves à faire, en ce qu’ils sont interprétés avec un « littéralisme » un peu trop extérieur, au détriment du sens symbolique qui est à la fois plus profond et plus vrai, mais ce défaut n’est sensible qu’en quelques passages qui ne sont pas parmi les plus importants. Quant à l’affirmation du caractère « universel » de la tradition hindoue, dont certains s’étonneront peut-être, elle aurait seulement besoin d’être éclairée par quelques considérations plus précises ; pour nous, ce caractère doit être expliqué par le fait que la tradition hindoue procède directement de la tradition primordiale, et par là même la représente en quelque façon ; et c’est la tradition primordiale qui constitue véritablement le Sanâtana Dharma dans son essence même, tout le reste n’étant en somme qu’adaptation, d’ailleurs nécessaire, aux circonstances de temps et de lieu.
- Raïhana Tyabji. — L’Âme d’une Gopî.
Traduction et préface de Lizelle Reymond (Union des Imprimeries, Frameries, Belgique).
C’est, sous la forme d’un court roman, l’histoire bien connue de Krishna et des Gopîs ; le titre pourrait faire craindre qu’elle ne soit interprétée d’une façon trop « psychologique », mais en fait il n’en est rien, et même le véritable sens en ressort assez clairement. Les Gopîs représentent les êtres individuels qui, par la voie de Bhakti, arrivent à avoir, à un degré ou à un autre, la perception du Divin ; chacune croit d’ailleurs que l’aspect qu’elle en connaît est le seul vrai, et que celles qui voient d’autres aspects sont dans l’erreur ; mais il faut qu’elles parviennent finalement à reconnaître, comme Râdhâ, le Divin sous tous ses déguisements, c’est-à-dire sous les innombrables apparences du monde manifesté. Il est intéressant de noter que l’auteur est une Indienne musulmane, ce qui n’empêche nullement qu’elle témoigne d’une réelle compréhension de la tradition hindoue ; et ne peut-on pas voir précisément une application de ce que nous venons de dire dans la reconnaissance de la Vérité une sous les multiples formes dont elle se revêt dans les différentes traditions ?
- L. Adams Beck. — Au cœur du Japon : Zenn, Amours
mystiques.
Traduit de l’anglais par Jean Herbert et Pierre Sauvageot (Éditions Victor Attinger, Paris et Neuchatel).
Nous retrouvons dans ce livre les mêmes qualités que dans l’autre roman du même auteur dont nous avons parlé précédemment(*), mais aussi les mêmes défauts, et qui même, il faut bien le dire, y semblent quelque peu aggravés. La façon dont des Européens sont mêlés dans ces récits à certains milieux orientaux peut être acceptable une fois, une exception n’ayant comme telle rien d’invraisemblable, mais, quand elle se répète, elle donne l’impression d’un « procédé » bien artificiel ; en outre, les conséquences de cette intervention se traduisent ici, comme l’indique le titre, par des « amours mystiques » qui sont assez difficilement conciliables avec le caractère du Zen authentique. D’autre part, l’idée d’établir des rapprochements entre une doctrine traditionnelle et les conceptions de la science occidentale moderne, et de s’appuyer sur celles-ci pour faire accepter celle-là, idée dont nous avons dénoncé si souvent la vanité, joue ici un assez grand rôle ; nous savons d’ailleurs qu’elle existe réellement chez les représentants de certaines branches du Bouddhisme japonais contemporain, où le « modernisme » sévit fâcheusement, mais nous voulons croire pourtant qu’il n’en est ainsi que dans les écoles les plus exotériques. Il y a même une contradiction assez curieuse : l’auteur dit très justement que, « lorsqu’on suit les disciplines de l’Asie, on ne va pas à la pêche aux âmes, et l’on ne se livre pas à une propagande facile » ; mais cela ne l’empêche pas d’attribuer une telle propagande à une organisation initiatique, ou qui devrait être telle, et qu’elle représente comme préparant des sortes de « missionnaires » pour les envoyer en Occident après leur avoir fait apprendre, non seulement les langues européennes, mais aussi le langage « scientifique » qui plaît aux Occidentaux. Il n’en est pas moins vrai qu’il y a, à côté de tout cela, des aperçus très intéressants et exacts sur les méthodes de développement spirituel employées par le Zen, ainsi que sur la façon dont elles se reflètent dans divers aspects caractéristiques de la civilisation japonaise ; il est pourtant à regretter encore que, comme pour le Yoga dans l’autre livre, les résultats de la « réalisation » n’apparaissent pas bien clairement, et que l’auteur semble même s’en faire une idée restreinte à quelques points de vue fort secondaires ; mais, malgré tout, cela peut assurément inciter certains à réfléchir et à essayer de pénétrer ces choses plus profondément s’ils en ont en eux-mêmes la possibilité.
- C. Chevillon. — Le vrai visage de la Franc-Maçonnerie :
Ascèse, apostolat, culture.
Édition des Annales Initiatiques, Librairie P. Derain et L. Raclet, Lyon.
L’auteur de cette brochure est peu satisfait de l’état présent de la Maçonnerie, ou plutôt des organisations maçonniques, et il est de ceux qui voudraient trouver un remède à leur dégénérescence ; malheureusement, il est bien difficile de découvrir, dans les réflexions auxquelles il se livre à ce propos, quelque chose de plus et de mieux que cette bonne intention, qui ne suffit certes pas pour aboutir à un résultat effectif. Nous pensons que, par « ascèse », il faudrait entendre proprement, surtout si l’on veut appliquer ce mot dans l’ordre initiatique, une méthode de développement spirituel ; mais ici, en fait, il n’est guère question que de développer les « facultés psychologiques », envisagées suivant leur classification la plus banalement « universitaire » : sensibilité, intelligence, volonté ; il est bien entendu qu’intelligence, en pareil cas, ne veut dire que raison ; ce qui est plus curieux est que l’auteur croit pouvoir mettre la volonté en rapport avec le « monde des idées pures »… Quant à son idée d’« apostolat », elle semble procéder surtout d’une confusion de la « réalisation » avec l’action extérieure, ce qui est aussi peu initiatique que possible ; et, au fond, nous ne voyons pas une bien grande différence entre ses préoccupations sociales et celles dont l’intrusion dans la Maçonnerie moderne a largement contribué à produire la déviation qu’il déplore. Enfin, la « culture », c’est-à-dire en somme l’éducation tout extérieure, conçue à la manière profane, n’a aucun rapport avec l’obtention de la véritable connaissance ; et, s’il est assurément très bien de dire que « le Maçon doit acquérir le sens de l’éternel », encore faudrait-il, pour donner une valeur réelle à cette affirmation, ne pas s’en tenir à un « verbalisme » plus ou moins vide, qui est peut-être « philosophique », mais qui ne reflète rien de vraiment initiatique, ni d’ailleurs de spécifiquement maçonnique, si l’on entend ce dernier mot suivant la conception traditionnelle, et non suivant ce qu’il représente pour la plupart de nos contemporains, y compris la grande majorité des Maçons eux-mêmes !