Juin 1948

— Le Symbolisme a publié, dans ses numéros de décembre 1946 à mai 1947 (sauf celui de mars qui est entièrement consacré à la mémoire d’Oswald Wirth), une étude sur Le Triangle et l’Hexagramme signée « Maen-Nevez, Maître d’Œuvre » ; il s’y trouve des considérations d’inégale importance, et, à notre avis, les plus intéressantes sont celles qui concernent les symboles proprement opératifs et compagnonniques. L’auteur reproduit une marque de tailleur de pierre relevée à Vitré, dans laquelle figure le « quatre de chiffre » dont nous parlons d’autre part(*) et dont il ne paraît d’ailleurs pas avoir cherché à approfondir la signification, bien qu’il ait pris cette marque pour point de départ de développements dont certains ne s’y rapportent que d’une façon beaucoup moins directe ; mais il a du moins réussi remarquablement à « placer » la marque en question sur une des « grilles » graphiques employées à cet effet par les anciennes corporations de constructeurs. Nous devons aussi signaler notamment les considérations exposées, au cours de ce travail, sur la construction en bois et en pierres, plus particulièrement dans l’architecture nordique ; elles sont à rapprocher de ce que nous avons-nous-même dit ici sur ce sujet en nous référant à d’autres traditions (Maçons et charpentiers, dans le no de décembre 1946). À propos des symboles « trinitaires », il est question du curieux tableau compagnonnique qui a été reproduit autrefois dans un no spécial du Voile d’Isis (novembre 1925) ; la ressemblance de cette figuration avec celle du dieu tricéphale gaulois n’est pas contestable, mais peut-être l’auteur, qui évidemment s’intéresse d’une façon toute particulière au Celtisme, veut-il en tirer trop de conséquences ; en tout cas, il y a autre chose qui est assez étrange, et dont nous ne croyons pas qu’on ait jamais fait la remarque : c’est que le dessin dont il s’agit est exactement semblable à certains tableaux provenant du mont Athos (sauf que, dans ceux-ci, les inscriptions sont naturellement en grec au lieu d’être en latin) et qui, paraît-il, sont employés par les moines grecs comme support de contemplation ; ce fait pourrait peut-être jeter une lumière inattendue sur certaines « affinités » du Compagnonnage. Il nous faut relever, d’autre part, une petite inexactitude : ce n’est pas Shiva, mais Brahmâ, qui est représenté avec quatre visages dans l’iconographie hindoue ; par contre, il existe des figurations de Shiva à trois visages (en connexion avec le « triple temps »), qu’il aurait été plus opportun de mentionner en cette occasion. Les considérations sur l’hexagramme qui viennent ensuite sont inspirées en grande partie des travaux de Matila Ghyka et appellent seulement une observation : il est bien exact que le triangle droit et le triangle inversé correspondent respectivement au feu et à l’eau, dont ils sont d’ailleurs les symboles alchimiques ; mais ce n’est pourtant là qu’une application parmi beaucoup d’autres, et l’auteur l’envisage d’une façon beaucoup trop exclusive. Nous ne connaissons pas l’ouvrage de R.-J. Gorsleben auquel il se réfère, mais, d’après ce qu’il en cite, il ne nous paraît pas pouvoir être utilisé sans précaution, car il est à craindre que son interprétation des symboles ne contienne une certaine part de « modernisation » plutôt fantaisiste. — Le no de mai contient quelques réflexions très judicieuses sur Le secret maçonnique, qui, sans aller tout à fait jusqu’au fond de la question (car ce n’était d’ailleurs guère possible dans un court article de quatre pages), s’accordent bien en somme avec ce que nous avons écrit sur la vraie nature du secret initiatique (Aperçus sur l’Initiation, ch. XIII). — Dans ce même numéro, François Ménard fait du livre de M. paul le cour, Hellénisme et Christianisme, une excellente critique dont la sévérité est assurément bien justifiée ! — Dans le no de juin, Marius Lepage étudie La Maçonnerie nègre aux États-Unis, question généralement assez peu connue, du fait que cette Maçonnerie n’a aucune relation avec les Grandes Loges « blanches » et est regardée par elles comme « clandestine » (ou plus exactement « non-reconnue », car en réalité son origine est parfaitement régulière), ce qui d’ailleurs n’empêche pas qu’elle ait atteint un développement beaucoup plus considérable qu’on ne pourrait le supposer ; et le plus étonnant est qu’il y a aux États-Unis mêmes un grand nombre de Maçons « blancs » qui n’ont même jamais entendu parler de son existence. — Dans le no de juillet-août, sous le titre Initiation et règlement, Marius Lepage insiste très justement sur le fait qu’une qualité initiatique ne peut se perdre en aucun cas ; c’est là une chose contre laquelle les règlements administratifs ne peuvent rien, et les exclusions qu’ils prévoient ne sont que des mesures d’ordre tout extérieur, qui ne font pas plus perdre la qualité de Maçon que, dans l’Église catholique, l’« interdiction » d’un prêtre ne lui enlève son caractère sacerdotal. La distinction de ces deux ordres initiatique et administratif devrait toujours être soigneusement observée, et il serait à souhaiter, à cet égard, que les règlements soient rédigés de façon à ne rien contenir qui soit en contradiction avec les principes initiatiques, ce qui reviendrait en somme à en éliminer tout ce qui a été simplement calqué sur les institutions profanes, et qui ne saurait convenir à la véritable nature de la Maçonnerie. — De Marius Lepage également, une note sur Stanislas de Guaita et le « Problème du Mal »(**) annonçant l’intention de publier ce que l’auteur a laissé de cet ouvrage inachevé, avec les compléments qu’Oswald Wirth avait entrepris d’y ajouter et que lui non plus n’a jamais pu terminer. — Dans le même numéro encore, nous noterons un article de J. Corneloup intitulé Variations symbolistes sur un thème mathématique ; il s’agit du symbolisme des « sections coniques », mais malheureusement les considérations exposées à ce sujet demeurent un peu vagues, et surtout l’auteur ne nous paraît pas avoir su dégager exactement les conséquences du caractère de la parabole en tant que forme intermédiaire entre l’ellipse et l’hyperbole. Quant à la crainte qu’il exprime « d’être accusé d’avoir abusivement introduit la poésie dans la science », nous pensons qu’un tel reproche serait fort injustifié, car symbolisme et poésie (du moins à la façon dont les modernes entendent cette dernière) sont assurément deux choses entièrement différentes ; et nous dirons même que, si l’on comprend la science au sens traditionnel et non au sens profane, rien ne saurait être plus véritablement « scientifique » que le symbolisme.