Septembre 1947

R. Méré, Paris.

Ce gros volume est constitué par la réunion, avec quelques adjonctions, des articles sur ce sujet qui ont paru autrefois dans le Symbolisme, et dont nous avons déjà parlé à mesure de leur publication. L’auteur a d’ailleurs voulu, dans son avant-propos, répondre à certaines objections que nous avions formulées alors ; mais nous devons lui dire franchement que la façon dont il le fait n’est aucunement de nature à nous faire modifier notre avis à cet égard. Il cherche surtout à justifier ses fréquentes références à des conceptions philosophiques et scientifiques des plus profanes : « Nous adressant au monde profane, dit-il, force est bien de partir des sciences profanes pour l’amener sur le plan des sciences traditionnelles ». Or, d’une part, c’est là une chose tout à fait impossible, parce que le point de vue même des sciences profanes est incompatible avec celui des sciences traditionnelles, et que, par suite, les premières, bien loin d’acheminer vers les secondes, ne peuvent au contraire que constituer un obstacle à leur compréhension ; d’autre part, nous ne voyons vraiment pas comment ni pourquoi, quand on traite des questions d’ordre initiatique, on peut vouloir « s’adresser au monde profane » et c’est là une idée que, pour notre part, nous n’avons certes jamais eue ! En outre, nous nous demandons qui prétend viser cette autre phrase : « En définitive, ce n’est pas en voulant les orientaliser à tout prix qu’on induira les esprits modernes d’Occident à penser autrement qu’en Occidentaux ». Cela ressemble fort à certaines insinuations que nous avons déjà parfois rencontrées ailleurs, mais dans lesquelles il nous est impossible de nous reconnaître, car nous n’avons jamais eu la moindre intention d’« orientaliser à tout prix » qui que ce soit ; ce que nous voudrions plutôt, c’est tout simplement induire ceux qui en sont capables « à penser autrement qu’en modernes », puisque l’esprit moderne ne fait réellement qu’un avec l’esprit antitraditionnel. Qu’après cela ils adhèrent à une tradition orientale ou occidentale, suivant ce qui convient le mieux à leurs aptitudes, c’est l’affaire de chacun, et cela ne saurait nous concerner en aucune façon ; est-ce d’ailleurs de notre faute si tout ce qui est tradition est tellement affaibli actuellement en Occident que beaucoup peuvent estimer plus avantageux de chercher d’un autre côté? Nous n’insisterons pas davantage, et nous ajouterons seulement que, malgré l’apparence d’un plan rigoureusement établi, l’ouvrage, dans son ensemble, demeure assez confus à bien des égards, ce qui arrive d’ailleurs toujours quand on veut mettre trop de choses dans un seul livre, et aussi que les quelques explications supplémentaires concernant la théorie du « Panpsychisme universel » ne réussissent malheureusement pas à rendre celle-ci beaucoup plus claire ; nous craignons bien, en tout cas, que les vues particulières de l’auteur n’aient dans cette théorie une plus grande part que les données traditionnelles.

Extrait de l’Histoire générale des Religions (Aristide Quillet, Paris).

Cette étude, abondamment illustrée d’intéressantes reproductions de documents anciens, débute par les considérations sur la « genèse du concept de tolérance » dont nous avons déjà parlé à propos de leur publication sous la forme d’un article à part dans le Symbolisme (voir no d’avril-mai 1947, comptes rendus de revues). Le plan général de l’ouvrage dans lequel elle devait entrer exigeait sans doute que la Maçonnerie y fût présentée comme une sorte de « religion », alors qu’elle est pourtant tout autre chose en réalité, et cela implique forcément une certaine confusion entre les deux domaines exotérique et ésotérique. Nous ne croyons d’ailleurs pas que ce soit uniquement pour cette raison que l’auteur prend un peu trop facilement son parti des infiltrations de l’esprit profane qui se produisirent à partir de 1717 ; se rend-il suffisamment compte que des influences de ce genre ne pourraient aucunement s’exercer dans une organisation initiatique qui serait restée tout ce qu’elle doit être vraiment ? Quoi qu’il en soit, il faut le louer de ne pas déprécier outre mesure, comme le font tant d’autres, l’ancienne Maçonnerie opérative ; seulement, quand il estime que, dès le xviie siècle, celle-ci était déjà réduite à presque rien et tombée entre les mains d’une majorité de Maçons « acceptés » qui auraient préparé les voies à sa transformation en Maçonnerie spéculative, il y a bien des raisons de douter de l’exactitude de telles suppositions… Nous préférons les parties qui se rapportent à des époques plus récentes et mieux connues ; l’auteur y est davantage sur son véritable terrain, qui est en somme celui de l’historien, et, comme tel, il fait d’ailleurs preuve, ainsi qu’à son ordinaire, d’une remarquable impartialité. Il fait notamment justice, d’excellente façon, de la légende trop répandue sur le rôle que la Maçonnerie française du xviiie siècle aurait joué dans la préparation de la Révolution et au cours même de celle-ci, légende qui fut d’abord lancée par des adversaires de la Maçonnerie, mais ensuite admise, et peut-être même encore amplifiée, par des Maçons trop affectés par l’esprit moderne. Il reconnaît nettement, d’autre part, que l’intrusion de la politique dans les temps postérieurs, quelles que soient les raisons qui peuvent l’expliquer en fait, ne saurait être regardée que comme une déviation « vers des buts trop terrestres » ; mais il semble espérer qu’un redressement à cet égard est toujours possible, et, assurément, nul ne souhaite plus que nous qu’il en soit ainsi. Quant à sa conclusion, où la Maçonnerie est envisagée comme pouvant devenir la « future citadelle des religions », beaucoup penseront probablement que ce n’est là qu’un beau rêve ; pour notre part, nous dirions plutôt que ce rôle n’est pas tout à fait celui d’une organisation initiatique qui se tiendrait strictement dans son domaine propre, et que, si celle-ci peut réellement « venir au secours des religions » dans une période d’obscuration spirituelle presque complète, c’est d’une façon assez différente de celle-là, mais qui du reste, pour être moins apparente extérieurement, n’en serait cependant que d’autant plus efficace.

Paul Derain, Lyon.

À cause de la mort tragique de l’auteur en 1944, nous voudrions pouvoir ne dire que du bien de ce livre posthume ; mais, malheureusement, nous y retrouvons encore ce même caractère vague et inconsistant que nous avions toujours remarqué dans ses précédents ouvrages. Il y a pourtant une certaine amélioration en ce sens que, dès lors qu’il en est arrivé à parler de « Tradition universelle », il semble par là même avoir renoncé finalement à l’attitude « antiorientale » que nous lui avions connue jadis ; mais cela ne va pas bien loin, car il ne s’agit guère en somme que de vues qu’on peut dire « philosophiques », donc demeurant tout à fait extérieures. Ce n’est pas à dire, assurément, qu’il n’y ait pas çà et là certaines réflexions parfaitement justes, par exemple sur le caractère purement négatif de la science moderne ; mais ce que nous ne comprenons pas, c’est que certains puissent penser qu’il y ait dans tout cela l’expression d’un point de vue plus ou moins ésotérique. En outre, l’exposé de ce que l’auteur croit être « l’esprit de la sagesse antique », tel qu’il se dégagerait de l’ensemble des différentes doctrines traditionnelles, est fortement affecté par des idées qui en sont fort éloignées en réalité, et plus particulièrement par la conception « réincarnationniste » ; aussi l’ensemble donne-t-il une impression plutôt décevante, et mieux vaut ne pas y insister davantage.