CHAPITRE XXII
Le symbole extrême-oriental du yin-yang ;
équivalence métaphysique
de la naissance et de la mort

Pour en revenir à la détermination de notre figure, nous n’avons en somme à considérer particulièrement que deux choses : d’une part, l’axe vertical, et, d’autre part, le plan horizontal de coordonnées. Nous savons qu’un plan horizontal représente un état d’être, dont chaque modalité correspond à une spire plane que nous avons confondue avec une circonférence ; d’un autre côté, les extrémités de cette spire, en réalité, ne sont pas contenues dans le plan de la courbe, mais dans deux plans immédiatement voisins, car cette même courbe, envisagée dans le système cylindrique vertical, est « une spire, une fonction d’hélice, mais dont le pas est infinitésimal. C’est pourquoi, étant donné que nous vivons, agissons et raisonnons à présent sur des contingences, nous pouvons et devons même considérer le graphique de l’évolution individuelle(1) comme une surface (plane). Et, en réalité, elle en possède tous les attributs et qualités, et ne diffère de la surface que considérée de l’Absolu(2). Ainsi, à notre plan (ou degré d’existence), le “circulus vital” est une vérité immédiate, et le cercle est bien la représentation du cycle individuel humain »(3).

Le yin-yang qui, dans le symbolisme traditionnel de l’Extrême-Orient, figure le « cercle de la destinée individuelle », est bien en effet un cercle, pour les raisons précédentes. « C’est un cercle représentatif d’une évolution individuelle ou spécifique(4), et il ne participe que par deux dimensions au cylindre cyclique universel. N’ayant point d’épaisseur, il n’a pas d’opacité, et il est représenté diaphane et transparent, c’est-à-dire que les graphiques des évolutions, antérieures et postérieures à son moment(5), se voient et s’impriment au regard à travers lui »(6). Mais, bien entendu, « il ne faut jamais perdre de vue que si, pris à part, le yin-yang peut être considéré comme un cercle, il est, dans la succession des modifications individuelles(7), un élément d’hélice : toute modification individuelle est essentiellement un vortex à trois dimensions(8) ; il n’y a qu’une seule stase humaine, et l’on ne repasse jamais par le chemin déjà parcouru »(9).

Les deux extrémités de la spire d’hélice de pas infinitésimal sont, comme nous l’avons dit, deux points immédiatement voisins sur une génératrice du cylindre, une parallèle à l’axe vertical (d’ailleurs située dans un des plans des coordonnées). Ces deux points n’appartiennent pas réellement à l’individualité, ou, d’une façon plus générale, à l’état d’être représenté par le plan horizontal que l’on considère. « L’entrée dans le yin-yang et la sortie du yin-yang ne sont pas à la disposition de l’individu, car ce sont deux points qui appartiennent, bien qu’au yin-yang, à la spire inscrite sur la surface latérale (verticale) du cylindre, et qui sont soumis à l’attraction de la “Volonté du Ciel”. Et en réalité, en effet, l’homme n’est pas libre de sa naissance ni de sa mort. Pour sa naissance, il n’est libre ni de l’acceptation, ni du refus, ni du moment. Pour la mort, il n’est pas libre de s’y soustraire ; et il ne doit pas non plus, en toute justice analogique, être libre du moment de sa mort… En tout cas, il n’est libre d’aucune des conditions de ces deux actes : la naissance le lance invinciblement sur le circulus d’une existence qu’il n’a ni demandée ni choisie ; la mort le retire de ce circulus et le lance invinciblement dans un autre, prescrit et prévu par la “Volonté du Ciel”, sans qu’il puisse rien en modifier(10). Ainsi, l’homme terrestre est esclave quant à sa naissance et quant à sa mort, c’est-à-dire par rapport aux deux actes principaux de sa vie individuelle, aux seuls qui résument en somme son évolution spéciale au regard de l’Infini »(11).

Il doit être bien compris que « les phénomènes mort et naissance, considérés en eux-mêmes et en dehors des cycles, sont parfaitement égaux »(12) ; on peut même dire que ce n’est en réalité qu’un seul et même phénomène envisagé sous deux faces opposées, du point de vue de l’un et de l’autre des deux cycles consécutifs entre lesquels il intervient. Cela se voit d’ailleurs immédiatement dans notre représentation géométrique, puisque la fin d’un cycle quelconque coïncide toujours nécessairement avec le commencement d’un autre, et que nous n’employons les mots « naissance » et « mort », en les prenant dans leur acception tout à fait générale, que pour désigner les passages entre les cycles, quelle que soit d’ailleurs l’extension de ceux-ci, et qu’il s’agisse de mondes aussi bien que d’individus. Ces deux phénomènes « s’accompagnent donc et se complètent l’un l’autre : la naissance humaine est la conséquence immédiate d’une mort (à un autre état) ; la mort humaine est la cause immédiate d’une naissance (dans un autre état également). L’une de ces circonstances ne se produit jamais sans l’autre. Et, le temps n’existant pas ici, nous pouvons affirmer que, entre la valeur intrinsèque du phénomène naissance et la valeur intrinsèque du phénomène mort, il y a identité métaphysique. Quant à leur valeur relative, et à cause de l’immédiateté des conséquences, la mort à l’extrémité d’un cycle quelconque est supérieure à la naissance sur le même cycle, de toute la valeur de l’attraction de la “Volonté du Ciel” sur ce cycle, c’est-à-dire, mathématiquement, du pas de l’hélice évolutive »(13).