Juillet-août 1949

Éditions Nord-Sud, Paris.

Cette réédition d’un livre devenu introuvable depuis longtemps était fort utile, car les ouvrages de Saint-Yves d’Alveydre sont de ceux dont on parle beaucoup plus qu’on ne les lit, d’où bien des idées erronées sur les conceptions qui y sont exposées. Celui-ci, en particulier, permettra de se rendre compte directement de ce qu’était, dans la pensée même de son auteur, la « Synarchie », qui n’a assurément rien de commun avec ce qui a fait tant de bruit en ces dernières années et à quoi il semble bien que ses promoteurs aient donné le même nom tout exprès pour créer certaines confusions, en quoi ils n’ont d’ailleurs que trop bien réussi, car les livres et les articles publiés à ce propos ont répandu dans le public toute sorte d’erreurs grossières sur Saint-Yves et sur son œuvre. L’introduction dont cette réédition est précédée a précisément pour but, tout en se tenant en dehors de toute polémique, de remettre les choses au point, et elle le fait d’excellente façon, en reprenant du reste une partie des informations qui ont paru autrefois ici même (nos de juillet 1935 et de mars 1936), ainsi que quelques-unes des remarques que nous avons faites dans Le Roi du Monde. Nous y signalerons plus spécialement deux points qui nous paraissent très importants : le premier est une comparaison de dates d’où il résulte clairement que, quand Saint-Yves fit paraître les deux ouvrages principaux où se trouve exposé son système synarchique, c’est-à-dire la Mission des Souverains et la Mission des Juifs, il n’était encore entré en relations avec aucun représentant des traditions orientales, de sorte qu’il ne peut être question d’attribuer cette conception à des influences provenant d’une telle source comme certains l’ont prétendu. Il est vrai que Saint-Yves lui-même a présenté la Synarchie comme une application d’une doctrine métaphysique et cosmologique conservée secrètement à l’intérieur des différentes formes traditionnelles, et notamment des traditions brâhmaniques et judéo-chrétienne, mais sans doute cette affirmation, comme bien d’autres, ne doit-elle pas être prise trop à la lettre ; pour notre part, nous pensons (et nous l’avons d’ailleurs noté incidemment dans La Grande Triade, ch. XXI, note 1) qu’elle est surtout inspirée de Fabre d’Olivet, auquel il a fait manifestement beaucoup plus d’emprunts qu’il n’a jamais voulu le reconnaître, tout en s’efforçant d’ailleurs de le « christianiser », si l’on peut dire, et à qui il doit même quelques erreurs assez étonnantes en ce qui concerne la tradition hindoue. Le second point sur lequel nous tenons à appeler l’attention, c’est la nature réelle des rapports de Saint-Yves avec les occultistes, rapports qui se bornèrent en somme à des relations amicales avec quelques-uns d’entre eux, à titre tout personnel, et sans qu’il ait jamais adhéré en aucune façon à leur « mouvement » ni même qu’il l’ait approuvé, car il fit toujours au contraire bien des réserves à cet égard ; cela est assurément fort loin de ce qu’ont voulu faire croire les occultistes eux-mêmes, qui trouvèrent bon d’en faire un de leurs « Maîtres » et qui, après sa mort, cherchèrent à accaparer sa mémoire, nous pourrions même dire à l’exploiter, ce qui eut inévitablement pour conséquence de jeter sur son œuvre un discrédit immérité. — Pour ce qui est du livre lui-même, nous laisserons à chacun le soin de s’en faire une opinion en le lisant ; mais nous devons avouer que, le relisant nous-même ainsi après une quarantaine d’années, nous en avons éprouvé quelque déception, en dépit des vues intéressantes qu’il contient incontestablement. Il nous semble qu’il y a tout au moins une certaine exagération à présenter toute l’histoire de l’Europe, depuis les débuts du Christianisme, comme s’il n’y avait jamais eu, tant du côté de l’Église que de celui des souverains, que des préoccupations d’ordre exclusivement politique ; et, d’autre part, il y a, sur plus d’un point, des assertions qui sont difficilement conciliables avec les véritables notions traditionnelles. Bien que l’auteur fasse quelques allusions à l’« Initiation », il est bien difficile de savoir exactement ce qu’il pouvait entendre par là ; il est fort à craindre que ce qu’il désignait ainsi, du moins à l’époque où il écrivit ce livre, n’ait été, dans sa pensée, rien de plus ni d’autre qu’un enseignement d’un degré supérieur à celui qui est donné dans les Universités, et cela encore est plutôt décevant, car ce qui manque à une telle conception est précisément ce qui, au point de vue initiatique, constitue tout l’essentiel. Quant à la Synarchie elle-même, si on ne la prend que comme un projet de « constitution européenne », il en vaut certainement bien d’autres, et les objections qu’il y aurait lieu d’y faire porteraient beaucoup moins sur le principe même que sur les modalités de l’organisation proposée, et aussi sur les difficultés probablement insurmontables que rencontrerait sa réalisation dans des conditions comme celles de l’époque actuelle.

Cassell and Co, London.

Bien que la part qui revient à chacun des deux collaborateurs ne soit pas indiquée expressément, il nous paraît évident que c’est le regretté A. K. Coomaraswamy qui est l’auteur de l’exposé de la vie du Bouddha et de la doctrine bouddhique qui constitue la première partie de ce volume, et où nous retrouvons, sous une forme abrégée et quelque peu simplifiée, l’interprétation qu’il avait déjà donnée dans d’autres écrits, et notamment dans Hinduism and Buddhism(*). Comme les principaux points en sont connus de nos lecteurs, nous nous contenterons de rappeler qu’un des plus importants est la réfutation de l’erreur courante suivant laquelle le Bouddhisme nierait le « Soi », ce qui a naturellement, entre autres conséquences, celle de rectifier la conception « nihiliste » que certains se sont faite du Nirvâna. Le prétendu « athéisme » bouddhique est aussi écarté par la remarque que, « entre l’immuable volonté de Dieu et la Lex Æterna, il n’y a aucune distinction réelle », et que « Dharma, qui a toujours été un nom divin, est encore, dans le Bouddhisme même, synonyme de Brahma ». Signalons encore que l’auteur insiste très justement sur le fait que ni la doctrine de la causalité ni celle de l’enchaînement des actions et de leurs effets n’impliquent, contrairement à une autre erreur trop répandue, l’idée vulgaire de la « réincarnation », qui, en réalité, n’existe pas plus dans le Bouddhisme que dans toute autre doctrine traditionnelle. — Le choix de textes qui suit, et qui est sans doute dû à Miss Horner, comprend un ensemble d’extraits groupés suivant les questions auxquelles ils se rapportent, et dont certaines paraissent avoir été retraduites du pâli, tandis que d’autres sont reproduites d’après diverses traductions anglaises déjà existantes.

Imprimerie générale de la Nièvre, Clamecy.

Nous avons déjà parlé ici d’une autre brochure du même auteur (voir no de janvier-février 1946) ; dans celle-ci, il a su résumer en peu de pages, et avec une clarté dont on ne saurait trop le féliciter, un certain nombre de notions essentielles en ce qui concerne la peinture envisagée au point de vue traditionnel : lois relatives au plan et à ses mouvements (les modernes ont trop oublié qu’un tableau est une surface plane), symbolisme des formes, des nombres et des couleurs. Dans l’aperçu historique par lequel il débute, nous noterons surtout un curieux rapprochement, au sujet du rôle de certaines formes symboliques et notamment de la spirale, entre la tradition celtique et la tradition chrétienne ; c’est là un sujet qui mériterait certainement d’être traité avec de plus amples développements. La seule critique que nous ayons à formuler est celle-ci : il est question tout d’abord de « cycles » en appliquant ce mot uniquement à la période de développement des civilisations et des formes traditionnelles particulières, et sans que rien indique que ce ne sont là que des cycles mineurs qui s’intègrent dans d’autres beaucoup plus étendus ; puis, en un autre endroit, il est fait mention incidemment du cycle correspondant à la durée de la précession des équinoxes ; il peut en résulter quelque confusion chez des lecteurs non prévenus et qui, ayant pu croire jusque-là qu’il ne s’agissait que d’une notion d’ordre exclusivement historique en quelque sorte, ne verront pas quel rapport peut exister entre ces deux choses, ni par conséquent quelle est la véritable nature des lois cycliques. Bien entendu, cela n’affecte en rien le fond même de cette étude, et, pour qu’on se rende mieux compte de l’esprit dans lequel elle a été écrite, nous ne saurions mieux faire que d’en reproduire les dernières lignes : « Le peintre, s’il veut faire œuvre traditionnelle, doit adapter les symboles universels à la technique du plan, telle que les premiers cubistes l’entrevirent, faire de son œuvre un microcosme à l’image du macrocosme en utilisant les lois cosmiques ; il constituera ainsi la nouvelle forme propre au cycle futur, mais il ne doit pas oublier que, pour bénéficier pleinement de l’illumination qui constitue la voie traditionnelle, il doit avoir constamment en esprit l’universel et qu’à une telle hauteur les individualités ne comptent plus ».

« Pro Libros », Paris.

Ce petit volume se présente, d’après son sous-titre, comme une « introduction à la connaissance du symbolisme hiéroglyphique des lettres » ; qu’un tel symbolisme existe en effet, c’est-à-dire que tout alphabet ait à son origine une signification idéographique, cela ne fait aucun doute pour nous, ni pour quiconque a là-dessus quelques notions traditionnelles ; mais nous ne pouvons certes pas dire que l’argumentation sur laquelle l’auteur veut appuyer son interprétation de l’alphabet latin soit bien solide ni bien convaincante. Tout d’abord, on ne peut se défendre d’un certain étonnement en le voyant affirmer que l’alphabet latin est « le plus pur des alphabets grecs », et que, pour cette raison, il est le plus propre à « symboliser les divinités fondamentales de la mythologie grecque ». Quant à l’idée qu’il se fait de celle-ci, il la résume en cette phrase : « La mythologie grecque est une connaissance de la Vérité qui s’appuie sur la rationalité, la poésie et l’intuition religieuse, et elle propose une éthique » ; nous ne voyons dans tout cela rien de bien profond ni de vraiment traditionnel. Quand il présente, en outre, cette même mythologie comme « un véritable Ancien Testament occidental », auquel le Christianisme se rattacherait beaucoup plus qu’à l’Ancien Testament hébraïque, nous nous souvenons qu’une idée très semblable a déjà été soutenue par M. paul le cour, et ce rapprochement est vraiment assez fâcheux… Pour ce qui est de l’interprétation même de l’alphabet, elle consiste à rapporter chaque lettre à une divinité dans le nom de laquelle cette lettre figure, le plus souvent comme initiale, mais parfois aussi à une autre place (les noms grecs et latins sont d’ailleurs mélangés ici d’une façon qui peut paraître quelque peu arbitraire) ; et ces rapports sont expliqués au moyen de considérations sur la forme des lettres dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont extrêmement vagues et n’ont rien de « frappant » ; avec de semblables procédés, chacun pourrait facilement, en suivant une idée préconçue, trouver à peu près n’importe quoi dans une figure quelconque, et tout cela est assurément fort éloigné du véritable symbolisme. Il y a encore une autre raison de se méfier : il n’est pas tenu compte seulement des lettres authentiquement latines, mais aussi, et au même titre, des adjonctions qui ont été faites à une époque très récente (distinction des lettres i et j, u et v, sans parler du w), et qui ne peuvent avoir aucune valeur symbolique réelle ; l’auteur est d’un autre avis, mais la raison qu’il en donne, en envisageant une sorte de développement de l’alphabet qui se serait continué jusque dans les temps modernes pour l’amener finalement à sa perfection, ne fait que donner à la chose un caractère encore plus grave et même plutôt inquiétant. On s’en rendra compte immédiatement en lisant cette phrase de son résumé : « Cette idéographie des lettres de l’alphabet latin est peut-être la création intuitive et volontaire du sacerdoce antique, mais peut-être aussi elle est tout naturellement l’aboutissement occulte d’un processus subconscient du mental humain collectif ». Le premier terme de cette alternative exprime une vue traditionnellement correcte, mais, par contre, le second, qui, en réalité, est celui qu’il faudrait nécessairement admettre pour que le développement en question ait un sens, ne répond qu’à une de ces conceptions actuelles, à tendance « psychanalyste », dont nous signalons par ailleurs le danger. Il paraît que ce n’est là que comme un premier aperçu d’un travail plus considérable ; il convient donc d’attendre celui-ci pour se prononcer d’une façon définitive, mais cette introduction n’est pas de nature à en donner une impression bien favorable, et il faudrait rectifier sur bien des points les idées qui y sont exprimées pour les rendre, nous ne dirons même pas valables, mais simplement acceptables au point de vue traditionnel.

Éditions Mazarine, Paris.

Nous aurions souhaité de pouvoir parler favorablement de cet ouvrage, parce que l’auteur a certainement eu une intention très louable en elle-même, mais il a très malheureusement entrepris de l’appliquer à quelque chose qui, par sa nature, ne s’y prêtait aucunement ; et, comme il déclare que c’est en particulier grâce à nos livres qu’il découvrit la métaphysique traditionnelle, cela ne laisse pas de nous donner quelques inquiétudes sur ce que certains peuvent essayer d’en tirer… Il est assurément très bien de chercher à rattacher une science quelconque à des principes d’ordre métaphysique, et c’est même le seul moyen de lui donner ou de lui restituer la « légitimité » qui lui fait défaut dans son état actuel ; mais encore faut-il pour cela qu’il s’agisse réellement d’une science susceptible d’être « légitimée », et non pas d’un de ces produits spécifiques de la mentalité moderne qui ne sont en définitive que des éléments de subversion pure et simple, comme c’est le cas de la psychanalyse ; autant vaudrait s’efforcer de donner une base traditionnelle au spiritisme ou à toute autre aberration du même genre ! Chose assez curieuse, l’auteur, bien qu’il ne semble pas se faire une idée très nette de l’initiation (ne va-t-il pas jusqu’à parler d’une « initiation par la fréquentation des livres » ?), a remarqué qu’il existe une ressemblance entre la transmission initiatique et la transmission psychanalytique, mais il ne s’est pas aperçu le moins du monde que cette dernière ne constituait, à cet égard, qu’une « contrefaçon » véritablement satanique, agissant « à rebours » comme certaines opérations de sorcellerie ; puisqu’il mentionne nos livres, nous ne pouvons que l’engager à se reporter à ce que nous avons écrit là-dessus et qui est cependant assez net. Nous n’insisterons guère sur le contenu de l’ouvrage, qui est, en somme, ce qu’il peut être dans ces conditions, et nous nous bornerons à deux ou trois remarques dont nous ne pouvons vraiment pas nous dispenser, car il est nécessaire de ne pas laisser s’accréditer certaines confusions. Au début, il est bien fait appel à quelques notions de métaphysique et surtout de cosmologie traditionnelle, mais, par la suite, celles-ci disparaissent à peu près entièrement, sauf en ce qui concerne certaines considérations de « polarité » pour lesquelles il n’y avait d’ailleurs nullement besoin de se référer à la psychanalyse et à son langage spécial ; tout finit par être noyé, si l’on peut dire, dans la mythologie des « complexes », des « interdictions », des « compensations », des « fixations », et ainsi de suite. D’autre part, quand on rencontre au milieu de tout cela quelque terme emprunté à la métaphysique traditionnelle, il ne faudrait pas croire qu’il est toujours pris dans le sens qu’il devrait avoir normalement ; en effet, même là où il est parlé de l’« être total », ce qui est conçu comme tel ne dépasse jamais, en fait, le domaine des possibilités individuelles. L’auteur (et cela encore est bien étonnant de la part de quelqu’un qui a lu nos livres) paraît n’avoir pas la moindre idée des états multiples de l’être, de sorte qu’il réduit tout aux proportions de la seule individualité humaine ; et, s’il est assez difficile de dire ce que peut être au juste la « réalisation » qu’il envisage, ce qui est certain en tout cas, c’est que, en dépit de l’allusion finale à l’« ouverture du troisième œil », ce n’est pas d’une réalisation initiatique qu’il s’agit, de même que, quand le « Soi » est conçu comme « pensée pure », c’est là quelque chose qui ressemble un peu trop à l’« âme » cartésienne et qui est assurément fort loin de l’Âtmâ inconditionné ; quant à l’« Intelligence indépendante », appelée aussi assez singulièrement « Raison divine », c’est tout au plus, pour mettre les choses au mieux, un simple reflet de Buddhi dans l’individualité. En ce qui nous concerne, une conclusion s’impose à la suite de ces constatations : c’est que nous ne saurions trop mettre en garde contre les applications que quiconque peut prétendre faire de ce que nous avons exposé, à notre insu et sans notre approbation, et que nous n’entendons en accepter la responsabilité à aucun degré ; comme toutes les autres déformations des doctrines traditionnelles mal comprises, ce sont là des choses qu’il est évidemment impossible d’empêcher, mais du moins est-il toujours possible, dès qu’on en a connaissance, de les désavouer formellement, et, si désagréable que cela puisse être parfois, c’est là une obligation à laquelle nous ne manquerons pas.