Juillet 1932

Les Études Carmélitaines (no d’avril) publient la traduction d’une longue étude de M. Miguel Asín Palacios sur Ibn Abbad de Ronda, sous le titre : Un précurseur hispano-musulman de saint Jean de la Croix. Cette étude est intéressante surtout par les nombreux textes qui y sont cités, et d’ailleurs écrite avec une sympathie dont la direction de la revue a cru devoir s’excuser par une note assez étrange : on « prie le lecteur de prendre garde de donner au mot “précurseur” un sens trop étendu » ; et il paraît que, si certaines choses doivent être dites, ce n’est pas tant parce qu’elles sont vraies que parce qu’on pourrait faire grief à l’Église de ne pas les reconnaître et s’en servir contre elle ! Malheureusement, tout l’exposé de l’auteur est affecté, d’un bout à l’autre, d’un défaut capital : c’est la confusion trop fréquente de l’ésotérisme avec le mysticisme ; il ne parle même pas du tout d’ésotérisme, il le prend pour du mysticisme, purement et simplement ; et cette erreur est encore aggravée par l’emploi d’un langage spécifiquement « ecclésiastique », qui est tout ce qu’il y a de plus étranger à l’Islam en général et au Çûfisme en particulier, et qui cause une certaine impression de malaise. L’école shâdhiliyah, à laquelle appartenait Ibn Abbad, est essentiellement initiatique, et, s’il y a avec des mystiques comme saint Jean de la Croix certaines similitudes extérieures, dans le vocabulaire par exemple, elles n’empêchent pas la différence profonde des points de vue : ainsi, le symbolisme de la « nuit » n’a certainement pas la même signification de part et d’autre, et le rejet des « pouvoirs » extérieurs ne suppose pas les mêmes intentions ; au point de vue initiatique, la « nuit » correspond à un état de non-manifestation (donc supérieur aux états manifestés, représentés par le « jour » : c’est en somme le même symbolisme que dans la doctrine hindoue), et, si les « pouvoirs » doivent effectivement être écartés, au moins en règle générale, c’est parce qu’ils constituent un obstacle à la pure connaissance ; nous ne pensons pas qu’il en soit tout à fait de même au point de vue des mystiques. — Ceci appelle une remarque d’ordre général, pour laquelle, d’ailleurs, il est bien entendu que M. Asín Palacios doit être mis tout à fait hors de cause, car on ne saurait le rendre responsable d’une certaine utilisation de ses travaux. La publication régulière depuis quelque temps, dans les Études Carmélitaines, d’articles consacrés aux doctrines orientales et dont le caractère le plus frappant est qu’on s’efforce d’y présenter celles-ci comme « mystiques », semble bien procéder des mêmes intentions que la traduction du livre du P. Dandoy dont nous parlons par ailleurs(*) ; et un simple coup d’œil sur la liste des collaborateurs de cette revue justifie entièrement cette impression. Si l’on rapproche ces faits de la campagne anti-orientale que connaissent nos lecteurs, et dans laquelle des milieux catholiques jouent également un rôle, on ne peut, au premier abord, se défendre d’un certain étonnement, car il semble qu’il y ait là quelque incohérence ; mais, à la réflexion, on en arrive à se demander si une interprétation tendancieuse comme celle dont il s’agit ne constituerait pas, elle aussi, quoique d’une façon détournée, un moyen de combat contre l’Orient. Il est bien à craindre, en tout cas, qu’une apparente sympathie ne recouvre quelque arrière-pensée de prosélytisme et, si l’on peut dire, d’« annexionnisme » ; nous connaissons trop l’esprit occidental pour n’avoir aucune inquiétude à cet égard : Timeo Danaos et dona ferentes !

— Dans l’Araldo Letterario de Milan (no d’avril), M. Gaetano Scarlata parle des discussions suscitées par la question du symbolisme de la poésie des « Fidèles d’Amour », et répond à certaines objections qui ont été soulevées contre son livre, auquel nous consacrons un article(**) d’autre part, aussi bien que contre ceux de M. Luigi Valli ; ces objections continuent à prouver le parti pris et la parfaite incompréhension des « critiques littéraires ».

— Le Grand Lodge Bulletin d’Iowa (no de mai) contient des articles sur la « Parole du Maître » (c’est-à-dire la « Parole perdue »), la légende du forgeron et du roi Salomon, et la dédicace du Temple de Salomon.

— Dans le Symbolisme (no de mai), Oswald Wirth, dans un article intitulé Évolution maçonnique, déclare que « l’ignorance est profonde en Maçonnerie », et que « le remède ne saurait s’offrir que dans l’instruction » ; il estime cependant qu’« une rénovation de la Maçonnerie se prépare », ce qui nous semble bien optimiste, car, à en juger par sa propre revue, nous y voyons moins de traces d’esprit initiatique que jamais. — Armand Bédarride parle de La croyance en Dieu et, dans le no de juin, du Grand Architecte de l’Univers ; ces articles appellent les mêmes réserves que les précédents quant à la place excessive qui y est faite aux considérations profanes ; par ailleurs, la question de l’influence de la Kabbale nous paraît un peu trop simplifiée. — Dans le no de juin, une note sur Le Niveau, par Robert Tatin, est d’un symbolisme plus que vague ; une autre sur le nom de Thubal-Kaïn, par Marius Lepage, est ingénieuse, mais malheureusement repose pour une bonne part sur une donnée tout à fait inexacte : Thubal et Habel se rattachent en réalité à deux racines toutes différentes et ne peuvent aucunement être assimilés. — Dans ce même no de juin, l’article d’Oswald Wirth, intitulé La Métaphysique et le Rêve, nous a causé quelque étonnement : en effet, il commence par parler de nos derniers ouvrages, puis les laisse brusquement de côté pour partir en guerre contre les « raisonneurs », les « discuteurs », les « abstractions » de la philosophie, en quoi il n’a certes pas tort, car nous en pensons encore beaucoup plus de mal que lui ; mais c’est assez curieux de la part de quelqu’un qui affiche volontiers un esprit plutôt « rationaliste ». Quoi qu’il en soit, la métaphysique, en réalité, n’a rien à voir avec tout cela, pas plus que le symbolisme, science éminemment « exacte », avec le rêve ou la rêverie, qui n’ont absolument rien d’initiatique ; et, quand on reconnaît explicitement qu’on ne comprend rien à la métaphysique, on devrait bien s’abstenir d’en parler : Ne, sutor, ultra crepidam !

— La Revue Internationale des Sociétés Secrètes (no du 1er mai, « partie occultiste ») continue à publier des extraits d’Aleister Crowley, et reproduit un article d’un journal canadien, intitulé Querelles françaises à propos du mouvement féministe des Adorateurs du Démon, qui a tout l’air d’une fumisterie un peu forte : cela nous rappelle une photographie de soi-disant Devil-worshippers parisiens publiée il y a quelques années dans une revue anglaise, et qui était tout simplement celle d’une réunion de joueurs de cor de chasse dans une cave ! — La « revue des revues », signée maintenant Raymond Dulac, contient encore, à notre adresse, quelques-unes des aménités habituelles ; faut-il répéter une fois de plus que le Voile d’Isis n’est nullement une « revue occultiste », et préciser aussi que nous n’avons pas la moindre sympathie pour les modernes tentatives de constitution d’une « religion universelle » ? Ce que nous affirmons, au contraire, c’est que la Tradition une existe depuis l’origine du monde, et c’est là ce que tendent à montrer les rapprochements que nous établissons ; mais il paraît que « les lois du langage s’opposent » à ces rapprochements quand ils gênent certains, alors qu’elles ne s’y opposent pas dans le cas contraire… Quant aux « critères » et aux « garants » de la Tradition, ce sont là des choses dont nous n’éprouvons nullement le besoin d’instruire ces Messieurs ; ce n’est pas à eux que s’adresse notre enseignement ! Pour le surplus, nous ne nous abaisserons pas à relever leurs misérables calembours ; nous leur dirons seulement qu’il n’y a aucun intérêt à s’occuper d’un nom qui ne représente pour nous rien de plus qu’une… signature, et auquel nous donnons tout juste autant d’importance qu’au vêtement que nous portons ou à la plume avec laquelle nous écrivons ; c’est exactement du même ordre, et cela ne nous touche pas davantage. Enfin, ajoutons une dernière observation : les Occidentaux ont un diable qui est bien à eux et que personne ne leur envie ; qu’ils s’arrangent avec lui comme ils veulent ou comme ils peuvent, mais qu’ils s’abstiennent de nous mêler à des histoires qui ne nous concernent en rien : Lakum dinukum wa liya dîni !

— Dans Le Rayonnement Intellectuel, études symboliques de M. L. Charbonneau-Lassay sur Les Rapaces nocturnes (no de janvier-février), L’Hirondelle (no de mars-avril) et Le Passereau (no de mai-juin).

Die Säule (no 3 de 1932) publie la fin de l’étude sur le Yi-king d’après Richard Wilhelm, ainsi qu’un article sur l’éducation dans la Chine ancienne, d’après le même auteur.

En présence des racontars stupides ou extravagants dont l’écho nous parvient continuellement, nous estimons nécessaire d’avertir qu’on ne devra ajouter foi, en ce qui nous concerne, à rien d’autre qu’à ce que nous avons écrit nous-même.